« Mon mec ? C’est une femme » : comment favoriser l’inclusion de tous vos collaborateurs au travail
Parler de sa vie privée en toute quiétude au travail n’est pas toujours facile, notamment quand on fait partie de la communauté LGBT+. C’est ce que confirme la première enquête française sur la visibilité ou l’invisibilité des lesbiennes au travail, publiée ce 10 mai. Retours d’expérience en chiffres et en mots.
« Pendant les six mois de ma période d’essai, j’ai fait le choix de ne pas parler de ma vie privée, alors que j’étais en couple depuis plusieurs années avec une femme. J’appréhendais des réactions malveillantes, des marques de dégoût. Au sein d’une équipe de 20 personnes, une remarque lesbophobe suffit à vous pourrir la vie. »
Le témoignage de Kaidia Bouhet, ingénieure informatique chez Accenture, fait écho à celui de milliers de femmes qui hésitent à parler de leur vie privée au travail. Selon l’étude VOILAT (Visibilité ou invisibilité des lesbiennes au travail), réalisée par l’IFOP et l’association L’Autre Cercle et publiée mardi 10 mai, seules 40% des lesbiennes et bisexuelles en couple avec une femme au moment de l’enquête sont out auprès de tous leurs collègues. Un chiffre qui chute à 33% quand on parle de coming out auprès de leurs supérieurs hiérarchiques.
Aurore Foursy, elle, a fait le choix d’en parler tout de suite pour ne pas être « écartelée entre deux identités ». Elle se souvient de la scène, chez son premier employeur, une agence de relations presse : « Je prenais un café avec mon nouveau boss qui me parlait de sa femme et de ses enfants et il m’a demandé : ‘’Et toi, ton mec ?’’ Je lui ai dit : ‘’Mon mec, c’est une femme’’. Il a accueilli l’information très naturellement, sans problème. » Mais lorsqu’elle décide de rejoindre un grand groupe agroalimentaire, c’est plus compliqué : « Les gens étaient habitués aux schémas traditionnels. Je suis assez féminine et je ne corresponds pas du tout à certains clichés lesbiens de type Josiane Balasko dans Gazon Maudit. Mes collègues ont dont été surpris : ‘’Ah bon ?’’ Je me suis retrouvée à devoir me justifier de qui je suis. Le problème, c’est que le coming out est permanent : on est confrontés à ce même étonnement à chaque nouvelle personne qu’on rencontre. »
Une double discrimination
La plupart des femmes qui gardent le silence le font parce qu’elles craignent de subir une double discrimination sexiste et lesbophobe. 53% des femmes interrogées dans le cadre de l’enquête ont déjà subi une discrimination ou une agression au travail, liée à leur orientation sexuelle. Un chiffre qui augmente dans les secteurs d’activité à prédominance masculine et quand ces femmes sont racisées ou issues de milieux populaires.
« C’est lié à l’intersectionnalité, analyse Kaidia Bouhet. Quand on est une femme, il y a encore beaucoup de secteurs où il faut se battre pour prouver qu’on est légitime. Souvent, ces femmes n’ont pas envie de dévoiler leur homosexualité car elles redoutent que ce soit un challenge supplémentaire. Les lesbiennes sont hyper sexualisées, d’où une perte de légitimité dans un contexte professionnel. Ce stéréotype génère des comportements inappropriés de la part de leurs collègues masculins. Quelqu’un m’a déjà demandé en plein repas s’il ne manquait pas quelque chose au lit. Ce n’est pas parce qu’on est lesbienne qu’on n’a pas droit au respect de notre intimité au même titre que tout le monde ! »
« J’ai été choquée d’un commentaire d’un collègue qui, sur un ton tout à fait anodin, m’a dit : ‘’C’est quand même bien pour ton manager que tu sois lesbienne car tu n’auras pas de congé maternité à poser’’ », témoigne, pour sa part, Aurore Foursy.
« Ça prend beaucoup d’énergie de devoir mentir au quotidien ! »
Le fait de ne pas être soi-même au travail engendre une série de renoncements : ne pas inviter sa conjointe à un événement organisé par son entreprise, ne pas indiquer le nom de sa compagne sur sa mutuelle, ne pas prendre de congés en cas de mariage, de PACS ou d’accueil d’un enfant. Et son lot de contre-vérités : omettre de parler de ses activités ou goûts « connotés LGBT », s’inventer une vie affective, adapter sa manière de s’habiller.
