Demain, tous dans le métavers ? Un nouveau monde d’opportunités pour les RH

Terrain encore peu exploré par les entreprises, le métavers pourrait bien devenir incontournable pour elles dans les prochaines années. On vous explique pourquoi !

Le cabinet Mistertemp vient d'installer ses bureaux dans le métavers.
Le cabinet Mistertemp vient d'installer ses bureaux dans le métavers. © Mistertemp

« Demain, vous recevrez peut-être vos candidats dans une fusée et, à la fin de l’entretien d’embauche, vous serez sur Mars ! » se projette Karl Toussaint du Wast, CEO de Netinvestissement, une marketplace consacrée à la gestion de patrimoine. Et si le futur du recrutement ressemblait à ça ? Même si cette scène est inconcevable dans le monde réel, elle est tout à fait imaginable dans le métavers (ou metaverse pour les anglophones), cet univers virtuel qui pourrait révolutionner notre société, et le monde du travail en particulier.

Le métavers, c’est quoi ?

C’est un monde virtuel collectif, en trois dimensions, dans lequel il est possible de se déplacer sous la forme d’un avatar. Immergés dans cet univers créé à partir d’images de synthèse, les utilisateurs peuvent arpenter des rues, pénétrer dans des bâtiments, acheter des parcelles, des maisons ou n’importe quel bien sous forme de NFT (non-fungible token), avec de la cryptomonnaie, mais aussi se divertir, faire des rencontres, prendre part à des événements (concerts, conférences…), se former ou travailler.

Quel(s) intérêt(s) pour les entreprises ?

Quelques entreprises françaises, à l’image d’Havas ou d’AXA, ont d’ores et déjà construit leur siège social dans le métavers. « Nous n’en sommes qu’aux prémices du métavers, qui compte seulement quelques millions d’utilisateurs dans le monde et des dizaines de milliers en France, mais je pense qu’on vit une évolution irrémédiable. Dans 4 ou 5 ans, les entreprises qui ne se sont pas intéressées au métavers seront certainement prises de vitesse dans la guerre des talents. On s’apprête à vivre la même chose qu’avec internet. Aujourd’hui, quasiment toutes les entreprises ont leur propre site, et rares sont celles qui ne sont pas présentes sur les réseaux sociaux. Parce qu’il faut être là où sont vos clients et vos candidats ! », estime Karl Toussaint du Wast, qui, en attendant le bon moment pour lancer son entreprise dans ces mondes parallèles, découvre leurs us et coutumes en y faisant déambuler son avatar.

Un atout pour votre marque employeur

Spécialisé dans l’intérim digital, Mistertemp a, lui, déjà franchi le pas et vient d’inaugurer ses bureaux dans The Sandbox : « On s’est toujours efforcés d’être à l’avant-garde, en recherche permanente d’innovation, justifie le président de l’entreprise, Alexandre Pham. Il nous paraissait assez naturel de nous intéresser au métavers, qui est extrêmement prometteur. Tout en restant humble. Nous sommes dans une phase d’expérimentation. De même que quand le web ou le mobile se sont lancés, personne ne pouvait imaginer nos usages actuels de ces technologies, bien prétentieux est celui qui peut prédire sur quel chemin le métavers va nous mener. Mais je crois qu’il va apporter de nouvelles pratiques, complémentaires à celles qui existent dans le monde du recrutement. »

« On sait qu’on n’aura pas tout de suite une file d’attente de candidats devant notre agence du métavers. Mais on ne peut pas ignorer cette tendance de fond qui s’amorce aujourd’hui. »

Espace de créativité sans limite, le métavers permet de créer des locaux à votre image : « Nous avons choisi The Sandbox, car il est généraliste et a déjà accueilli plusieurs entreprises, poursuit-il. Nous nous sommes implantés près de Carrefour pour bénéficier de sa notoriété. Nous avons également opté pour The Sandbox dans une logique RSE, car il s’appuie sur une technologie de blockchain qui basculera dans les prochains mois sur un mode de fonctionnement moins consommateur d’énergie. Notre bâtiment est radicalement différent de notre siège réel. On peut être plus ambitieux et fantaisistes dans le métavers. L’immeuble est très lumineux, très ouvert, transparent, c’est un forum qui incite à la rencontre ou à l’échange. On est lucides : on sait qu’on n’aura pas tout de suite une file d’attente de candidats devant notre agence du métavers. Mais on ne peut pas ignorer cette tendance de fond qui s’amorce aujourd’hui. »

