« Toxic positivity » : quand la positive attitude vire au happywashing
Le mot RH de la semaine. Cédric Surget, expert en recrutement au Mercato de l’Emploi, explique le danger des injonctions permanentes au bonheur au travail.
« Le bonheur au travail est un objectif louable, mais il peut parfois se transformer en une injonction dangereuse : celle de toujours devoir être positif. C’est ce que l’on appelle la “positivité toxique”. Derrière les sourires de façade et les phrases encourageantes se cache une culture qui nie les émotions négatives, avec des conséquences néfastes pour les collaborateurs et pour l’entreprise elle-même. »
L’illusion du bonheur
« “Comment ça va ?”. Ce small talk anodin, cette question courtoise visant à engager la conversation, trouve souvent une réponse positive quel que soit l’état du récepteur. Cette question est devenue, au fil du temps, une formule d’automate, souvent vidée de son sens. Ce bonheur de façade, qui vise parfois à masquer une réalité plus âpre, trouve aussi un écho dans l’entreprise. La positivité toxique se manifeste par une obligation de toujours “faire bonne figure” (au nom de l’image de l’entreprise), avec un sourire forcé et un refus d’accepter les émotions négatives. »
« On la reconnaît à travers ces petites phrases qui banalisent le mal-être : « sois positif », « il y a toujours pire que toi ». Ces remarques, souvent bien intentionnées, ont pour effet d’invalider les sentiments des personnes en difficulté. Le collaborateur se sent alors jugé, incompris, et coupable de ne pas être à la hauteur. Cette culture du « tout va bien » peut pousser les collaborateurs à douter de leurs propres perceptions. On se met à penser : « Peut-être que c’est moi le problème, peut-être que j’en fais trop ». Cela détruit la confiance en soi, isole et, à terme, conduit à des mécanismes de survie malsains. »
Un impact dévastateur sur l’entreprise
« Ce petit théâtre du bonheur factice n’est pas sans conséquences. La positivité toxique n’est pas qu’un problème individuel ; elle est aussi un poison pour la culture d’entreprise. Elle peut générer :
- Une destruction de la confiance et de la sécurité psychologique : lorsque les talents ne se sentent pas autorisés à exprimer leurs émotions, ils ne peuvent pas construire de liens authentiques. L’écoute empathique disparaît au profit de réponses toutes faites, ce qui affaiblit le lien entre collègues et la relation avec la hiérarchie.
- Une perte d’authenticité : une culture de la positivité toxique empêche les employés d’être eux-mêmes. Or, pour innover et s’engager pleinement, chacun doit pouvoir s’exprimer dans toute son entièreté, y compris avec ses doutes et ses frustrations. L’incapacité à s’exprimer pleinement au travail étouffe la créativité et la passion des collaborateurs.
- Des burn-out et des départs : le fait de masquer constamment ses émotions négatives est épuisant. Cette tension constante mène au burn-out et au désengagement. L’entreprise perd alors ses meilleurs éléments, souvent sans en comprendre les raisons, car le dialogue n’est pas ouvert et les feedbacks ne sont pas sollicités. »
Comment bâtir une culture d’entreprise saine ?
« Il est possible de combattre la positivité toxique en encourageant un environnement plus authentique et bienveillant. Cela passe notamment par :
- L’authenticité : les managers et les dirigeants ont un rôle crucial à jouer. En montrant leur propre vulnérabilité et en partageant les défis qu’ils ont rencontrés, ils incitent les employés à faire de même. Un leader qui n’a pas peur de dire : « cette situation est difficile » ouvre la voie à une culture de l’honnêteté.
- L’écoute au cœur des relations : il faut remplacer les phrases de réconfort artificielles par une écoute active et empathique. Demander simplement « Qu’est-ce qui ne va pas ? » ou « Je comprends que tu sois contrarié » est un premier pas. Il s’agit de valider l’émotion plutôt que de la nier.
- Créer des espaces de dialogue : mettre en place des discussions régulières et confidentielles permet de déceler les problèmes en amont. Les employés doivent savoir qu’ils ont un espace pour s’exprimer sans crainte de jugement, pour trouver des solutions et pour apprendre de leurs difficultés. »
« Quid de l’authenticité ? En tant que professionnel(le)s des ressources humaines, il est de notre responsabilité de créer des environnements de travail authentiques où la parole se libère en toute sérénité. Rien ne sert de transformer l’entreprise en lieu faussement positif et artificiel. Rejeter la positivité toxique, c’est choisir de construire une culture de confiance, où chaque membre de l’équipe peut être pleinement lui-même, contribuant ainsi de manière plus significative et durable à la réussite collective. Un dernier petit conseil : et si au lieu du « comment ça va ? », on osait demander « comment te sens-tu aujourd’hui ? » ou, mieux encore, « de quoi as-tu besoin pour aller mieux ? ». »