« La semaine de 4 jours est utile pour créer des emplois et recruter plus facilement »
La semaine de quatre jours séduit de plus en plus d’entreprises dans le monde. Entretien avec l’un de ses plus fervents défenseurs, en France, Pierre Larrouturou.
Une étude de l’association 4 Day Week Global, publiée le 30 novembre, montre que parmi 27 entreprises ayant testé la semaine de quatre jours durant six mois (aux Etats-Unis, en Irlande et en Australie), aucune n’a décidé de revenir en arrière. Signe que la semaine de quatre jours sans baisse de salaire fait de plus en plus d’adeptes, en particulier au Royaume-Uni, en Irlande, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande. « En 2023, plus de 100 entreprises vont venir s’ajouter au panel de cette enquête, se félicite Charlotte Lockhart, co-fondatrice et CEO de 4 Day Week Global. Nous espérons que nos résultats vont encourager d’autres acteurs à tester la semaine de travail réduite dans leurs organisations. »
« Les gains de productivité doivent-ils forcément déboucher sur du chômage ? »
Remis sur le devant de la scène durant l’épisode Covid, ce modèle est pourtant débattu depuis près de trente ans en France. L’eurodéputé Pierre Larrouturou est l’un des premiers à avoir vanté les bienfaits de la semaine de quatre jours dans l’Hexagone : « Au début des années 1990, en tant que jeune ingénieur chez Arthur Andersen (devenu Accenture), j’aidais les entreprises à réaliser des gains de productivité, cinq jours par semaine. En parallèle, j’étais militant chez ATD Quart-Monde et, chaque samedi, j’allais à la rencontre de personnes vivant dans la précarité et le chômage. Au bout d’un moment je me suis demandé si les gains de productivité devaient forcément déboucher sur du chômage et de la pauvreté, d’une part, et des burn out d’autre part, ou si on pouvait trouver une solution pour un autre partage du travail qui améliore le bien-être de tous. »
La semaine de quatre jours lui apparaît alors comme la solution : « En 1993, j’ai réfléchi à un système de financement qui permettait une réduction du temps de travail sans baisse de salaire et sans augmentation des coûts pour l’entreprise. » Avec une condition simple : si une entreprise passe à la semaine de quatre jours et créé au moins 10% d’emplois, elle est exonérée de cotisations chômage. « Certains disent que je suis le premier à avoir parlé de la semaine de 4 jours mais en réalité c’est le patron de Danone, Antoine Riboud, qui, juste avant le lancement de notre initiative, a fait la Une du Monde en expliquant qu’il fallait passer à la semaine de 32h sur quatre jours, sans étape intermédiaire, pour créer des emplois », rembobine le député européen.
Des tests aux résultats concluants dans le monde entier
Dans cette droite lignée, la loi de Robien (1997) permet d’expérimenter la semaine de quatre jours et conditionne l’exonération de cotisations à une baisse effective du temps de travail et à la création de 10 % d’emplois nouveaux en CDI. 400 entreprises françaises, de taille et de secteurs d’activité variés (Pasquier, Yprema…), passent alors à la semaine de quatre jours. La première loi Aubry (1998), instaurant les 35h, prévoit aussi une conditionnalité de ce type. « Mais, en voulant apaiser le patronat, hostile aux 35h, la loi Aubry 2 a installé une ambiguïté, permettant aux entreprises de bénéficier des mêmes exonérations en restant à 38,5h hebdomadaires de travail réel, déplore Pierre Larrouturou. Cela a porté un coup d’arrêt aux débats sur la réduction du temps de travail et aux avancées sur la semaine de quatre jours pendant 15 ans. »
La crise sanitaire a marqué un regain d’intérêt pour ce sujet laissé dans l’ombre : de nombreux pays ont ouvert la porte à une expérimentation de la semaine de quatre jours de travail. En optant pour différents modèles : une semaine de 32 heures payées 40 testées dans 200 entreprises espagnoles, une concentration des 38h hebdomadaires sur quatre journées en Belgique. « La pandémie a fait germer une définition nouvelle de l’équilibre vie pro/vie perso chez les actifs », constate Charlotte Lockhart. L’étude de 4 Day Week Global met, en effet, en évidence que les salariés ayant testé la semaine de quatre jours sont moins en proie au stress, à la fatigue et au burn out. « De leur côté, les entreprises rapportent un niveau de productivité accru, un effet positif sur leur performance globale, une augmentation de leur nombre de recrutements et une baisse du nombre de démissions et du taux d’absentéisme », complète la co-fondatrice de l’association.
