Télétravail : 4 questions RH à se poser pour respecter l’égalité femmes-hommes
Lorsqu’il n’est pas suffisamment encadré, le télétravail peut creuser certaines inégalités professionnelles. Comment l’éviter ?

Une architecte sans cesse interrompue dans son travail par ses enfants qui traversent le salon. Une comptable contrainte de demander un jour de télétravail supplémentaire pour s’occuper de son enfant malade. Une ingénieure qui se reconnecte à 20h à son PC professionnel pour finir ce compte-rendu dont elle a dû interrompre la rédaction pour aller chercher son bébé à la crèche, lui donner à manger et le mettre au lit.
Quelques scènes de vie qui prouvent que le télétravail peut contribuer à renforcer les inégalités professionnelles, voire à en créer de nouvelles. Un état de fait dénoncé par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), dans un rapport publié le 23 février dernier. Ce texte formule une série de recommandations pour une mise en œuvre plus paritaire du télétravail.
Envie de creuser le sujet ? Voici les bonnes questions à se poser !
Quels collaborateurs et collaboratrices ont accès au télétravail ?
Cette réflexion renvoie à une autre question cruciale : qu’est-ce qu’un poste télétravaillable ? Selon l’appréciation de chaque employeur, en France, 36% (selon une étude du cabinet Sapiens) à 62% (d’après une étude du cabinet Boost) des emplois seraient, au moins partiellement, éligibles au travail à distance. « La fracture entre métiers jugés télétravaillables ou non peut jouer en la défaveur des femmes dans la mesure où les métiers majoritairement féminins – assistanat, métiers du service, etc. – sont intuitivement perçus comme moins télétravaillables », développe le rapport.
En s’appuyant sur les travaux de la sociologue Gabrielle Schütz, le HCE note que si les femmes sont plus nombreuses que leurs homologues masculins à souhaiter télétravailler, elles sont moins nombreuses qu’eux à obtenir l’aval de leur employeur. En cause, selon la chercheuse, des stéréotypes de genre : « Ainsi, pèse plus souvent sur les femmes que sur les hommes le soupçon que le télétravail leur permettrait de moins travailler pour se consacrer aux activités familiales. »
Pour réduire ces inégalités d’accès, le HCE préconise de se baser sur l’accord national interprofessionnel de 2020, qui conseille de conditionner l’éligibilité du télétravail à la nature des tâches à accomplir et à celle des métiers. « Cette approche permet, en effet, de déterminer de manière fine et pragmatique les activités qui, pour un poste donné, peuvent être réalisées en télétravail, ce qui permet ensuite de déterminer l’éligibilité de ce dernier au télétravail ainsi que la quotité de temps », précise le rapport.
Dans quelles conditions mes équipes travaillent-elles à distance ?
Plusieurs enquêtes relayées par le HCE concourent à montrer que les femmes ne bénéficient pas des mêmes conditions matérielles de télétravail que les hommes. Elles sont moins nombreuses à bénéficier d’une pièce dédiée à leur activité professionnelle à leur domicile, plus nombreuses à partager un espace de travail avec d’autres personnes et plus fréquemment interrompues dans leurs tâches, notamment par leurs enfants.
Dans ces contextes de télétravail, parfois moins propices pour les collaboratrices, l’employeur doit veiller à offrir à tous et à toutes la possibilité de venir travailler sur site dans de bonnes conditions. « En particulier, le développement de certaines pratiques comme le flex-office, associé à une réduction des locaux, ne doit pas compromettre le principe de réversibilité du télétravail, le ou la salarié(e) en télétravail devant garder la possibilité de revenir sur site s’il ou elle le souhaite et donc bénéficier d’un espace de travail adapté sur site et permettant d’effectuer les activités individuelles et collectives. » L’option de tiers lieux pouvant accueillir des équipes peut, elle aussi, être envisagée pour répondre à ce besoin.
De plus, en l’absence d’un encadrement suffisant, le télétravail engendre généralement un volume de travail accru, en particulier chez les femmes (23% d’entre elles considèrent qu’il augmente contre 15% des hommes, selon l’Insee).
Le brouillage de la frontière vie pro/vie perso renforce également la double journée des femmes. Selon les travaux d’Emilie Vayre, si les confinements ont contribué dans une certaine mesure à rééquilibrer les tâches domestiques au sein du couple, 37% des femmes télétravaillant 6h ou plus par jour consacrent au moins deux heures quotidiennes aux tâches domestiques contre 21% des hommes télétravaillant 6h ou plus par jour.
Pour pallier ces dérives, l’employeur doit se porter garant du droit à la déconnexion de ses salariés, en définissant notamment des plages horaires de travail et en chargeant les managers de s’assurer du respect de celles-ci. Les chefs d’équipe doivent aussi rester vigilants quant à la charge de travail de leurs collaborateurs travaillant à distance.
Quels sont les risques du télétravail sur leur santé ?
Le HCE alerte sur les impacts néfastes du télétravail sur la santé physique et mentale des travailleurs (troubles musculosquelettiques ou du sommeil, symptômes dépressifs, épuisement professionnel, augmentation du stress…). Autant de maux qui touchent les femmes dans une plus grande proportion que les hommes. Ce mode de travail présente également des risques accrus de harcèlement et de violences sexuelles, que ce soit dans le cadre professionnel ou domestique.
Limiter le nombre de jours de télétravail permet de prévenir les risques d’isolement et de maintenir la cohésion d’équipe. Même s’il est bon de prévoir, dans sa charte de télétravail, une possibilité de télétravailler à 100% dans certaines situations exceptionnelles : collaboratrices enceintes, travailleurs en situation de handicap…
Par ailleurs, intégrer les risques liés au télétravail sur la santé des salariés dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) permet à l’employeur de mettre en œuvre des mesures de prévention adaptées permettant de protéger la santé tant mentale que physique des femmes et des hommes, en y associant les services de prévention et de santé au travail.
Le télétravail peut-il constituer un frein aux évolutions de carrière ?
« La culture du présentéisme (encore très présente en France), qui se traduit par le fait que le simple fait d’être vu au bureau peut affecter les évaluations de performance et les promotions, risque de peser de manière défavorable sur les évolutions de carrières des personnes en télétravail. Le risque pour les télétravailleurs et les télétravailleuses est que leur travail soit invisibilisé comparativement aux personnes revenues en présentiel. Ce phénomène se trouve potentiellement accentué pour les femmes dans la mesure où il a été constaté qu’en situation de télétravail, lors des réunions en visioconférence, les femmes avaient tendance à moins prendre la parole », précisent les auteurs du rapport.
Pour limiter ces biais, le HCE recommande d’intégrer un module « égalité professionnelle » aux formations de management à distance, avec notamment pour objectifs de construire une relation de confiance et d’exclure le surcontrôle. Il préconise également la mise en place d’un suivi de l’évolution de carrière des salariés en travail hybride ou télétravail, portant sur des critères comme la rémunération, les promotions ou les formations suivies, qui pourra s’effectuer au moment de l’entretien annuel.
Enfin, pour que la situation de télétravail ne soit pas subie par les femmes n’ayant pas d’alternative pour garder leurs enfants ou prendre soin d’un proche en situation de dépendance. Afin de leur venir en aide, le HCE recommande aux employeurs de renforcer leurs politiques de soutien à la parentalité et à l’aidance (crèche d’entreprise, jours de congé supplémentaires…).