« Comment j’ai recruté deux collaborateurs autistes »

Ma victoire RH, la série qui célèbre vos grands succès et vos petites victoires professionnelles. Rencontre avec Joëlle Catheland, DRH chez fulll, éditeur de logiciels pour les experts-comptables.

recrutement profils autistes
« Les personnes autistes peuvent exercer tout type de métier pour peu que les managers soient suffisamment formés et que l’entreprise fasse les ajustements nécessaires. » © fulll

« J’ai toujours été intéressée par l’impact du collectif de travail sur la performance du collaborateur. Quand on travaille dans une entreprise où l’on s’épanouit, on est plus performant. C’est intéressant d’avoir une influence, en tant que RH, pour améliorer l’environnement de travail, l’organisation et la communication au sein de l’entreprise. C’est de notre responsabilité de mettre en place un cadre de travail qui permette à tous les talents de s’exprimer. »

« Les neuroatypiques peuvent très bien vivre dans le monde de l’entreprise »

« En rencontrant Mara Staub, fondatrice d’Autypik, une solution de recrutement pour les personnes neuroatypiques, j’ai été personnellement touchée de sentir que des personnes concernées par un trouble autistique ou TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) avaient des envies professionnelles et des compétences mais étaient freinées dans leur recherche d’emploi par des process de recrutement trop rigides. J’ai appris que le taux de chômage des profils neuroatypiques était trois à cinq fois plus élevé que pour les profils classiques. J’ai compris que, finalement, ces personnes pouvaient très bien vivre dans le monde de l’entreprise, moyennant quelques ajustements. Et justement, quand on est DRH, on a toute la latitude pour faire ces ajustements. »

« Cette réflexion est venue à un moment où l’on a décidé de revoir nos objectifs de recrutement : chez fulll, on travaille dans un secteur très concurrentiel, l’édition de logiciels, qui est en forte croissance et nécessite de recruter massivement. On est parti très fort en 2021, avec une centaine de recrutements. Mais on s’est rendu compte qu’intégrer autant de nouveaux salariés d’un coup n’était pas optimal en termes d’expérience collaborateur. Aujourd’hui, on est revenu à un rythme de 50 à 70 recrutements par an et on compte 280 collaborateurs. Et quand on n’arrive pas à trouver des candidats qui correspondent à nos besoins, on a d’autant plus envie d’aller tendre la main à ceux auxquels les recruteurs ne pensent pas. »

« Des solutions RH pour rendre leur travail vivable »

« Avant de faire le moindre recrutement visant ces profils spécifiques, on a voulu s’assurer qu’on avait tous les ingrédients pour que cela se passe bien. Nous avons mis l’accent sur la communication et la sensibilisation de tous nos collaborateurs, puis nous avons formé l’équipe RH et tous les managers. Mara d’Autypik est intervenue pendant notre kick off annuel. Après cette présentation, la parole s’est libérée : un collaborateur nous a parlé de son frère autiste, un autre de son fils TDAH et on s’est rendu compte que de nombreux salariés étaient concernés de près ou de loin par le sujet. On a ensuite organisé un webinar de sensibilisation. Normalement, on a un taux de participation de 50% à nos webinars RH et pour celui-ci on n’était pas loin de 100%. »

« On n’a pas trop eu de mal à embarquer tout le monde, y compris les managers. On s’est aussi rendu compte qu’il y avait déjà cinq personnes autistes dans l’entreprise, alors qu’on ne le savait pas. Ils ont accepté de témoigner en vidéo pour nous expliquer ce qui était compliqué pour eux au travail : selon les cas, une sensibilité particulière à la lumière, au bruit ou aux odeurs, des difficultés à créer du lien social, et les stratégies qu’ils mettaient en œuvre pour les cacher. Côté RH, on a ensuite trouvé des solutions pour rendre leur quotidien de travail vivable en proposant à certaines personnes un bureau individuel ou en déplaçant la sonnette d’entrée, par exemple. »

« On filme le trajet de la porte d’entrée au bureau pour les candidats »

