Semaine de quatre jours : « On ne travaille pas moins, on travaille mieux ! »

Pourquoi et comment mettre en place la semaine de quatre jours dans votre entreprise ? Trois dirigeants ont répondu à toutes nos questions.

Travailler quatre jours par semaine n'est pas synonyme de baisse de productivité, bien au contraire !
Travailler quatre jours par semaine n'est pas synonyme de baisse de productivité, bien au contraire ! © Nuthawut/stock adobe.com

Ils l’ont instaurée il y a quelques mois ou plusieurs années dans leur entreprise et ne reviendraient en arrière pour rien au monde. Trois dirigeants nous livrent leur retour d’expérience sur la semaine de travail de quatre jours. Modalités de mise en œuvre, bénéfices pour les collaborateurs et l’entreprise, points de vigilance : on fait le tour du sujet !

Pourquoi la semaine de quatre jours ?

La question du sens au travail et de l’équilibre vie pro/vie perso s’est posée à tous bien avant la crise sanitaire mais elle a pris une urgence nouvelle avec l’arrivée de la pandémie : « La Covid et le télétravail imposé nous ont conduit à nous demander : quel temps mon travail me laisse-t-il pour vivre ? On en a déduit qu’il fallait repenser notre façon de travailler. Nous avons monté un groupe de travail pour se pencher sur l’organisation interne et améliorer l’intelligence collective et nous avons mis en place la semaine de quatre jours début janvier 2021 », témoigne Abdénour Ainséba, dirigeant de l’ESN IT Partner, basée à Lyon, qui compte 75 collaborateurs.

C’est à peu près au même moment que les quelque 1 000 salariés de l’entreprise LDLC, spécialisée dans la vente de produits high-tech, ont adopté cette nouvelle organisation du temps de travail, en se basant sur les résultats encourageants de l’expérimentation de Microsoft au Japon : « L’idée était non plus de réfléchir uniquement en termes de bien-être au travail mais de bien-être de la personne, explique Olivier de la Clergerie, le CEO de l’entreprise. Car la vie est devenue une course : la semaine est extrêmement rythmée, sans temps de pause ; le week-end, il faut gérer l’administratif, les enfants, l’intendance de la maison alors qu’on est fatigués. Certains salariés faisaient leurs courses en ligne ou leurs démarches administratives pendant leurs heures de travail car ils ne pouvaient pas faire autrement. »

De plus, la facilité offerte par les nouvelles technologies de travailler depuis presque n’importe où a des travers : « Nos vingt collaborateurs en profitaient pour travailler le week-end et en soirée, on s’est dit qu’il fallait arrêter cela et on a testé les quatre jours de travail dès 2015 ! précise Julien Gargowitsch, CEO du cabinet Nicholson Search and Selection, basé à Londres et spécialisé dans le recrutement de profils expérimentés pour les start up et les scale up.

A chacun son modèle

Si les trois entreprises ont décidé de maintenir les niveaux de salaire de leurs employés tout en réduisant leur nombre d’heures de travail, elles ont opté pour des modèles différents.

Chez IT Partner, la journée off peut se prendre du mardi au vendredi et change à chaque trimestre. Tout le monde se retrouve chaque lundi au bureau : « On travaille 8h par jour. On commence et on finit à la même heure qu’avant mais la pause midi a été raccourcie d’une demi-heure. On laisse aussi la possibilité de travailler 5 jours, lorsque des projets le nécessitent et si les collaborateurs sont d’accord. Ils sont alors payés en heures supplémentaires. »

« Mes enfants appellent le vendredi ’’la journée de papa’’ car c’est moi qui les emmène à l’école, qui vient les chercher, qui les accompagne au parc. »

De son côté, LDLC a proposé à ses collaborateurs de formuler trois choix de jours off par priorité pour toute l’année scolaire et tâche de contenter un maximum de collaborateurs : « Du fait de notre activité, on ne pouvait pas se permettre de fermer un jour par semaine. Les arbitrages ont été assez simples à prendre. Si les jours les plus demandés sont le lundi, le mercredi et le vendredi, certains nous ont proposé des systèmes de binôme pour alterner leur jour de repos en fonction des semaines paires ou impaires. Cela fonctionne bien ! »

Chez Nicholson Search and Selection, la journée sans travail, c’est le vendredi pour tout le monde : « Mes enfants l’appellent ‘’la journée de papa’’ car c’est moi qui les emmène à l’école, qui vient les chercher, qui les accompagne au parc, décrit Julien Gargowitsch. Nos clients ne nous ont jamais accusés de travailler moins, ce qui est sûr, c’est que l’on travaille mieux ! La semaine de quatre jours a été un choc positif ! »

Quels bénéfices pour les collaborateurs ?

Les trois entreprises ne regrettent pas d’avoir fait ce choix qui se traduit par de nombreux avantages pour les salariés. A commencer par la possibilité de retrouver du temps pour soi : « Ce jour off n’est pas un jour de week-end ou de congés : votre conjoint travaille, vos amis aussi, vos enfants sont à l’école. C’est une réappropriation de votre temps personnel au-delà du temps familial, souligne Abdénour Ainséba.

