Futur du travail : le virage que les entreprises ne doivent pas rater

Pour Samuel Durand, producteur du documentaire « Skills : make it work », en ligne depuis mi-avril, les entreprises doivent placer les compétences au cœur de leurs politiques RH.

Samuel Durand Work in Progress
Quand il est confronté à un projet de transformation, la question que se pose tout individu est : « Quelle va être ma place dans cette nouvelle organisation ? ». © Quentin Blondeau/Hellowork

Avoir les bonnes compétences au bon moment, voilà le défi auquel toutes les entreprises font face dans un monde du travail de plus en plus mouvant et incertain. Cette question est au cœur de « Skills : make it work », quatrième opus de la série documentaire « Work in Progress » de Samuel Durand, producteur et conférencier, spécialiste du futur du travail.

Quel est l’objectif de votre série documentaire « Work in Progress » et pourquoi avoir choisi ce format ?

Samuel Durand : L’idée de cette série est de partager de bonnes pratiques du futur du travail, repérées en France et à l’étranger, pour nourrir les transformations des organisations. Le documentaire permet d’entrer plus facilement dans le sujet en reprenant les codes de l’entertainment, bien connus de ceux qui regardent les séries des plateformes : de belles images, des témoignages pour humaniser des process RH parfois désincarnés, voire poussiéreux, et un ton hyper positif pour aborder un sujet sérieux.

Le dernier épisode que vous avez sorti est consacré aux compétences. En quoi cette question est-elle centrale pour permettre aux entreprises de faire face aux transformations du monde du travail ?

S. D : La question des compétences sous-tend tous les autres sujets de transformation du travail. Quand celui-ci est confronté à un projet de transformation, la question que se pose tout individu est : « Quelle va être ma place dans cette nouvelle organisation ? ». En fait, sa place dépendra des compétences qu’il possède : est-ce que celles-ci sont encore à jour et pertinentes par rapport aux mutations que va vivre l’entreprise ? C’est pour cela que de plus en plus d’entreprises tendent à devenir des skills-based organizations, c’est-à-dire des organisations dont le fonctionnement est centré sur les compétences plutôt que sur les postes ou l’expérience des collaborateurs.

Quelles compétences sont aujourd’hui indispensables pour adapter son entreprise aux transitions technologiques, écologiques et démographiques ?

S. D : La curiosité, l’autonomie et l’enthousiasme d’apprendre sans cesse de nouvelles choses, car on sait que le job pour lequel on signe aujourd’hui ne sera probablement pas le même dans trois mois, dans six mois, dans un an. On doit être capable de se voir comme un être qui peut changer, qui peut être à la fois généraliste et spécialiste, qui sait remettre en question ce qu’il a appris, oublier certaines compétences et en acquérir de nouvelles.

Les compétences comportementales tendent donc à devenir plus précieuses que les compétences techniques pour les employeurs ?

S. D : Il faudra les deux ! Les hard skills seront toujours indispensables pour être performant dans son métier, mais celles-ci ayant une durée de vie de plus en plus courte, il faudra les mettre à jour plus régulièrement. Là où les soft skills pourront servir tout au long de la carrière du collaborateur, ce qui les rend d’une certaine manière plus précieuses pour un employeur.

Quelles sont les principales leçons que vous avez retenu des entreprises auxquelles vous avez rendu visite dans le cadre de ce documentaire ?

S. D : L’atelier Tuffery, une entreprise familiale basée à Florac, dans les Cévennes, a pris le virage de la skills-based organization sans même le savoir en choisissant de développer la polyvalence de ses équipes. Elle a fait le pari de former l’ensemble de ses collaborateurs aux 80 étapes de confection d’un jean. Ce modèle lui permet d’être très robuste à tous les changements de business model qui pourraient survenir : aujourd’hui ses collaborateurs fabriquent des jeans, mais demain ils peuvent faire des voiles de bateau ou des vêtements pour l’armée.

Au Danemark, nous avons découvert une expérience très réussie de reskilling à l’échelle, portée par State of Green, une organisation à but non lucratif issue d’un partenariat public-privé. Un port qui était majoritairement dédié à l’énergie fossile est devenu le port européen de référence en matière d’énergies renouvelables. Pour opérer cette transition verte, 8 000 personnes travaillant dans 200 entreprises différentes ont dû acquérir de nouvelles compétences. Ça a fonctionné grâce à la coopération étroite entre les syndicats, l’entreprise et l’Etat sur trois volets : réglementaire (imposer les mêmes objectifs de réduction de gaz à effet de serre à tous), financier (subventionner les énergies propres et taxer les énergies polluantes) et sur le plan de la formation (identifier les métiers qui vont disparaître et les nouveaux métiers et compétences liées, et faire financer par l’Etat ou les syndicats ces actions de reskilling).

Enfin, au Japon, où la population est vieillissante et est amenée à travailler plus longtemps, tout l’enjeu est de s’assurer que les travailleurs disposent des bonnes compétences pour être encore capables de travailler à 70 ans. C’est pourquoi une formation sélective est proposée dès 55 ans, si les Japonais veulent travailler au-delà de 60 ans. L’objectif de cette formation est de les aider à développer de nouvelles compétences en fonction des besoins de recrutement. L’autre défi est la transmission des compétences avant que ces personnes ne quittent le marché du travail. Par exemple, chez Toyota, on s’est rendu compte que des ingénieurs experts des moteurs thermiques étaient aussi excellents pour travailler sur les véhicules électriques. L’entreprise a donc mis en place des dispositifs de mentorat pour que les collaborateurs sur le point de partir à la retraite transmettent leurs savoir-faire aux jeunes générations.

De quels leviers disposent les RH pour remettre les compétences au cœur de leur organisation ?

S. D : Les RH peuvent se baser sur des outils d’IA pour créer des référentiels dynamiques de compétences, en agrégeant des données : informations du CV, bilans de projets sur lesquels la personne a travaillé, comptes-rendus d’entretiens avec le manager, Peer Review (ce que les collègues d’un salarié disent de lui). Cette technique permet d’avoir une photographie des compétences de chacun, en temps réel, et de lier ces informations avec les envies du collaborateur. Elle facilite les discussions éclairées et efficaces, entre RH et collaborateurs, managers et collaborateurs, RH et managers, sur les recrutements, les promotions et les formations à envisager. Le gros challenge des entreprises aujourd’hui est de mettre leurs datas RH à jour. Tant que ce n’est pas le cas, elles ne peuvent pas déployer d’outils IA pour bâtir ces référentiels de compétences.

« Skills : make it work », écrit et produit par Samuel Durand, réalisé par Florent Vinouze et Guillaume Mougin, sorti le 13 avril 2025, documentaire, 49 min.

Bien s’équiper pour bien recruter