« Nous utilisons la data pour anticiper les besoins en recrutement »
Métiers des services à la personne en tension, utilisation de la data et de l’IA pour anticiper les besoins, transparence… Tasha Teguia, DRH de O2, fait le point sur ses grands chantiers du moment.
Quelles sont vos prévisions de recrutement pour la fin d’année ?
Nos prévisions de recrutement sont quasi-stables, autour de 6 000 embauches en 2025. D’une année sur l’autre, ce chiffre progresse légèrement : +100 collaborateurs comparé à 2024, +200/300 en 2026. Cette hausse progressive de nos embauches est due au développement de notre activité. Les services à la personne sont au cœur de notre société. Pour O2, cela se traduit par le fait d’accompagner les familles dans le mieux-grandir, mieux-vivre et mieux-vieillir, au travers de nos métiers qui sont la garde d’enfants, l’assistante ménagère et l’auxiliaire de vie. Avec le vieillissement de la population, nous savons que notre activité va augmenter, même si notre offre n’augmente pas aussi rapidement du fait de la difficulté à recruter sur ces métiers.
Quels leviers activez-vous pour recruter suffisamment pour répondre à la demande ?
Selon le profil que nous cherchons à attirer, nous activons différents leviers. En plus des moyens classiques, comme les partenariats avec les écoles, avec les missions locales, la participation à des salons ou encore les offres d’emploi que nous publions sur les jobboards comme Hellowork, nous utilisons les réseaux sociaux : Instagram et TikTok pour les plus jeunes, Facebook pour les 35-45 ans et plus. Toutes ces plateformes nous permettent de valoriser notre activité mais aussi de recruter. Nous venons aussi de démarrer un partenariat avec un cabinet d’intérim d’insertion. Nous activons tous les leviers possibles pour pouvoir répondre au maximum à la demande croissante de nos clients.
Comment travaillez-vous l’attractivité de vos métiers ?
Travailler l’attractivité est important pour aller chercher de nouveaux candidats mais aussi pour fidéliser et garder les salariés qui sont déjà chez nous. Parmi les actions que nous avons menées récemment, nous avons lancé, en début d’année, une vaste campagne de publicité à la télévision et dans les transports en commun, qui mettait en lumière nos métiers et dans laquelle nos salariés ont joué leur propre rôle. Nous avons aussi lancé le projet de montgolfière O2. Plus qu’une action de communication, cette opération a permis de mettre en valeur différemment la marque ainsi que nos métiers, et de rendre fiers nos salariés.
Nous offrons aussi à nos salariés un certain nombre d’avantages. Pour les intervenants, nous avons, par exemple, une grille de rémunération supérieure à la grille conventionnelle. Nous proposons aussi des tickets restaurant, ce qui n’est pas courant sur cette population des intervenants, nous prenons en charge 100% du titre de transport. Nous avons aussi un programme qui permet d’avoir un véhicule à 100 euros par mois pour le salarié moyennant un stickage de véhicule avec notre marque. Ça nous permet de répondre à un besoin du collaborateur tout en faisant rayonner notre marque à l’extérieur.
La fidélisation passe aussi par le fait de pouvoir former nos salariés.
Enfin, la fidélisation passe aussi par le fait de pouvoir former nos salariés. Un salarié qui entre comme assistant ménager n’est pas obligé de repartir cinq ans plus tard sur le même métier. Nous avons la chance d’être une entreprise multimétiers, avec la possibilité d’évoluer, de diversifier ses compétences par le biais de la formation voire de changer de métier. Et ça ne s’arrête pas aux métiers de terrain : 28% de nos encadrants d’agence sont d’anciens intervenants.
Comment cherchez-vous à résoudre cette difficile équation, avec d’un côté des tensions sur le marché de l’emploi qui réduisent le nombre de candidats potentiels pour vous et de l’autre le vieillissement de la population qui augmente les besoins en services à la personne ?