Des situations qui deviennent usantes sur la durée : « Ce qui a motivé mon coming out au travail, c’est le fait de ne pas pouvoir être moi-même avec mes collègues, se rappelle Kaidia Bouhet. J’avais l’impression de ne pas être honnête avec eux et, à mesure que je suis devenue plus proche de certains d’entre eux, ça devenait compliqué. Ça prend beaucoup d’énergie de devoir mentir au quotidien ! Cette énergie pourrait être mise au service de notre activité pro. J’en ai d’abord parlé à certains collègues. Ils n’ont eu aucune réaction. Je pense que c’est la meilleure réaction qu’ils pouvaient avoir. Ensuite, ça s’est su peu à peu, j’ai invité ma compagne à des repas d’équipe informels, où les conjoints étaient conviés. Je me suis demandé pourquoi je m’étais retenue d’en parler. »
L’inclusion au service de tous les collaborateurs
L’enquête VOILAT montre aussi que 4 personnes interrogées sur 10 déclarent avoir eu des idées suicidaires à la suite de discriminations et que 34% d’entre elles ont quitté un emploi pour ces mêmes raisons. Face à ces situations intenables, l’entreprise a un rôle à jouer pour favoriser l’inclusion au sens large et ne pas gâcher ses talents.
« J’accorde de l’importance à ma carrière mais c’est très important pour moi que les valeurs de mon entreprise soient en phase avec mon identité, affirme Aurore Foursy. J’ai failli quitter mon entreprise quand elle m’a dit que les programmes LGBT+ n’étaient pas sa priorité. Quand une entreprise met en place des actions favorables aux collaborateurs LGBT+, elle travaille aussi pour satisfaire des familles monoparentales, des familles recomposées. Il existe de nombreux schémas familiaux et l’employeur doit envoyer le message qu’il les prend en compte et qu’il peut jouer un rôle de facilitateur pour concilier la vie pro et la vie perso de tous ses salariés. »
Quelles solutions à la main de l’employeur ?
Un engagement clair de la direction
Pour lutter contre toutes les formes de discriminations, il faut avant tout un engagement clair et visible de la direction, plaide Aurore Foursy : « Elle doit condamner fermement tout propos discriminatoire et dire que ce type de commentaires n’a pas sa place dans son entreprise. C’est un engagement de toute l’année, pas simplement un coup de com’ au mois de juin pour la marche des fiertés. »
Parler des programmes d’inclusion dès l’entretien d’embauche
Certaines entreprises ont mis en place des programmes LGBT+. Encore faut-il communiquer sur ces actions : « J’aurais aimé qu’on me parle de ce programme dès l’entretien d’embauche, comme on parle, par ailleurs, des actions en faveur de l’égalité hommes-femmes ou du handicap. Ça laisse le choix aux candidats de réagir ou non sur ces sujets. Au moins ils ont l’information ! Je sais qu’aujourd’hui, mon entreprise mentionne tous ces programmes lors du parcours d’intégration, c’est une bonne chose. »
Informer vos collaborateurs sur leurs droits
« Les DRH doivent être attentifs à ce que les droits de tous les collaborateurs soient bien respectés et à les porter à leur connaissance, suggère Aurore Foursy. Par exemple, la législation sur la PMA a évolué au cours des dernières années, en élargissant ce droit aux couples de femmes et aux femmes seules. Ce ne sont pas elles qui vont aller réclamer ces informations à leur employeur ! Il faut communiquer ces droits sur l’intranet. »
Former pour dépasser les stéréotypes
Enfin, il faut généraliser les formations à la diversité pour battre en brèche certains préjugés encore bien présents dans certaines entreprises : « Quand on parle de sujets LGBT+ au travail, certains confondent encore trop souvent orientation sexuelle et sexualité. Or, on ne souhaite pas parler de notre intimité, on veut simplement pouvoir parler de notre compagne à la pause-café ! » explique Kaidia Bouhet, qui souligne également l’importance des interventions d’entreprise dans les écoles supérieures et les universités, pour éduquer les jeunes à ces problématiques, et la promotion des rôles-modèles, comme ceux mis en lumière par l’Autre Cercle, pour valoriser des personnes œuvrant pour un monde du travail plus respectueux des personnes LGBT+.
*Enquête réalisée auprès d’un échantillon de 2 400 lesbiennes et bisexuelles dont 1200 actives.