Pourquoi et comment recruter une personne réfugiée
Souvent laissées de côté par méconnaissance du statut, les candidatures de réfugiés peinent à aboutir. On vous explique en quoi l’embauche de ce type de profil est une aventure humaine mutuellement enrichissante.
Selon une enquête Cooptalis, réalisée auprès de 500 entreprises entre le 25 octobre et le 1er décembre 2021, seuls 13% d’entre elles recrutent des travailleurs réfugiés. Comment expliquer qu’elles soient si peu nombreuses à embaucher ce type de profil ?
La question se pose avec une urgence nouvelle alors que de nombreux travailleurs ukrainiens quittent leur pays depuis un mois pour fuir la guerre. Selon les chiffres du Haut Commissariat aux réfugiés, 26 000 Ukrainiens sont arrivés en France depuis le début de l’invasion russe.
Les freins des recruteurs : méconnaissance et préjugés
« De nombreux préjugés gravitent autour des réfugiés à cause d’un discours politique et médiatique dévalorisant, déplore Koniba Diomandé, chargée d’insertion professionnelle à la fondation Cos Alexandre Glasberg. On ne communique que rarement autour de leur intégration socioprofessionnelle, on ne les présente pas comme des personnes cherchant à s’insérer professionnellement, et pourtant ils sont loin d’être oisifs ! »
Contrairement à certaines idées reçues, une majorité de personnes réfugiées (66%) ont cherché du travail depuis leur arrivée en France, selon l’étude de l’Ifri « L’emploi des personnes réfugiées. Des trajectoires professionnelles aux politiques de recrutement des entreprises » parue en février 2022. Parmi ces personnes, 32% n’ont pas réussi à se faire embaucher et 10% ont trouvé des petits boulots. Elles travaillent principalement dans l’hôtellerie, le commerce, la restauration, la construction ou le bâtiment.
« Les entreprises craignent que l’embauche d’un réfugié ne soit synonyme de démarches administratives supplémentaires fastidieuses. Mais il suffit d’envoyer son titre de séjour à la préfecture pour vérification.
Autre obstacle au recrutement de ces candidats : la méconnaissance de leur statut juridique et administratif. Selon la définition de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), le terme de réfugié s’applique à « toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, [qui] se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. »
« Les employeurs ne font parfois pas la différence entre les réfugiés et les demandeurs d’asile. Or, ces derniers n’ont pas tous l’autorisation de travailler et doivent remplir davantage de conditions. Les entreprises craignent que l’embauche d’un réfugié ne soit synonyme de démarches administratives supplémentaires fastidieuses. Mais il suffit, comme pour tout travailleur de nationalité étrangère, d’envoyer son titre de séjour à la préfecture pour vérification. L’accord est souvent donné sous une ou deux journées », explique la chargée d’insertion professionnelle.
En cause également, les craintes liées à « la barrière de la langue, aux équivalences de formation et de diplômes obtenus dans un pays étranger et à l’acculturation digitale », développe Maude Fry, Business Developer chez Cooptalis, impliquée dans le Projet Mercure en faveur de l’insertion par l’emploi des personnes réfugiées.
« On se dit tout de suite qu’ils ne maîtrisent pas le français mais la France accueille de nombreux réfugiés francophones et, dans certains secteurs d’activité, comme le bâtiment ou l’hôtellerie-restauration, c’est le portugais ou l’anglais qui sont utilisés au quotidien », rappelle Koniba Diomandé.
Dernier stéréotype : cette main-d’œuvre est faiblement qualifiée. Les chiffres de l’Ifri nous apprennent, au contraire, que 40% des personnes réfugiées arrivées depuis moins d’un an en France ont un diplôme égal ou supérieur au baccalauréat et que ces populations sont victimes d’un phénomène de déclassement professionnel à leur arrivée. 40% d’entre eux s’estiment surqualifiés pour le nouveau poste qu’ils occupent. Entre la situation professionnelle de départ et d’arrivée de ces personnes, on passe de 10 à 2 % de cadres et professions intellectuelles supérieurs, et de 16 à 7% de professions intermédiaires. A l’inverse, la proportion d’ouvriers passe de 22 à 46 % et celles d’employés de 18 à 42%.
« Quand des hommes ou des femmes ont parcouru des milliers de kilomètres dans des conditions très difficiles, imaginez les efforts qu’ils sont capables de fournir dans le cadre professionnel ! »>
« Beaucoup de réfugiés cherchent des emplois peu qualifiés pour obtenir un logement rapidement, explique la chargée d’insertion professionnelle. La plupart du temps, ils ne s’intéressent pas à leur métier d’origine parce qu’ils savent que leur qualification ne sera pas reconnue. Souvent, cette prise de conscience est le début d’un deuil, d’une rupture. Mais, même si on leur dit de travailler leur principe de réalité à court terme, on les encourage à ne pas abandonner leur rêve professionnel. J’ai accompagné un architecte syrien qui a d’abord pris un poste de manœuvre bâtiment pour avoir un CDI, faire les démarches de visa, trouver un logement, permettre à sa famille de le rejoindre, mais qui a continué à apprendre le français et à se former. Aujourd’hui, il a rejoint un cabinet d’architecture. »
Qu’est-ce que ces travailleurs peuvent apporter à votre entreprise ?
