Temps de trajet responsable : ces entreprises offrent des jours de congé pour des voyages bas carbone
Retour d’expérience de trois entreprises qui ont mis en place un nouvel avantage « vert » plébiscité par leurs salariés : le temps de trajet responsable.
Un city trip à Berlin, une virée en Corse ou un roadtrip en Irlande ? Qui n’a pas un jour rêvé de s’évader de son quotidien professionnel, mais finalement reporté son projet de voyage faute de jours de congé ? Les entreprises le savent : la crise sanitaire a confirmé qu’elles avaient une carte à jouer pour préserver l’équilibre vie pro/vie perso de leurs collaborateurs et, par là-même, renforcer leur engagement au travail et leur adhésion au projet de l’entreprise.
A l’ère du slow travel et de la sobriété énergétique, la réponse de certains employeurs tient en trois lettres : TTR. Nouvel avantage social, le temps de trajet responsable consiste à offrir un ou plusieurs jours de congés supplémentaires aux collaborateurs qui optent pour un moyen de transport à faible émission en CO2 pour partir en vacances.
« Des jours semi-off où l’on travaille si l’on peut »
L’entreprise Ubiq, spécialisée dans la location d’espaces de travail, a été la première à se lancer, en janvier 2023 : « Nous proposons à nos 35 collaborateurs de prendre jusqu’à 2 jours de TTR par an pour les trajets de plus de 6h qui ne sont pas effectués en avion, explique Margaux Beaunez, chargée de communication et de marketing. Il s’agit de journées semi-off, c’est-à-dire qu’on travaille dans les transports, même si on dispose d’une grande flexibilité et que nos collègues comprennent qu’on sera moins disponibles ou hors connexion. »
Margaux a elle-même eu recours au dispositif pour rallier Milan en train depuis Paris : 9h aller et 9h retour. Elle raconte : « J’ai fait du train le centre de mon voyage et je ne l’avais jamais envisagé comme tel avant la mise en place du TTR. On prend le temps de profiter des paysages, ça donne du sens à l’endroit dans lequel on travaille et ça modifie notre rapport au temps de travail : il n’y a pas de règles, d’horaires, on est libre de structurer notre journée. Je trouve que cet avantage collaborateur véhicule des valeurs fortes, totalement en phase avec les attentes des nouvelles générations. Je suis très fière de porter ce projet ! » En un an, un tiers des employés d’Ubiq a pris ses deux TTR pour se rendre en Corse, au Maroc ou à Vienne.
« On sort du discours écologiste culpabilisant ou contraignant »
Au détour d’un article de presse, Elisa Papin, Impact Manager chez HomeExchange, plateforme d’échange de logements, découvre l’initiative d’Ubiq : « Ça collait à 100% au concept de tourisme responsable que l’on promeut ! On sortait du discours écologiste culpabilisant ou contraignant et j’étais intimement convaincue que le dispositif serait simple à mettre en œuvre. »
Elle convainc sans peine les deux cofondateurs d’instaurer d’abord un, puis deux jours de congés supplémentaires par an (à poser en journée complète ou demi-journée). Seules conditions pour y avoir accès, que le moyen de locomotion soit le train, le bus, le covoiturage ou le bateau, et que le trajet dure au moins six heures. « Entre janvier et août 2024, une vingtaine de personnes, sur un total de 80 collaborateurs en France, l’ont utilisé », recense Elisa Papin. Avec, pour destinations, Marseille, Bordeaux, Stockholm, Oslo, Berlin ou Barcelone. « C’est hyper motivant de voir qu’en tant qu’entreprise, on peut contribuer à faire changer les mentalités, inciter nos collègues à construire leur voyage différemment ! »
Destination Norvège : 28h de train et de bateau
L’idée séduit aussi chez Vendredi, une plateforme d’engagement des salariés sur les sujets RSE : « Le TTR a été proposé par notre ‘’squad RSE’’. Nous l’avons mis en place en juin 2023 et je l’ai utilisé dès le mois d’août pour aller en Norvège. Je me suis rendu en train jusqu’au Nord du Danemark avant de prendre un ferry. Mon voyage a duré 28h et ça aurait été très frustrant de poser deux jours de congés supplémentaires juste pour le trajet », se souvient Malcolm Ouzeri, Chief Marketing Officer. Pour lui, le TTR enlève « un frein au voyage long et à la charge mentale liée au télétravail : on travaille dans les transports si les conditions le permettent. »
« La mesure coûte environ 600€ par collaborateur et par an, mais cet investissement est essentiel, il peut faire bouger les lignes », avance Margaux Beaunez. Pour Elisa Papin, le TTR est une preuve tangible de l’engagement de l’entreprise en matière de RSE : « C’est clairement un argument pour attirer et fidéliser. Notre équipe recrutement en parle en entretien et on a créé une page Notion pour que nos collaborateurs aient facilement accès à la procédure, à des ressources (carte des trains de nuit, guide de voyage zéro carbone, témoignages de collaborateurs qui ont testé le TTR…). »
Avion vs train : 200kg contre 10kg d’émissions de C02
« La mesure peut paraître idéaliste mais est très concrète dans son application et efficace ! », abonde Malcolm Ouzeri. Les chiffres sont éloquents : « L’une de nos collaboratrices souhaitait partir en Ecosse en avion, un vol qui représentait une émission de 200kg de C02 pour 1 200km parcourus. En partant en train, elle n’a émis que 10kg de CO2 ! Le TTR rend véritablement fiers nos salariés. Une dizaine de collaborateurs sur 50 ont utilisé leur TTR et on envisage de passer à un deuxième jour. Honnêtement, je ne pensais pas que ça marcherait autant, mais on voit que ça participe à un mouvement global auquel les candidats et les collaborateurs souhaitent que leur entreprise participe. Récemment, on a également augmenté le nombre de RTT, mais la mesure a eu moins d’impact que le TTR, on sent que le sujet relève davantage de l’émotionnel. »
Les clés du succès du projet ? « Communiquer avec les collaborateurs et échanger avec eux pour l’adapter à leurs usages, mais aussi à la taille de votre entreprise et à votre secteur d’activité », estime Margaux Beaunez. Les trois entreprises effectuent des enquêtes annuelles dédiées pour mesurer le taux de recours au dispositif, le niveau de satisfaction des collaborateurs ainsi que les freins éventuels à son utilisation. « On a notamment pu identifier qu’il fallait plus communiquer sur le TTR, car certains collaborateurs oubliaient d’en faire la demande alors qu’ils y étaient éligibles. Mais aussi qu’il n’était pas optimal pour les parents d’enfants en bas âge, qui ont une plus faible tolérance aux longs trajets », rapporte Elisa Papin. Ces trois entreprises espèrent donner envie à d’autres employeurs de marcher dans leurs traces. Serez-vous le prochain ?