Un projet-pilote porté par l’UE sur la semaine de quatre jours
Des success stories inspirantes qui valent la peine d’être portées à la connaissance de tous. C’est l’objectif du projet-pilote que l’Union européenne vient d’intégrer à son budget 2023 : « L’idée est d’aller rencontrer des patrons et des salariés européens, qui sont passés à la semaine de quatre jours, afin qu’ils témoignent des réussites et des difficultés rencontrées », explique Pierre Larrouturou. A moyen terme, ce projet pourrait ouvrir la voie à des législations nationales facilitant le passage à la semaine de quatre jours.
« Nous constatons que de plus en plus de gouvernements s’engagent sur le sujet, assure Charlotte Lockhart. D’abord en apportant leur soutien à des programmes pilotes, que ce soit en les appliquant dans la sphère publique ou en accompagnant des entreprises privées à conduire des essais en leur versant des subventions. Ensuite, en investissant dans des programmes de recherche. L’Etat est le seul à pouvoir engager tous les acteurs au niveau d’un secteur d’activité et peut jouer un rôle particulièrement utile dans les domaines qui nécessiteront un accompagnement plus poussé dans la transition vers la semaine de quatre jours, comme le secteur agricole ou hospitalier. »
Selon Pierre Larrouturou, l’adoption de la semaine de quatre jours va dans le sens de l’histoire : « Si l’on se réfère aux travaux de l’ancien ministre de l’Economie américain, Robert Reich, la production a augmenté de 80 à 90% en l’espace de trente ans, mais le besoin de travail a, lui, baissé de 30%, grâce au développement de nouvelles technologies, de la digitalisation, de la robotisation et à l’arrivée sur le marché du travail de générations de plus en plus diplômées. Partant de ce constat, deux solutions sont possibles : soit on laisse 30% de gens au chômage ou dans des petits boulots mal rémunérés, soit on reprend le mouvement historique qui nous a fait passer de sept jours de travail, il y a un siècle, à six jours, puis cinq jours, et on adopte la semaine de quatre jours ! »
« On est loin de la fin du travail ! »
« Aujourd’hui, on vit une situation paradoxale où on a encore 3 000 000 personnes au chômage, en France (plus de 5 000 000 toutes catégories confondues), et où certaines entreprises ont du mal à recruter. La semaine de quatre jours est utile pour créer des emplois, pour faciliter les recrutements en proposant de meilleures conditions de travail, mais aussi pour favoriser l’accès à la formation, notamment dans les PME, assure le député européen. Quand vous n’avez que cinq ou six salariés, ce n’est jamais le bon moment pour organiser une formation. Si on passe à quatre jours de travail, un collaborateur peut, plus facilement, consacrer un jour à se former, s’il peut passer le relais à un binôme. C’est une liberté nouvelle et un facteur de compétitivité. »
« On est loin de la fin du travail ou du droit à la paresse qui font les gros titres des journaux. Il faut du travail, les carottes ne poussent pas toutes seules, les maisons ne se construisent pas toutes seules. Le travail continue de nous construire, de constituer une part de notre identité. On a encore besoin de travail, mais moins », note Pierre Larrouturou. Au-delà de la réduction du temps de travail, la semaine de quatre jours remet au cœur des débats la question de l’équilibre des temps de vie et du contenu du travail. Des sujets clés dont doivent s’emparer les entreprises soucieuses d’attirer et de conserver leurs talents !