Comment lutter efficacement contre les violences faites aux femmes au travail

Un rapport remis au gouvernement formule une série de recommandations pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles sous relation d’autorité ou de pouvoir.

Les situations inégalitaires entre hommes et femmes offrent un terreau propice aux violences sexistes et sexuelles.
Les situations inégalitaires entre hommes et femmes offrent un terreau propice aux violences sexistes et sexuelles. © Grustock/stock adobe.com

En France, plus de deux femmes sur cinq ont déjà été victimes de violences sexistes ou sexuelles au cours de leur vie professionnelle*. C’est trois fois plus que chez les hommes. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit comme violence sexuelle « tout acte sexuel, tentative pour obtenir un acte sexuel, commentaire ou avances de nature sexuelle, ou actes visant à un trafic ou autrement dirigés contre la sexualité d’une personne en utilisant la coercition, commis par une personne indépendamment de sa relation avec la victime, dans tout contexte, y compris, mais sans s’y limiter, le foyer et le travail ».

Dans notre société, comme dans le monde du travail, ces violences sexistes et sexuelles persistantes découlent bien souvent d’un rapport de domination des hommes sur les femmes. Une corrélation mise en lumière par un rapport sur les violences sexistes et sexuelles commises sous relation d’autorité ou de pouvoir, remis au gouvernement le 18 novembre : « L’enjeu de la mission est de mieux appréhender la façon dont les rapports d’autorité et de pouvoir, encore trop déséquilibrés entre les femmes et les hommes, favorisent la commission de violences sexuelles, pour mieux les prévenir et les combattre », explique Rachel-Flore Pardo, avocate au Barreau de Paris, activiste féministe et co-autrice du rapport**.

La mission alerte sur le fait que certains environnements de travail (à faible degré de mixité), certains types de contrats de travail (emplois précaires, contrats courts, stages ou alternance), certaines conditions de travail (manque d’autonomie, relations très hiérarchisées ou au contraire très informelles, travail de nuit, travail isolé, horaires atypiques…) et certains facteurs individuels (le fait d’être jeune, senior, en situation de handicap, en situation de monoparentalité, avec une orientation sexuelle différente…) exposent particulièrement les travailleurs à des risques de violences sexistes et sexuelles.

Selon Christine Caldeira, secrétaire générale de l’association nationale des DRH, « l’entreprise est en première ligne : agir contre les violences sexistes et sexuelles est une occasion majeure de devenir une véritable ‘’safe place’’ et d’assumer pleinement ses responsabilités. Pour les partenaires sociaux, c’est une opportunité unique de se positionner en acteurs clés du changement et de faire avancer l’égalité. »

Quelle responsabilité légale de l’employeur en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles ?

Avec la loi du 3 août 2018 et la loi du 5 septembre 2018 « Avenir professionnel : pour la liberté de choisir son avenir professionnel », de nouvelles obligations s’imposent aux entreprises en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. L’employeur doit :

– lutter contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, action qui résulte de son obligation de santé et de sécurité. Selon l’article L4121-1 du Code du travail, « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. » ;

– évaluer les risques professionnels. Selon l’article L4121-3, « l’employeur, compte tenu de la nature des activités de l’établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations, dans l’organisation du travail et dans la définition des postes de travail. Cette évaluation des risques tient compte de l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe. » ;

– désigner un référent au Comité social et économique de l’entreprise. L’article L2314-1 dispose qu’un « référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes est désigné par le Comité social et économique parmi ses membres, c’est-à-dire pour toutes les entreprises de plus de 11 salariés. » En plus du référent au Comité social et économique de l’entreprise, la loi prévoit également que : « dans toute entreprises employant au moins 250 salariés est désigné un référent chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes » (article L1153-5-1).

8 recommandations pour lutter efficacement contre les violences faites aux femmes dans le cadre professionnel

Le rapport remis au gouvernement formule une série de recommandations pour combattre ces comportements inacceptables. On s’attarde sur celles qui concernent les entreprises.

