Vie de RH : « Le jour où j’ai été recruté pour licencier 150 personnes »
Gérant de l’agence mRHq et ancien DRH, Jean-Michel Boquet revient sur un épisode éprouvant de sa vie professionnelle.
« On cherche quelqu’un pour mettre en œuvre un plan social »
« A l’époque, j’ai 25 ans, je suis dans le groupe Renault depuis deux ans, à la direction des ressources humaines. C’est mon premier poste. Je sais qu’il me faudra attendre 15 ans, voire plus, pour atteindre le poste à responsabilités que je convoite. Je suis en veille et je tombe sur une offre d’emploi dans une société de maintenance informatique qui dit : ‘’On cherche quelqu’un pour mettre en œuvre un plan social’’. Ça ne m’attire pas spécialement sur le plan émotionnel mais sur le plan fonctionnel, ça m’intéresse beaucoup car, sans être cynique, ça fait appel à des techniques de négociation, à des connaissances en droit du travail. Le challenge est très clair : il faut annoncer à 150 collaborateurs sur 600 qu’ils sont licenciés. Tout a été négocié, mis en place, il n’y a plus qu’à appuyer sur le bouton pour déclencher le PSE. Je postule, je suis recruté trois jours après. »
« J’ai peur de ne pas être à la hauteur »
« La veille de prendre mon poste, je suis saisi d’un doute, je ne sais plus si je veux y aller. J’ai peur de ne pas être à la hauteur. J’appelle mon futur DRH qui me dit : ‘’Tu as deux façons de faire :
- soit tu agis de manière comptable : tu prends le fichier avec les noms des personnes à licencier, tu édites les lettres de licenciement, tu les signes, tu les envoies, et tu passes à autre chose. Ça te prendra 10 minutes, ça ne te donnera pas mal à la tête, mais les conséquences vont être doublement dramatiques pour les salariés licenciés : ils perdront leur job et ils n’auront pas été considérés
- soit tu y mets du cœur, tu vas rencontrer individuellement les gens et tu vas les aider à retrouver un emploi ou une formation pour se reconvertir. Les conséquences seront moins pires pour les collaborateurs mais toi, ça va t’empêcher de dormir. »
« Aucun discours n’est entendable lors d’un licenciement économique »
« Ma réflexion est ultra rapide : je choisis de faire le tour de France, de rencontrer chacun. J’anime l’antenne emploi et nous accompagnons 90% de nos anciens salariés dans leur retour à une situation stable. On s’efforce de faire le maximum mais un licenciement économique, c’est extrêmement dur. C’est profondément injuste. Quand vous avez, face à vous, quelqu’un qui est entré dans la boîte il y a 30 ans, alors que vous n’étiez même pas né, et que vous lui annoncez qu’il doit partir, c’est un grand traumatisme. Aucun discours n’est entendable à ce moment-là. Il faut simplement être présent, écouter, parfois servir de défouloir et laisser aux personnes le temps d’avoir à nouveau la capacité de se projeter.
En prenant le temps de rencontrer les gens, le licenciement a pris un mois de plus mais les conséquences ont été moins dramatiques. Et j’ai pu continuer à travailler sereinement avec les 450 personnes qui restaient : j’ai vécu de chouettes moments avec les collaborateurs et les partenaires sociaux pendant les trois années que j’ai passées dans l’entreprise. Même si on ne travaille pas dans les RH pour être aimé mais pour servir à quelque chose, pour être utile aux gens. »
« Le quotidien d’un RH, ce ne sont pas que de beaux recrutements et des sauvetages d’entreprise »
« Je raconte cette anecdote en début d’année, à chaque promo de futurs RH que je rencontre dans le cadre de mes cours. Je leur dis : ‘’Si vous êtes capables de choisir la seconde option, bienvenue à bord ! Sinon, sans doute que vous vous êtes trompés de voie.’’ Cette expérience a façonné ma façon de faire mon métier. C’est important de dire aux étudiants qui se destinent à cette profession que le quotidien d’un RH, c’est aussi ça, ce ne sont pas que des choses magnifiques, de beaux recrutements, des sauvetages d’entreprise. Et de leur dire que, même dans les instants difficiles, c’est une fonction qui doit rester humaine, même si ça nous coûte personnellement un peu plus. La fonction RH n’est pas une fonction comptable, on travaille avec la plus belle des matières : des femmes et des hommes.
Si vous vivez un jour un tel scénario, je vous conseille de vous blinder émotionnellement, autant que possible. Dites-vous que ce n’est pas votre personne qui est détestée mais le titre que vous portez. Cette distinction permet de vivre un peu moins difficilement les choses. »
Après un début de carrière à la direction des ressources humaines de Renault, Jean-Michel Boquet a été responsable des ressources humaines d’une entreprise de maintenance informatique avant d’exercer la fonction de DRH au sein du groupe Coralis, puis de la Brioche Dorée. Il y a huit ans, il a créé son agence d’accompagnement des entreprises sur leurs enjeux RH : mRHq (mes ressources humaines au quotidien) dont la raison d’être est : replacer l’humain au cœur des organisations. Il est également professeur associé à l’université de Rennes 1 dans le cadre du Master AIPME, en charge des ressources humaines.
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