Pourquoi les entreprises ont-elles tout intérêt à puiser dans ce réservoir de talents ? D’abord parce que ces collaborateurs « font preuve d’un engagement et d’un enthousiasme hors normes dans les missions qui leur sont confiées », assure Maude Fry. « Un patron me disait que ses équipes n’avait jamais autant ri que depuis qu’il avait embauché un jeune réfugié de 24 ans, qui a beaucoup d’humour et d’auto-dérision, et aime partager son expérience personnelle. Ces échanges interculturels améliorent le climat dans l’entreprise. Ces personnes sont souvent très heureuses de venir au travail et cela a un impact positif sur la performance de l’entreprise », témoigne Koniba Diomandé.
« Quand des hommes ou des femmes ont parcouru des milliers de kilomètres dans des conditions très difficiles, imaginez les efforts qu’ils sont capables de fournir dans le cadre professionnel ! » complète-t-elle. Pour Christophe Debray, directeur de recrutement chez Cooptalis, l’embauche d’un réfugié à un poste de chargé de recrutement, a été une belle surprise : « Mon premier réflexe a été de penser que ce collaborateur allait être plus difficile à intégrer, j’avais certains préjugés. Mais ceux-ci se sont évanouis dès que Gloire est entré dans la salle de l’entretien d’embauche. Il nous a remercié très sincèrement de le recevoir et nous a expliqué comment il avait quitté son pays car il était menacé de mort. J’ai pris une claque ! Vous vous dites que sa force de caractère et son courage vont forcément se répercuter dans son métier. Quand on lui a annoncé qu’il était embauché en CDI, c’était quasiment comme si on lui sauvait la vie. Sa famille vit encore dans une situation très compliquée et, malgré tout, il véhicule une grande joie et une bonne humeur au quotidien. Je me suis demandé pourquoi je n’avais pas fait cette démarche avant ! »
Quelles bonnes pratiques adopter pour recruter ce type de profil ?
Pour approcher ces candidats, le meilleur moyen est de diffuser vos offres d’emploi auprès d’associations d’accompagnement et d’insertion professionnelle des réfugiés, avec, éventuellement, les fiches de postes détaillées pour faciliter la compréhension des emplois proposés.
Koniba Diomandé suggère aussi de privilégier dans le processus de recrutement une sélection basée sur les compétences et non sur le statut : « Nous n’envoyons pas aux entreprises des candidatures de réfugiés mais de demandeurs d’emploi ! Le statut ne doit pas être évoqué lors de l’entretien d’embauche. »
La chargée d’insertion professionnelle conseille d’utiliser la méthode IOD (intervention sur les offres et les demandes), créée dans les années 1980 pour faciliter l’accès à l’emploi de publics en situation de précarité ou de vulnérabilité. Elle consiste à se baser sur les compétences contextualisées du candidat plutôt que sur un CV ou une lettre de motivation : « Questionnez le candidat sur ses compétences, ses appétences, son savoir-être. Faites preuve d’ouverture d’esprit et de curiosité intellectuelle pour le parcours de la personne qui se trouve face à vous. Ne cherchez pas à la déstabiliser, adoptez une posture bienveillante pour qu’elle livre le meilleur d’elle-même », conseille-t-elle.
Comment intégrer durablement ces personnes réfugiées au sein de votre entreprise ?
Cela commence par un soin particulier accordé à l’onboarding. L’Ifri recommande de mettre au point des programmes spécifiques de formation collective destinés à transmettre les valeurs de l’entreprises aux nouveaux arrivants, à échanger sur les codes de l’entreprise, à rencontrer les dirigeants dans un cadre informel, à proposer des formations à un français professionnel.
« Du côté de l’employeur, c’est important d’aborder la relation non pas sous l’angle de l’aide mais de l’échange. »
Certaines entreprises ont également mis au point un système de mentorat ou de parrainage : « Un réfugié guinéen avait appris la pâtisserie française dans son pays d’origine. Après son arrivée en France, il a travaillé dans le bâtiment, puis il a été plongeur et manutentionnaire. Mais il n’a pas abandonné son projet professionnel. Dans le cadre du programme Erasmus sur la pair-aidance, on a cherché des mentors pour lui : un autre réfugié qui a créé son propre restaurant et un restaurateur bordelais renommé. Aujourd’hui, ce jeune travaille dans la restauration. Son employeur me disait récemment : c’est une vraie bouffée d’oxygène quand il arrive, il est impliqué, il est dévoué, il est motivé. La clé de la réussite de cette collaboration de travail, c’est la confiance mutuelle », résume Koniba Diomandé.
« Du côté de l’employeur, c’est important d’aborder la relation non pas sous l’angle de l’aide mais de l’échange. Oui, les réfugiés ont besoin d’aide, mais celle-ci est temporaire, liée à une période, à un vécu, à une situation administrative qui se régularise. A un moment donné, il faut passer à autre chose. »