Pour y arriver, nous nous appuyons notamment sur la data. A partir des prévisions démographiques sur le vieillissement de la population, nous utilisons des outils pour anticiper la demande, fixer les besoins en recrutement, et donc mettre en place des plans d’action. Nous avons constitué une équipe data de trois personnes, rattachée à la direction administrative et financière, qui travaille sur des simulations en fonction de la population. Cela vaut pour les besoins croissants en auxiliaires de vie mais aussi pour l’activité de garde d’enfant, qui à l’inverse va reculer du fait de la baisse de la natalité ces 10 dernières années.
Ces évolutions démographiques obligent l’entreprise à se transformer. Car pour pouvoir absorber cette hausse de l’activité, nous devons intégrer un certain nombre d’outils qui nous permettent d’aller plus vite, que ce soit d’un point de vue matériel, organisationnel ou en termes de process.
L’IA fait-elle partie de la solution ?
Nous n’avons pas encore intégré l’intelligence artificielle dans nos outils data, mais nous commençons à l’intégrer dans l’entreprise. Nous avons, par exemple, mis en place un chatbot, qu’utilisent les fonctions support au siège et en agences pour aller chercher plus facilement les process à suivre dans telle ou telle situation.
Notre direction des systèmes d’information travaille aussi sur l’intégration de l’IA pour aider à la conception des plannings. L’objectif est de faire matcher les compétences des intervenants avec leurs disponibilités, l’adresse de leur domicile et la demande du client. C’est un projet qui devrait voir le jour d’ici deux ans. Tout le monde a à y gagner : c’est très chronophage pour les employés d’agence et pour l’intervenant. Une optimisation de ce planning permet d’avoir de meilleures conditions de travail, ce qui aide à la fidélisation.
Quel est votre principal défi en tant que DRH en cette fin d’année 2025 ?
Au-delà de la fidélisation dont nous avons déjà parlé, je dirais garder l’humain au centre de notre activité, sans se laisser dépasser par la digitalisation et la transformation en cours. Par exemple, nous donnons à tous les intervenants un téléphone professionnel avec l’application « O2 et nous », au sein de laquelle ils ont accès à leur planning, aux modifications et à travers laquelle l’agence peut interagir avec eux. Nous devons veiller à ce que tous les échanges ne passent pas uniquement par ce biais ; c’est vraiment important de garder des échanges directs. C’est pour cette raison que nous avons au minimum une fois tous les trimestres des réunions d’équipe avec les intervenants et les encadrants d’agence pour garder ce lien et lever de potentielles incompréhensions. Certes, les outils digitaux nous permettent de mieux travailler, d’être plus performants, mais ils ne doivent pas remplacer les échanges et interactions entre les collaborateurs, qui sont nécessaires.
Où en êtes-vous sur la transparence des rémunérations, à quelques mois de l’entrée en vigueur de la directive européenne ?
Le sujet ne concerne que la population du siège puisque tous nos intervenants sont rémunérés selon des grilles conventionnelles. Les salariés du siège représentent 4% de nos effectifs (16 000 personnes au total). Actuellement, toutes nos offres sur la population siège ne font pas apparaître les rémunérations. Nous avons déjà une cartographie des emplois avec des tranches de rémunération définies, mais il nous reste, pour se mettre en conformité d’ici juin 2026, à vérifier que les rémunérations du siège sont en cohérence avec la cartographie des emplois et les tranches de rémunération définies. Ensuite nous pourrons indiquer les rémunérations proposées sur nos offres. Cette mesure est une bonne chose, selon moi, car le candidat qui postule lorsque le salaire est indiqué y va sans hésitation, il sait où il met les pieds.
Parlez-nous d’un projet RH que vous avez déployé dans votre entreprise et quel bilan en tirez-vous ?
En juin 2025, nous avons déployé notre projet de digitalisation des entretiens annuels et professionnels pour la population intervenante. Pour les administratifs, c’est quelque chose de classique, mais pour les personnes qui travaillent sur le terrain – les aides ménagères, les auxiliaires de vie… –, beaucoup d’entreprises le font encore au format papier.