« Ensuite, on a créé un parcours candidat spécifique avec des process de recrutement adaptés. Le descriptif du poste dans nos offres d’emploi est bien plus détaillé que d’ordinaire : on va jusqu’à filmer le trajet entre la porte d’entrée et le bureau pour que la personne se représente l’espace qu’elle va occuper, puis on filme le bureau et les collègues. On transmet le détail d’une semaine-type pour faciliter leur projection. On met aussi en avant les difficultés du poste et on passe en revue les aspects pratiques : combien de temps la personne doit être présente sur site, sur quels horaires, où peut-elle déjeuner, quel est l’environnement lumineux et sonore de travail ? »

« Du côté du profil recherché, on axe sur les compétences, car les CV des candidats neuroatypiques ne sont pas classiques : ils retracent le parcours de la personne qui inclut sa vie personnelle, ses expériences professionnelles, ses formations, y compris en autodidacte, son but dans la vie, son trouble cognitif et les adaptations nécessaires à mettre en place. »

« Des process de recrutement plus structurés et plus efficaces »

« On envoie aussi aux candidats un formulaire de pré-entretien pour leur demander s’ils préfèrent que le recruteur les tutoie, les vouvoie, les regarde dans les yeux ou non, car on sait que certains comportements peuvent les déstabiliser. Un autre réflexe à avoir est de ne pas appeler directement un candidat dont on trouve le CV intéressant, mais plutôt de lui envoyer un mail pour lui demander ses disponibilités pour un échange et lui indiquer les questions et les sujets qu’on veut aborder avec lui. C’est intéressant aussi en termes d’expérience de recrutement, ça nous pousse à structurer davantage et à être plus efficaces. »

« L’autre spécificité de ce parcours, c’est la mise en place d’un test sur-mesure pour évaluer les compétences de la personne tout en la mettant à l’aise. C’est certain que cette personnalisation rend le process de recrutement plus long qu’un recrutement classique, mais on est aussi sur de plus petits volumes : deux à trois recrutements par an. »

« Une fois le collaborateur recruté, la phase d’onboarding est assez similaire à celle des autres nouveaux, avec quelques adaptations. On limite, notamment, à trois le nombre d’interlocuteurs rencontrés la première semaine. Quinze jours avant la prise de poste, un coach fait le point avec le collaborateur pour connaître ses principales sources d’appréhension ou d’angoisse et les relaie auprès de nous pour qu’on prépare au mieux son arrivée. Le coach échange ensuite à intervalles réguliers avec la personne et l’équipe RH pendant la première année dans l’entreprise. »

« Leur particularité peut devenir une force extraordinaire au travail »

« L’année dernière, nous avons recruté deux personnes autistes, l’une sur un poste de communication interne et un autre à la technique. Je pense que tous les métiers sont ouverts à ces profils pour peu que les managers soient suffisamment formés et que l’entreprise fasse les ajustements nécessaires. On voit que leur particularité peut devenir une force extraordinaire au travail : j’ai recruté une collaboratrice dans mon équipe qui a besoin de tout programmer pour être bien, ce qui fait qu’elle a développé des capacités en organisation qui sont hors du commun et elle est excellente pour piloter des projets. Côté tech, la deuxième personne qu’on a recrutée est un passionné, qui va très vite maîtriser un nouvel outil parce qu’il aura cette curiosité intellectuelle d’aller le tester et se documenter en profondeur. »

« Je suis fière de voir comment toute l’entreprise soutient ce projet de droit au travail pour tous, sans les non-dits ou incompréhensions qui peuvent exister sur d’autres sujets entre la direction, la RH et les salariés. Ça donne un sens au métier de RH et ça casse le stéréotype d’une fonction RH froide et administrative. »

« Si vous voulez recruter des profils neuroatypiques dans votre entreprise, je vous conseille d’abord d’en parler à votre Codir, d’être certain que tout le monde est aligné. Après, il faut trouver le juste équilibre entre équité entre les salariés et souplesse pour être certains que tous les collaborateurs adhèrent au projet. »

Joëlle Catheland

Directrice des ressources humaines et RSE chez fulll

Joëlle Catheland a réalisé toute sa carrière de RH dans le secteur de l’édition de logiciels. Depuis novembre 2021, elle est directrice RH et RSE chez fulll, éditeur de logiciels pour les experts-comptables et filiale du groupe In Extenso.

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