« La plupart de mes collègues ont décidé d’apprendre une nouvelle langue, de retourner à l’école, de se former sur certains outils, de pratiquer une activité sportive ou artistique, de partir en long week-end dans une capitale européenne », appuie Julien Gargowitsch.

Cette respiration dans la semaine a aussi un effet sain sur la santé mentale des équipes, moins enclines au stress, à la fatigue et au burn out. De fait, le taux d’absentéisme et les accidents du travail sont également en diminution.

« Mieux reposés et plus libres dans leur tête », selon Olivier de la Clergerie, les collaborateurs ont d’autant plus envie de revenir au travail et de s’impliquer dans leurs tâches. « Ce modèle a été un vrai accélérateur de plaisir au travail, poursuit-il. On a interrogé nos collaborateurs et 97% se déclarent contents ou très contents de la semaine de quatre jours ! »

Et pour l’entreprise ?

L’entreprise, aussi, y trouve son compte : « On a adopté d’autres habitudes de travail : optimisation des temps passés en réunion, plus grande disponibilité d’esprit pendant le temps de travail, le tout sans de perte de productivité réelle, témoigne Olivier de la Clergerie. On craignait un surcoût financier qu’on envisageait comme un investissement en termes de capital humain. Mais finalement, on a eu très peu de recrutements liés à cette nouvelle organisation. Nos collaborateurs ont trouvé leur rythme facilement. »

« Passer de 35 à 32h implique de chasser la non-qualité, en travaillant davantage en équipe, en améliorant la communication et en se préparant mieux pour assurer la continuité de services avec nos clients. »

Certaines entreprises ont même gagné en efficacité depuis ce changement de rythme : de 20% de productivité supplémentaire pour Nicholson Search and Selection, les deux première années, à 50% de hausse l’année dernière !

« J’ai connu le passage des 39 aux 35 h, on a vu que c’était possible. Ce qu’on faisait en 35h, on peut le faire aujourd’hui en 32h, assure Abdénour Ainséba. Mais ça implique de chasser la non-qualité, en travaillant davantage en équipe, en améliorant la communication et en se préparant mieux pour assurer la continuité de services avec nos clients. »

Autre point positif : l’instauration d’une meilleure ambiance de travail. « Ça créé un mélange de speed, d’exigence et de bien-être au travail. Une belle émulation qui remodèle notre culture d’entreprise, affirme le dirigeant d’IT Partner. Nos journées sont plus denses mais nos collaborateurs sont contents de venir au bureau et ont une vraie volonté de bien faire. »

Ce choix s’avère également un pari gagnant pour la marque employeur dans son ensemble, de l’aveu de Julien Gargowitsch : « C’est un facteur d’attractivité certain mais aussi un outil de fidélisation. La rotation du personnel est moins importante, ce qui est très positif pour nous car la longévité de nos collaborateurs dans l’entreprise se traduit par une meilleure expertise auprès de nos clients. »

Quelles conditions pour que cela fonctionne ?

La semaine de quatre jours est-elle la solution miracle pour conjuguer bien-être de vos collaborateurs et performance de l’entreprise ? « Je pense que cette organisation peut être utilisée par bon nombre d’entreprises, pour peu qu’elles soient saines, qu’elles communiquent bien avec leurs collaborateurs et que leur fonctionnement repose sur la confiance. Mais chacune doit développer son propre modèle en fonction de la nature de son activité, car les contraintes ne sont pas les mêmes que l’on travaille dans l’industrie, le BTP ou les transports », estime le CEO de Nicholson Search and Selection.

« Je ne crois pas que la semaine de quatre jours soit un modèle qui s’impose naturellement à toutes les entreprises mais je pense qu’elles se doivent d’engager la réflexion du temps de travail et de la flexibilité au travail. »

Pour opérer ce changement, il faut également prendre le temps d’accompagner les équipes. « Sept mois de concertation avec le CSE et les syndicats et une série d’entretiens individuels mensuels avec les collaborateurs ont précédé la mise en œuvre de ce nouveau rythme de travail, illustre le CEO de LDLC. On a choisi de négocier un accord à durée indéterminée car la notion d’expérimentation nous semblait contre-productive : nos collaborateurs auraient eu le sentiment qu’on leur donnait un avantage auquel ils n’avaient finalement pas vraiment droit. On a donc préféré dire aux syndicats : si jamais on voit qu’il y a des problématiques de fonctionnement, on se remettra autour de la table pour améliorer l’accord. »

« Je ne crois pas que la semaine de quatre jours soit un modèle qui s’impose naturellement à toutes les entreprises mais je pense qu’elles se doivent d’engager la réflexion du temps de travail et de la flexibilité au travail, complète-t-il. De notre côté, on a pu l’appliquer à une grande typologie de métiers (développement informatique, finance, RH, call center, logistique), ce qui prouve que ça peut fonctionner mais le passage aux quatre jours doit se faire au cas par cas, en concertation avec les organisations syndicales. C’est important que cette démarche repose sur la confiance et sur l’échange ! »

Bien s’équiper pour bien recruter