« Trump a tort de dire que la diversité menace la méritocratie »

Entretien avec Adrien et Fabien Figula Letort, fondateurs d’AFL Diversity et auteurs de « Diversité et Inclusion, pourquoi l’entreprise ne peut plus attendre ».

"90% des salariés souhaitent que leur entreprise continue de s’engager sur les sujets de diversité et d'inclusion."
« 90% des salariés souhaitent que leur entreprise continue de s’engager sur les sujets de diversité et d'inclusion. » © Christophe POUGET

Dès le début de son deuxième mandat, le président américain, Donald Trump, a déclaré hors-la-loi les programmes DEI (diversité, équité et inclusion). Comment expliquer ce revirement dans un pays pourtant pionner en matière de discrimination positive ?

Fabien Figula Letort : L’administration Trump joue sur deux confusions pour faire marche arrière sur ces sujets. La première est l’idée selon laquelle en voulant corriger certaines inégalités, les politiques DEI en créent de nouvelles. Or, tous les chiffres montrent que c’est faux : notre dernier baromètre* montre que les personnes appartenant à au moins une diversité ont plus de risques d’être discriminées au travail que celles qui n’en font pas partie.

Deuxième fausse croyance : Trump a tort de dire que la diversité et l’inclusion menacent la méritocratie. C’est un fantasme qu’on retrouve dans certaines entreprises françaises et qui a malheureusement souvent été intériorisé par les salariées et les salariés. Le fameux : « Elle a été promue à ce poste à ma place parce qu’elle est une femme. » Il est important de rappeler qu’au contraire, les politiques de diversité et d’inclusion ne remettent pas en cause la méritocratie mais la renforcent en donnant les mêmes chances de départ à tous.

Plusieurs entreprises françaises ont reçu, fin mars, un courrier de l’ambassade américaine leur demandant de renoncer à leurs programmes de diversité et d’inclusion. Y a-t-il un risque qu’elles emboîtent le pas aux entreprises américaines ?

Adrien Figula Letort : Souvent, les tendances qui émergent aux Etats-Unis se propagent ensuite en France. Là, on peut penser que ce ne sera pas le cas, car les contextes historiques et culturels sont très différents. Aux Etats-Unis, les premiers programmes d’Affirmative Action ont été mis en place il y a 60 ans pour réparer des injustices. On l’a vu encore récemment avec l’émergence du mouvement Black Lives Matter après la mort de George Floyd.

En France, nous ne sommes pas allés aussi loin dans la discrimination positive et l’instauration de quotas qu’aux Etats-Unis. C’est aussi un sujet plus récent. Les entreprises françaises ont commencé à créer leur programme de diversité et d’inclusion il y a 15 ou 20 ans, mais c’est seulement depuis une petite dizaine d’années que ces plans d’action connaissent un réel essor. Et la logique est plus pragmatique que de l’autre côté de l’Atlantique : les entreprises mettent en place ces plans d’actions pour attirer et fidéliser des talents de plus en plus difficiles à trouver.

FFL : Autre différence, les Etats-Unis ont une approche très communautariste, multiculturaliste : chaque groupe célèbre sa propre culture, sa différence. Dans le monde de l’entreprise, cela se traduit par la constitution d’ERG (employee resource groups) exclusifs : par exemple uniquement pour les salariés afro-américains, seulement pour les femmes. En France, la logique est universaliste : tous les citoyens sont égaux en droits, peu importe leur orientation sexuelle, leur genre, leur origine, leur couleur de peau. Les entreprises françaises accordent de la place aux alliés au sein des groupes de travail et des réseaux d’entreprise promouvant la diversité et l’inclusion.

Pourquoi les entreprises ne peuvent-elles plus faire l’impasse sur ces sujets de diversité et d’inclusion aujourd’hui ?