Un vaste vivier de candidats

Au-delà de repousser les limites de l’imagination, le métavers abolit également les frontières géographiques. « Le recrutement va de plus en plus s’internationaliser, gagner en flexibilité, en ouverture, présage Ridouan Abagri, fondateur de la première école dédiée aux métiers du métavers, le Metaverse College, qui accueillera sa première promotion en octobre. Ce vecteur de communication permettra d’aller plus loin que la visio, de créer un lien de meilleure qualité, de gamifier la relation, car il ne faut pas oublier que le premier domaine qui s’est intéressé au métavers est le jeu vidéo. La communication sera facilitée car vous pourrez choisir votre langue : vous pourrez vous exprimer en français et le recruteur vous entendra instantanément en portugais ou en espagnol ! »

« Certes, les recruteurs toucheront, dans un premier temps, les plus geeks, les professionnels du digital, les jeunes. Mais, dans 10 ans, les quadra seront dans les métavers. »

Plutôt que de saisir un intitulé de poste sur un moteur de recherche, les candidats iront-ils chercher du travail dans le métavers ? Karl Toussaint du Wast en est persuadé : « Ils se baladeront dans les rues du métavers et recevront des push, des offres d’emploi ciblées, en incrustation dans leurs lunettes, car l’algorithme saura précisément qui est la personne et ce qu’elle recherche. Certes, vous toucherez, dans un premier temps, les plus geeks, les professionnels du digital, les jeunes. Mais, dans 10 ans, les quadra seront dans les métavers. »

Alexandre Pham partage cet avis : « On investit cet espace avec assez peu d’a priori. Quand on a lancé notre plateforme en ligne, en 2015, on se disait que les gens qui allaient s’y inscrire seraient des bobos parisiens, urbains, jeunes. En réalité, pas du tout ! Parmi nos utilisateurs, on compte autant de citadins que de ruraux, de tous âges, dans toute la France. Le métavers n’est pas fréquenté par tout le monde mais il est voué à attirer un large panel de profils. »

D’autant que le coût d’entrée n’est pas élevé : il suffit de créer un compte sur une plateforme dédiée pour plonger dans le métavers, la possession d’un casque de réalité virtuelle n’étant pas une condition sine qua non d’accès, mais un moyen de rendre l’expérience plus immersive.

Une limitation des biais de recrutement

Dans le métavers, chaque candidat peut choisir l’apparence de son avatar : « Vous pourrez vous présenter tel que vous êtes, changer de genre ou de couleur de peau, montrer ou pas votre handicap. Ou alors avoir une représentation complétement délirante. En fonction de votre humeur, vous serez un jour licorne, l’autre grenouille. Vos compétences vont prévaloir sur votre identité », illustre Karl Toussaint du Wast. Une manière efficace de réduire les biais de recrutement et les discriminations à l’embauche !

Alexandre Pham y voit aussi « une opportunité sans précédent de valoriser des compétences qu’on ne voit pas facilement sur un CV. A titre d’exemple, dans le secteur de la logistique, pour des missions de picking, on cherche des personnes rigoureuses, précises, rapides. Sur un CV, ce n’est pas simple à détecter et les tests ne sont pas forcément performants. On peut imaginer, dans le métavers, des mises en situation qui permettraient d’identifier ce type de compétences. »

Une expérience candidat immersive et inédite

Autre enjeu phare pour l’attractivité des entreprises : l’optimisation de l’expérience candidat grâce à l’immersion. En quelques secondes, vous pourrez propulser votre interlocuteur dans une salle que vous aurez entièrement customisée en fonction du message que vous souhaitez lui faire passer. « Si vous recrutez un chef de rayon marche dans un magasin de sport, vous pouvez lui proposer d’échanger au cours d’une randonnée sur le mont Ventoux ou Fuji. Dans une agence touristique, vous pourrez lui faire passer son entretien pendant une séance de plongée dans l’océan, imagine le CEO de Netinvestissement. Il faut saisir cette occasion de mettre du fun dans le processus de recrutement ! »

Alors que la visio met à distance votre interlocuteur, le métavers est une expérience sensorielle : « Avec la vision à 360°, le son spatialisé, et demain la sortie du casque Oculus 3, qui reproduira à la perfection toutes les expressions du visage, votre cerveau aura l’impression que les personnes que vous croisez dans le métavers seront physiquement en face de vous ! », affirme Ridouan Abagri.

