Demander des références dans le cadre d’un recrutement : utile ou contre-productif ?

Le match RH. Deux recruteuses confrontent leur point de vue sur cet outil d’évaluation des candidats.

Si leurs avis sur la prise de référence divergent, les deux recruteuses s'accordent sur l'importance d'inscrire l'exercice dans un cadre strict.
Si leurs avis sur la prise de références divergent, Sonia Cardoso (à gauche) et Carina Almeida (à droite) s'accordent sur l'importance d'inscrire l'exercice dans un cadre strict. © Visuel Hellowork/Photos Sonia Cardoso et Carina Almeida

Dans le cadre de vos recrutements, vous arrive-t-il de demander des  références aux candidats ?

Carina Almeida, RPO Project Director chez Solantis : En tant que recruteuse RPO (Recruitment process outsourcing), je m’adapte aux process des entreprises que j’accompagne, donc je le fais si cette étape fait partie intégrante du process de recrutement client. A titre personnel, je suis plutôt pour la prise de référence, à condition qu’elle s’inscrive dans le cadre juridique et éthique. Je la vois comme un complément d’information : elle m’aide, ainsi que les managers avec lesquels je travaille, à nous assurer de la bonne adéquation entre un candidat et un poste. La prise de référence permet de lever un doute, comme sur une capacité à manager une grande équipe par exemple. En revanche, si je décide d’en faire une, je la fais pour tous les candidats en short list sur le poste, par souci d’équité.

Sonia Cardoso, fondatrice du cabinet SC Talent : J’en prends très rarement, principalement à la demande de mes clients. Je suis globalement contre et évidemment complétement contre les prises de références sauvages. Même dans le cadre de références autorisées par le candidat, je ne suis jamais totalement à l’aise avec l’exercice. C’est le candidat qui sélectionne la personne que tu vas appeler, donc j’ai toujours en tête le risque de biais : la personne va te parler surtout en bien du candidat, elle est prévenue de ton appel, donc elle peut préparer son discours.

Carina : Ce n’est pas forcément biaisé : sais-tu vraiment ce que tes collègues ou ton manager pensent de toi ? Tout le monde n’ose pas forcément faire des feedbacks réguliers et constructifs. Si la personne se montre dithyrambique au sujet du candidat, je l’invite à nuancer : je demande toujours si la personne a un axe d’amélioration, si elle a rencontré des difficultés dans son précédent poste, dans son ancienne équipe.

Sonia : C’est toujours difficile d’évaluer la pertinence des références, car le contexte dans lequel travaillait le candidat peut être très différent du tien (type de structure, de management, contexte du poste, etc.). Si tu es emballée et que la référence est négative, vas-tu remettre en question la pertinence de cette candidature ? Difficile de ne pas se laisser influencer consciemment ou inconsciemment par les dires rapportés. Pourquoi la vision ou le ressenti d’une tierce personne qui ne connaît pas ta boîte, ton contexte, tes motivations, les défis du poste aurait autant de poids dans ta décision ?

Carina : Effectivement, il ne faut pas appeler une personne avec laquelle le candidat a travaillé il y a plus de 5 ans, sauf si on cherche à évaluer des compétences transférables.

Sonia : La dernière chose qui me dérange dans la prise de référence, c’est que j’ai l’impression qu’elle décharge, en partie, le recruteur et/ou le hiring manager de sa responsabilité dans la prise de décision.

Pourquoi la prise de références rassure-t-elle certains employeurs ?

Carina : C’est humain de vouloir être rassuré par des éléments factuels. Certaines qualités ou aptitudes sont difficiles à détecter en une heure d’entretien, mais peuvent être validées plus facilement par des personnes qui ont travaillé avec le candidat pendant des mois, voire des années. Les entreprises qui, par exemple, recrutent de façon volumique, chaque année, souhaitent amenuiser, autant que possible, le risque de recruter la mauvaise personne. Le recrutement n’est pas une science exacte. La prise de référence est un élément de réassurance supplémentaire.

Est-elle plus pertinente pour certains profils ?

Carina : Je les trouve plus justifiées pour des postes à haute responsabilité, où l’erreur de recrutement peut porter à de plus lourdes conséquences. Pour les profils junior, je dirais que la période d’essai est intéressante. Elle permet de laisser sa chance à un candidat avec peu d’expérience.

C’est quoi, une bonne prise de référence ?

Sonia : Je commence par me présenter et préciser le but de mon appel. Puis je présente au référent l’entreprise pour laquelle je recrute, le poste, le défi et le contexte du recrutement. Ça permet au référent d’avoir des éléments de contexte pour projeter (ou non) le candidat sur ce poste, ses forces, difficultés, similitudes avec le contexte ou une situation passée. Puis, s’il y a des zones d’ombre spécifiques côté client, de creuser sur ces points pour lever ou confirmer un doute.