AFL: D’abord parce que c’est une volonté des candidats, et notamment des plus jeunes d’entre eux, de travailler dans une entreprise engagée sur ce plan. Dire haut et fort que la diversité et l’inclusion sont importants renforce non seulement votre marque employeur mais permet aussi de fidéliser vos collaborateurs. Ils savent qu’ils travaillent dans une entreprise qui partagent leurs valeurs. Enfin, des salariés qui se sentent à leur place, libres de parler de leur handicap invisible ou de leur orientation sexuelle au travail, qui savent qu’ils auront les mêmes opportunités que leurs collègues, même s’ils n’ont pas la même origine sociale ou culturelle qu’eux, seront plus performants.

Qu’attendent les Français des entreprises en matière de diversité et d’inclusion ?

AFL : Notre baromètre montre que 90% des salariés souhaitent que leur entreprise continue de s’engager sur ces sujets. A l’inverse, ils ne sont que 8% à trouver que leur entreprise en fait trop en termes de diversité et d’inclusion. 76% constatent que leur employeur a progressé sur ces questions au cours des trois dernières années (soit 8 points de plus qu’en 2024). Les managers sont également fortement mobilisés sur ces enjeux : 86% déclarent s’être appropriés les sujets D&I. Les entreprises françaises ont atteint un certain niveau de maturité : les actions déployées commencent à porter leurs fruits. Il serait donc dénué de sens de revenir en arrière.

Pourquoi certains dirigeants se trompent-ils, d’après vous, lorsqu’ils disent que leur entreprise est « inclusive par nature » ?

AFL : C’est faux, car l’entreprise est une addition d’êtres humains qui ne sont pas inclusifs par nature. Les êtres humains ont tous des biais qui influencent leurs prises de décision, y compris lorsqu’il s’agit de recrutement, de promotion ou d’augmentation. Depuis la nuit des temps, l’Homme recherche naturellement des gens qui lui ressemblent. Si on ne met pas des verres correcteurs pour vérifier que notre jugement n’est pas biaisé, on s’expose au risque de discriminer.

FFL : Ça ne veut pas dire que cette discrimination est volontaire. Elle est le plus souvent inconsciente et liée à la fois à des mécanismes individuels (des automatismes du cerveau) et structurels (le manque de représentativité de certaines minorités à certaines fonctions). Mais il faut prendre conscience de ces biais pour pouvoir les combattre.

Y a-t-il certains angles morts dans les politiques diversité et inclusion des entreprises françaises ?

AFL : On observe que les entreprises priorisent les sujets encadrés par la loi. Tels que le handicap, avec la loi sur l’obligation d’emploi des personnes handicapées, et l’égalité professionnelle femmes-hommes, encouragée par les lois Copé-Zimmermann et Rixain ainsi que l’index de l’égalité professionnelle. La mise en place de ces quotas contribue à faire bouger les lignes.

FFL : A contrario, les diversités moins prises en compte par ces politiques d’entreprise sont l’origine sociale et géographique (quartiers prioritaires de la ville, ruralité…), la diversité ethnique et culturelle ainsi que les seniors.

Quelles actions sont jugées les plus efficaces par les salariés pour lutter contre les discriminations au travail ?

FFL : Ce sont les actions qui s’adressent à l’ensemble des collaborateurs, car elles favorisent une inclusion globale. Parmi celles-ci, on peut citer le recrutement par les compétences, qui passe par la formation des recruteurs et des managers. Le second levier est la formation et la sensibilisation de l’ensemble des salariés. Le troisième est l’engagement de la direction : on voit que l’impact des actions est bien plus important lorsque le sujet est porté par le dirigeant, en soutien des RH.

En complément, les personnes issues de certaines diversités plébiscitent des actions plus ciblées, telles que l’accompagnement durant la phase d’intégration dans l’entreprise, les procédures de signalement des discriminations en interne et la promotion de rôles-modèles, dans le top management mais aussi à tous les niveaux de l’entreprise pour faciliter la projection des autres salariés.

*Baromètre AFL Diversity X BVA People Consulting « Diversité et Inclusion en entreprise » réalisé auprès d’un échantillon de 1 001 salariés représentatifs de la population français selon la méthode des quotas.

Diversité et inclusion, pourquoi l’entreprise ne peut plus attendre, d’Adrien et Fabien Figula Letort, éditions de l’Aube, mars 2025, 208p.

 

 

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