Le « grand détachement » ou le coût du désengagement au travail
Le mot RH de la semaine. Cofondatrice et CEO de Teale, Julia Néel Biz revient sur ce désinvestissement des salariés au travail et ses conséquences pour l’entreprise.
« Le grand détachement décrit un phénomène de désengagement professionnel : le salarié n’est plus satisfait de la situation actuelle mais se trouve dans l’impossibilité de démissionner parce que les conditions ne sont pas réunies (état du marché du travail, motif financier…). Cette attitude s’inscrit dans une tendance de long terme, qui a commencé avec la Grande démission, puis le quiet quitting ou la démission silencieuse. »
Un besoin davantage verbalisé par les jeunes générations
« Le grand détachement traduit une prise en compte accrue par les salariés de leur santé mentale au travail. Selon les cas, il peut prendre la forme d’un bore out ou dégénérer en burn out, si on ne s’attaque pas à ses causes. Le problème n’est pas nouveau ou propre aux jeunes générations, comme on le laisse parfois entendre. Mais il est vrai que la génération Z ou les millennials verbalisent davantage ce besoin que leur employeur priorise le sujet de la santé mentale. »
« Dans notre baromètre*, publié en mars 2024, 30% des salariés français disent avoir déjà songé à quitter leur entreprise à cause d’une santé mentale au travail dégradée. Au-delà des obligations légales de l’employeur de garantir la santé psychologique de ses collaborateurs, prioriser la santé mentale est donc aussi un enjeu d’attraction et de fidélisation de ses salariés. »
« On observe également qu’une mauvaise santé mentale et une perte de motivation au travail ont des impacts non négligeables sur la performance de l’entreprise. Les plus visibles d’entre eux concernent le niveau d’absentéisme et de turn over : selon notre dernière étude, le coût de l’absentéisme lié à la santé mentale représente 1 271€ par an et par salarié** et celui du turn over, 2 601€ par an et par salarié***. »
« Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. La principale conséquence néfaste est la perte de productivité. On estime la valeur de la productivité à risque pour cause de santé mentale à 14 000€ par an et par collaborateur. Nos chiffres montrent que les personnes en bonne santé mentale se sentent 2,2 fois plus motivées à travailler de manière productive que les autres (79% contre 36%). »
Comment lutter contre le grand détachement quand on est RH ?
« Tout d’abord, les RH peuvent commencer par mesurer le niveau de satisfaction et d’engagement de leurs collaborateurs, plusieurs fois par an, à travers des enquêtes. Ensuite, il convient de proposer des outils de soutien individuel aux collaborateurs (cela peut passer par des dispositifs digitaux permettant la consultation avec des experts de la santé mentale. Quelle que soit la solution mise en place, il faut privilégier les approches scientifiques basées sur les neurosciences ou les sciences cognitives et comportementales. »
« Ensuite, il faut bâtir un plan d’action qui s’attaque aux causes du problème : le plus souvent un manque d’alignement des collaborateurs avec l’entreprise, un manque de reconnaissance, une mauvaise relation managériale, un mauvais équilibre vie pro/vie perso, un stress trop important… Il faut privilégier les approches systémiques, à tous les niveaux de l’entreprise :
- Faire porter la démarche par des membres du Comex ;
- Créer une culture d’entreprise positive, alimentée par le sentiment de reconnaissance, de valorisation et d’autonomie chez les collaborateurs ;
- Former les managers aux enjeux de santé mentale, garantir le droit à l’erreur pour ne pas brider la créativité, mettre en place une organisation flexible du travail quand c’est possible ;
- Désigner des ambassadeurs en santé mentale vers lesquels tous les salariés peuvent se tourner en cas de besoin ;
- Au niveau individuel, former ses salariés à la gestion du stress, leur proposer de prendre part à des programmes de santé mentale et de bien-être au travail. »
*Baromètre réalisé auprès de 10 000 salariés par Teale, plateforme de prévention en santé mentale à l’impact mesurable et durable, et publié en mars 2024.
**Calcul basé sur le taux d’absentéisme moyen en France de l’Ifop (5%, soit 12 jours par an) et sur le baromètre de l’absentéisme 2024 de Malakoff Humanis (sur ces 12 jours annuels, 2,5 journées d’absence sont dues à des troubles psychologiques). Selon l’institut Sapiens, 25% de ces heures de travail perdues engendrent des coûts directs (salaires et avantages sociaux versés aux absents) et 75% des coûts indirects (non-production et désorganisation du travail).
***Calcul basé sur le taux de rotation moyen chiffré par l’Insee (15%). Parmi les départs comptabilisés, 40% sont dus à des causes liées à la santé mentale et aux risques psychosociaux, selon le cabinet Deloitte. En incluant les frais de recrutement, la désorganisation de l’entreprise, les pertes de production et la dégradation de la marque employeur, le départ d’un collaborateur coûterait entre la moitié et le triple de son salaire annuel, selon le cabinet Management de Transition.
****Calcul basé sur une valeur de la productivité par salarié a minima égale à son salaire, soit 43 000€ par an, selon les chiffres de l’Insee, et sur la part de salariés déclarant que leur productivité diminue à cause de leur santé mentale (34%).