Evaluer les effet de la loi Rixain

Selon les autrices du rapport, « promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes est essentiel pour prévenir efficacement les violences sexistes et sexuels en limitant les rapports déséquilibrés d’autorité ou de pouvoir ». C’est l’objectif de la loi Rixain, qui impose aux entreprises d’au moins 1 000 salariés de publier annuellement les écarts éventuels de représentation entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants et au sein des instances dirigeantes de l’entreprise. En outre, elle prévoit que les entreprises atteignent d’ici le 1er mars 2026 une part d’au moins 30% de femmes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes, puis de 40% à partir du 1er mars 2029.

En faire un sujet obligatoire de négociation

De la même manière que l’employeur doit engager, tous les quatre ans, une négociation sur l’égalité professionnelle femmes-hommes, s’il compte une ou plusieurs sections syndicales représentatives, il pourrait intégrer à ces discussions la prévention des agissements de harcèlement moral ou sexuel au titre de la qualité de vie au travail. A défaut, en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle survenant à la suite de violences sexistes ou sexuelles, l’employeur pourrait être mis en cause au pénal et sanctionné.

Créer un label pour distinguer les entreprises vertueuses

Les autrices du rapport préconisent aussi de créer un label « Agir contre les violences sexistes et sexuelles », à l’image des labels Egalité professionnel ou Diversité, qui reposerait sur des normes, indicateurs et échéances précises à respecter. Il serait décerné aux structures qui mettent en œuvre des outils de formation et de prévention adaptés pour combattre ces violences.

Sensibiliser au sujet pendant les entretiens annuels

Autre préconisation : intégrer à tous les entretiens annuels d’évaluation entre encadrant et salarié, des questions spécifiques sur les violences sexistes et sexuelles (connaissance des outils de prévention et de repérage, participation aux actions de sensibilisation et de formation…).

Eduquer sur les violences sexistes et sexuelles à des moments clés de vie

Le rapport insiste sur l’importance d’expliquer les différentes formes de violences sexistes et sexuelles, d’enseigner ce qu’est un rapport de pouvoir et les risques de l’emprise à des moments charnières de la vie : entrée à l’université, entrée dans l’emploi (stage, alternance, job étudiant…).

Former tous les collaborateurs occupant un poste à responsabilité

Pour les autrices, les entreprises devraient rendre la formation aux violences sexistes et sexuelles obligatoire pour « toute personne en position d’autorité ou de responsabilité et tous les professionnels intervenant dans la prise en charge des cas de violences sexistes et sexuelles ».

S’appuyer sur des organismes d’écoute indépendants

 « Pour briser l’entre soi et susciter la confiance », le rapport recommande de généraliser les structures d’écoute et de signalement indépendantes.

Accompagner les entreprises dans la réalisation d’enquête internes

Le rapport préconise aussi d’inciter et de mieux accompagner les organisations dans la réalisation d’enquêtes internes avec sanctions administratives ou disciplinaires, équitables, rapides et dissuasives, sans attendre l’issue des procédures judiciaires, et avec publication annuelle d’un rapport quant aux mesures prises.

*L’enquête Genese (Genre et sécurité), conduite par le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) en 2021, a interrogé les personnes âgées de 18 à 74 ans en France métropolitaine sur leur vécu et leurs opinions en matière de sécurité, avec un focus particulier sur les violences sexistes et sexuelles, pour explorer la question des différences en France entre les femmes et les hommes en matière de sécurité.

**Rapport rédigé par Christine Abrossimov, administratrice de l’Etat, Christine Caldeira, secrétaire générale de l’Association nationale des DRH, Angélique Cauchy, sportive de haut niveau, présidente de l’association Rebond, Bariza Khiari, ancienne sénatrice de Paris et vice-présidente du Sénat, Marie-France Oliéric, gynécologue obstétricienne, chef du pôle Femme mère enfant du CHR de Metz-Thionville, présidente de l’association Donner des ELLES à la santé et Rachel-Flore Pardo, avocate au Barreau de Paris et activiste féministe.

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