Ces technologies pourront aussi être mises à profit lors du préboarding ou de l’onboarding de vos nouveaux collaborateurs, souligne le président de Mistertemp : « On imagine demain pouvoir proposer une pré-intégration sous forme de visites virtuelles des lieux de production. Pour les sites industriels, par exemple, on peut imaginer de les sensibiliser à la sécurité à distance en les mettant en situation, avant leur prise de poste. »

Une manne de nouveaux métiers

L’essor du métavers porte évidemment en germe la promesse de nouveaux métiers, particulièrement attractifs aux yeux des étudiants. C’est pour former cette nouvelle génération à ces professions d’avenir que Ridouan Abagri a créé le Metaverse College : « La principale demande des candidats qui nous ont contactés concerne les cryptomonnaies et les technologies de la blockchain. Mais nous avons également des jeunes intéressés par la technique (conception d’applications de réalité virtuelle et augmentée), par l’intelligence artificielle et la Data. Enfin, on remarque aussi un engouement pour le Product Design, depuis que des marques, comme Zara, ont lancé leur collection de vêtements dans le métavers. » 

Selon lui, les premiers besoins de recrutement liés au métavers se concentreront sur des postes d’Asset Manager, qui géreront des patrimoines cryptos et immobilier dans le métavers. « Mais, d’ici deux ou trois ans, je m’attends à voir exploser les demandes de chef de projet métavers, car, en France, on aime bien désigner une personne qui centralise les ressources sur un projet. Les entreprises, et notamment les grands groupes, vont devoir se constituer une task force métavers et recruter des collaborateurs dédiés à ces projets. Elles vont sans doute, au départ, embaucher des alternants couteaux-suisse pour expérimenter certains usages. Si les entreprises ne vont pas dans le métavers, ce sera un handicap pour elles, dans cinq ans, parce qu’elles en maîtriseront moins les codes et se feront doubler par d’autres. Tandis que si elles s’y intéressent dès aujourd’hui, elles investissent sur la connaissance, qui n’a pas de prix, et elles prendront une longueur d’avance. »

Quels risques ?

Si le métavers ouvre le champ des possibles à l’infini, il comprend également sa part de risques, à étudier avant d’y faire vos premiers pas. « Dès qu’il y a un nouveau paradigme, il y a de nouvelles pathologies, observe le fondateur du Metaverse College. Il faut rapidement construire un cadre légal pour encadrer l’utilisation du métavers, notamment pour limiter les risques liés au cyberharcèlement, à la cybersécurité et aux arnaques. Sur le plan psychologique, le fait de switcher en permanence entre son avatar et son identité réelle peut poser des problèmes de schizophrénie. Les entreprises doivent donc réaliser un travail de pédagogie auprès de leurs collaborateurs et diffuser de bonnes pratiques dans le cadre d’une charte, par exemple. »

Alexandre Pham alerte aussi sur le risque d’une déshumanisation de la relation recruteur/candidat : « Le plus important est de ne pas substituer le métavers à l’humain, de ne pas confondre digitalisation et robotisation. Si on veut réussir dans cet environnement, comme aujourd’hui dans le digital en général, il faut l’envisager comme une autre forme d’interaction sociale, complémentaire de la rencontre physique. Les entreprises doivent être vigilantes à mettre de vrais recruteurs derrière les avatars pour garder ce contact humain et une qualité de conseil sur-mesure. »

Gare au Metaverse washing !

Face à ce champ des possibles qui donne le tournis, il faut toutefois raison garder et ne pas placer de vains espoirs dans l’avènement de ce monde parallèle. Comme le souligne le chroniqueur Alain Lefebvre, dans un article très fouillé sur Redsen Consulting, le métavers n’en est qu’à ses balbutiements et rien n’indique qu’il atteindra, un jour, l’âge de la maturité : « Pour entrer dans un univers aussi immersif, il faudra, outre le masque de réalité virtuelle, un accès internet performant. Et quand on voit qu’en 2022, même les appels en visio sont hachés, à cause de problèmes de réception, on a bien du mal à imaginer un futur où nos appareils seront capables de modéliser un monde virtuel entier qui ne subira aucun délai ou aucun bug. De plus, pouvoir véritablement se déplacer dans un environnement virtuel nécessite aujourd’hui une combinaison dotée de tas de capteurs afin de reproduire fidèlement chacun de vos gestes. Même dans un futur lointain, enfiler une combinaison de motion capture pour assister à une réunion entre collègues et amis est totalement irréaliste ! »

Le CTO de Meta, Andrew Bosworth, a lui-même reconnu que les infrastructures actuelles de télécommunication n’étaient pas aujourd’hui en mesure de transmettre, en temps réel, la masse d’informations que nécessiterait un métavers à grande échelle, tel que le conçoit Meta. « Bref, il va falloir faire d’énormes progrès techniques pour mettre à niveau l’infrastructure internet afin de lui permettre de faire tourner un metaverse convaincant et ouvert à tous », estime Alain Lefebvre.

L’histoire du métavers reste donc à écrire et difficile de prédire quelle sera l’ampleur et le calendrier de son développement au sein de la société et son impact dans le monde du recrutement.

Visuel promo

Bien s’équiper pour bien recruter