Le télétravail a-t-il réduit les inégalités professionnelles hommes-femmes ?
Les salariés contraints au télétravail ont dû se réorganiser pour concilier vies personnelle et professionnelle durant la crise sanitaire. Ce changement a-t-il eu une incidence sur l’égalité professionnelle hommes-femmes ?
La charge mentale, ça vous dit sans doute quelque chose. Dans les journaux, sur les réseaux, en BD, sur les plateaux télé ou à la machine à café, ce poids, lié à l’organisation domestique (courses, ménage, soins des enfants…) et largement assumé par les femmes, a été abondamment évoqué au cours des dernières années.
La question a pris une tournure nouvelle à l’heure du confinement et du télétravail imposé. Cette nouvelle organisation du travail a-t-elle rebattu les cartes du partage des tâches entre les hommes et les femmes ?
Des entreprises ont tenu à faire part de leur point de vue lors d’un colloque organisé par le réseau mixité de plusieurs grands groupes jeudi 14 janvier. Ces retours d’expérience ont mis en lumière plusieurs tendances observées durant ces périodes de travail à distance.
Premier constat : la généralisation du télétravail a « dé-genré » le télétravail
En 2010, en France, seuls 9% des salariés télétravaillaient régulièrement, dont 93% de femmes. En 2019, 29% des salariés travaillaient à distance, dont 47% de femmes. Les chiffres sont éloquents : plus le télétravail concerne d’actifs, moins il est genré.
Une évolution dont s’est félicitée Muriel Pénicaud, ex-DGRH de Danone et Dassault Systèmes et ancienne ministre du Travail : « Lorsque le télétravail était marginal, il pénalisait souvent les femmes auxquelles incombaient en premier lieu les tâches domestiques, mais on a aujourd’hui changé d’échelle, le télétravail s’est dé-genré. » Ainsi, de nombreux hommes ont pu expérimenter les bénéfices de cette nouvelle organisation : gagner du temps, profiter de ses proches, avoir une plus grande liberté d’organisation. Et ils en redemandent !
« Les crises ont un effet loupe sur certains sujets de société. Celle-ci a remis sur le devant de la scène le fait que le télétravail est un mode de travail parmi d’autres. Beaucoup de managers considéraient, à tort, que c’était une convenance personnelle que les femmes choisissaient pour pouvoir s’occuper de leurs enfants », témoigne Aliette Mousnier-Lompré, vice-présidente CSO d’OBS. Aujourd’hui, même ceux qui étaient les plus sceptiques en sont convaincus : le télétravail est du « vrai » travail.
Deuxième constat : en télétravail, la répartition des tâches domestiques entre hommes et femmes demeure inéquitable
En revanche, concernant la répartition des tâches domestiques au sein des couples, pas de révolution en vue. Ainsi, pendant les confinements, dans 63% des foyers, ce sont les femmes qui préparaient le repas. Elles ont passé également deux fois plus de temps que leurs compagnons à s’occuper de faire l’école à la maison.
Troisième constat : les managers ont une connaissance plus intime de leurs collaborateurs
La question de ces disparités, autrefois cantonnée à la sphère privée, s’invite de plus en plus dans le bureau des DRH et des managers. « Cette année, les managers ont progressé dans la connaissance intime de leurs collaborateurs. Nous accompagnons les victimes de violences domestiques depuis 2018, mais nous avons renforcé nos actions de prévention de ces violences qui ont augmenté pendant les confinements », détaille Jean-Baptiste Obéniche, Responsable du pôle Diversité, Inclusion et Performance au Travail chez EDF.
Via les réunions Zoom ou Teams, les managers découvrent en effet le lieu de vie de leurs collègues, et parfois même leurs enfants ou leurs animaux de compagnie ! Cela créé une proximité et a parfois une influence sur les interactions au sein d’une équipe : « la prise de parole par visioconférence est mieux répartie entre les hommes et les femmes que lors des réunions physiques, on ressent moins l’effet manterrupting [action de couper la parole à une femme quand on est un homme]», constate Jean-Baptiste Obéniche.
Quatrième constat : les services RH n’ont pas attendu le télétravail pour mener des politiques d’égalité professionnelle
Catherine Schilansky, DRH d’HPE, tient toutefois à rappeler que les équipes RH n’ont pas attendu la généralisation du télétravail pour mener des actions en faveur de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes : « Les employeurs ont un rôle à jouer pour faire évoluer les mentalités. Chez HPE, nous avons mis en place des congés parentaux d’une même durée de 6 mois pour les hommes comme pour les femmes. Et les hommes les prennent ! »
Cinquième constat : le travail n’a pas de genre
Enfin, est-il besoin de rappeler que le travail ne se conjugue ni au masculin ni au féminin ? « Le travail a-t-il un sexe ? Non ! Dans son travail, l’homme s’organise pour atteindre un but. Pour cela, il doit avoir l’esprit libre d’autres contraintes et disposer des outils pour remplir ses objectifs. La femme agit de la même façon. Ce n’est pas parce qu’elle utilise les mêmes outils pour réussir qu’elle se masculinise », estime Iona Knoll-Tudor, avocate associée du cabinet Jeantet.
Dans cette lignée, Aliette Mousnier-Lompré insiste sur l’importance de déconstruire les rôles masculins et féminins au sein des entreprises : « Cela passera par le fait d’avoir plus de pères décomplexés de quitter le bureau à 17h pour aller chercher leurs enfants ou de voir davantage de femmes à des postes à responsabilités. »
Conclusion : le télétravail n’est pas une solution-miracle mais a mené à une prise de conscience
En définitive, si le télétravail n’est pas le remède-miracle aux disparités persistantes entre les hommes et les femmes, il a conduit les entreprises à se réinterroger sur l’articulation de la vie professionnelle et de la vie personnelle de leurs salariés. Et invite les services RH à se concentrer d’autant plus sur le schéma d’organisation du travail qui convient le mieux, au cas par cas, à leurs collaborateurs, indépendamment de leur genre.