Ce projet a été assez lourd à déployer puisque nous nous adressons à une population qui n’utilise pas forcément les moyens digitaux dans leur quotidien. Ça nous a demandé beaucoup de sensibilisation, de formation et d’accompagnement pour permettre aux intervenants de préparer leur entretien en amont au sein de l’application « O2 et nous ». Ce qu’on a digitalisé, c’est l’outil qui permet d’animer l’entretien, pas l’entretien en lui-même, qui reste en présentiel.
Cette digitalisation des entretiens nous permet de fiabiliser l’accompagnement de ces salariés dans le cadre de leur évolution professionnelle, de suivre leurs souhaits en termes de formation, d’évolution… Ça va nous permettre d’établir de vrais plans d’action en termes d’évolution des compétences, d’évolution professionnelle, et de mettre tout ça en adéquation avec notre stratégie de développement, sur l’activité senior notamment.
Je n’avais pas de doute sur le fait que cette digitalisation soit bien acceptée, mais j’en avais davantage sur la capacité des intervenants à prendre l’outil en main. Et ça a été un peu fastidieux, d’abord parce que ces derniers ne sont pas en agence mais sur le terrain, avec le risque qu’ils oublient le message qu’ils ont reçu avant leur intervention. Ça nous a conduit à mettre en place des réunions pour qu’ils créent leur compte et pour répondre aux questions éventuelles et aux inquiétudes potentielles que les collaborateurs pouvaient avoir vis-à-vis de l’outil.
A partir du moment où nous arrivons à valoriser l’impact de nos actions, il n’y a pas de doute sur l’intérêt du DRH, sur le pourquoi nous sommes là.
Avez-vous le sentiment que les RH ne sont pas appréciés à leur juste valeur au sein des entreprises ?
La difficulté que j’ai, comme beaucoup de DRH, c’est ma capacité à valoriser les actions mises en place, par le biais de KPI, pour pouvoir matérialiser le retour sur investissement de mes actions. A partir du moment où nous arrivons à valoriser l’impact de nos actions, il n’y a pas de doute sur l’intérêt du DRH, sur le pourquoi nous sommes là. Et ce qui est difficile, c’est que tout ce que nous mettons en place n’est pas mesurable aussi vite que nous le souhaiterions. Par exemple, ce n’est pas parce qu’on optimise le parcours d’intégration des nouveaux salariés le 1er mars que les résultats seront mesurables le 15 avril. Et tout ce qu’on fait n’est pas toujours mesurable, même si la mise en place d’une data gouvernance RH lorsque je suis arrivée chez O2, il y a un peu plus de deux ans maintenant, nous aide beaucoup à piloter de façon plus fine l’activité et la prise de décision.
Comment définiriez-vous le métier de DRH en trois mots ?
D’abord, fidéliser. C’est essentiel de par la tension que nous connaissons sur nos métiers. Ensuite, transformer, parce qu’on se doit de piloter le changement. Et le changement, ce sont les salariés qui l’opèrent. Cette transformation s’opère, par exemple, sur la population des auxiliaires de vie lorsqu’elles doivent faire de la transmission. Actuellement, cette transmission est faite avec un cahier de liaison, un cahier papier. À terme, au sein du secteur des services à la personne, nous devrons mettre en place des tablettes pour permettre à l’auxiliaire de vie de dire ce qui a été réalisé durant la prestation, pour diffusion aux acteurs concernés par le client, comme des médecins, des infirmières… Le digital arrive aussi sur le terrain. Enfin, je dirais humaniser car c’est primordial d’avoir en tête que les humains doivent rester au centre de notre activité. Et ce n’est pas propre aux services à la personne.
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour 2026 ?
D’avoir des salariés contents et satisfaits de travailler dans nos métiers. Nous sommes sur un secteur d’activité porteur de sens. Mon ambition en tant que DRH, c’est d’avoir au quotidien des salariés satisfaits de leur planning et donc de leurs conditions de travail de façon globale. Le reste vient en plus.