Carina : Il faut être le plus factuel et le plus concret possible. Je fais systématiquement une trame : je pose quatre ou cinq questions maximum, pour vérifier une ou deux compétences clés recherchées, et je demande toujours des exemples. Je finis toujours par : « Avez-vous des éléments à ajouter ? » La réponse est généralement très intéressante parce que le contact aborde des points auxquels je n’aurais pas forcément pensé et qui ne sont parfois pas tant des détails que ça.

Sonia : Il faut à tout prix savoir ce que tu cherches à obtenir, valider à travers cette prise de référence : quelle zone d’ombre tu veux éclairer ? La taille ou le périmètre du poste passé ? L’impact du candidat ? Si les objectifs ne sont pas déterminés et sont flous, la prise de références est sans intérêt. Si c’est juste une étape à cocher dans un process « parce qu’il faut le faire », ou uniquement une volonté de se rassurer, de valider un « feeling », ce n’est pas très pertinent, c’est plutôt une perte de temps.

J’ai accompagné l’un de mes clients récemment sur un poste de CTO. Le coup de cœur était réciproque. Il décide de faire une offre au candidat, mais, au dernier moment, panique à bord, car il y avait un gros salaire à la clé. Le client me demande de prendre une référence. Mais cet appel, sans points à valider, n’avait pas d’autre objet que de calmer une peur avant de passer à l’action et de sortir le chéquier.

Appelez-vous plusieurs personnes pour leur demander leur avis sur un candidat ?

Carina : J’aime bien faire des prise de référence à 360° pour avoir une vision globale du candidat. Je demande souvent aux candidats deux à trois référents, capables de me faire des retours pertinents et en cohérence avec les compétences recherchées sur le poste.

C’est ce que j’ai fait, récemment, avec une candidate qui postulait pour un poste impliquant du management d’équipe dans un contexte international. Au-delà d’une forte expertise fonctionnelle et d’une bonne capacité à gérer des équipes importantes, on attendait d’elle une capacité à faire passer ses idées, embarquer d’autres professionnels de la tech. Un point pas si simple à jauger en une heure d’entretien. J’ai recueilli les témoignages croisés de trois personnes (manager, managé, et interlocuteur quotidien) qui m’ont assuré que la candidate avait réussi à convaincre/embarquer les équipes grâce notamment à sa très bonne expertise métier et tech. J’ai également pu avoir un retour sur sa capacité managériale dans des environnements complexes. Le hiring manager a donc pu être rassuré.

Quelles sont les alternatives à la prise de référence en cas de doute sur un candidat ?

Sonia : Ça dépend du type de poste et des compétences qu’on souhaite évaluer. Côté tech, on peut envisager un test technique (même si c’est rarement apprécié par les candidats !). Mais on peut aussi leur demander de partager l’un des projets sur lesquels ils ont travaillé (Github, etc.), mettre à leur disposition un bout du code de notre entreprise et qu’ils apportent leurs appréciations, ou qu’ils l’améliorent. On peut aussi organiser un échange purement technique, qui permet de se faire rapidement une idée de l’expérience et de la vision du candidat. Pour des postes de commerciaux, on peut planifier des mises en situation ludiques aux côtés des équipes en place. De façon générale, quand le process avance, on peut proposer au candidat un déjeuner ou un afterwork pour sortir du cadre très formel et parfois impressionnant de l’entretien.

Carina : Les mises en situation sont très intéressantes, j’ai pu les mettre en place pour des personnes travaillant en avant-vente : ils devaient préparer une présentation à faire devant un public de managers.

Mais comme tous les outils, dont la prise de références, ça reste un indicateur parmi d’autres dans le process, qui ne peut servir de base unique à ta décision.

Le mot de la fin ?

Sonia : Pour moi, la prise de références reste un outil, qui ne doit pas, selon moi, être systématique. Il peut venir apporter un complément d’informations dans des situations très précises et avec des questions très spécifiques. Je pense qu’il serait aussi intéressant de travailler sur une prise de références miroir : de donner la possibilité au candidat de contacter une personne travaillant déjà dans l’entreprise pour faciliter sa projection et équilibrer le rapport recruteur/candidat.

Carina : Je reste convaincue que c’est un bon outil complémentaire, pour certains types de candidats, à condition que cette prise de références soit réalisée de façon méthodique, via une même trame, et respectueuse des règles juridiques et éthiques. Enfin, comme tous les outils utilisés, il faut s’assurer qu’il réponde bien au besoin.

Recruteuse depuis treize ans, Carina Almeida est passée par divers cabinets de recrutement et des entreprises de différents secteurs d’activité avant de se spécialiser dans le recrutement de profils IT. Elle travaille depuis 2022 au sein du cabinet Solantis et accompagne les grandes groupes dans leur activité de recrutement via le RPO.

Forte de quinze ans d’expérience dans le recrutement, Sonia Cardoso a été consultante senior chez Hays avant de créer son propre cabinet de recrutement spécialisé dans la chasse de talents IT.

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