Comment les RH peuvent agir face aux clichés sur les inégalités salariales femmes-hommes
On décortique cinq préjugés mobilisés pour justifier les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes avec Marie Donzel, directrice associée au sein du cabinet AlterNego, qui vient de publier un essai sur ce sujet.
Le 8 novembre, à 16h48, les femmes françaises commenceront à « travailler gratuitement jusqu’à la fin de l’année », selon l’économiste Rebecca Amsellem, cofondatrice de la newsletter féministe Les Glorieuses. Une date symbolique, déterminée chaque année par les écarts de rémunération entre femmes et hommes.
Selon les derniers chiffres de l’Insee*, les femmes touchent, en moyenne, 23,5% de moins que les hommes. Mais si on fait à présent le calcul à poste comparable et à durée de travail égale, cet écart de rémunération est ramené à… 4% ! Ce résultat se base sur la méthode mise au point par deux économistes américains, Alan Blinder et Ronald Oaxaca, dans les années 1970, qui enlèvent de l’équation toutes les variables telles que le temps de travail, le type de contrat, de métier et de secteur d’activité. En somme, tout ce qui relève d’« inégalités justifiées », selon Marie Donzel, directrice associée au sein du cabinet AlterNego et autrice de l’essai Les inégalités justifiées – Comment moins payer les femmes en toute bonne conscience. Au fil des pages, elle pointe du doigt les préjugés qui entretiennent ces inégalités. Et propose aux employeurs des solutions pour permettre à l’égalité salariale réelle d’advenir.
Préjugé n°1 : les femmes ne savent pas négocier leur salaire
Première idée qui a la vie dure, celle selon laquelle les femmes sont de piètres négociatrices. En particulier quand il faut parler argent. « Comme de nombreux préjugés, il se base sur une part de réalité : une entrée massive tardive des femmes dans des secteurs professionnels où l’on négocie son salaire (principalement le tertiaire) et, dans les faits, une éducation qui reste genrée. On apprend aux petites filles à être dociles et obéissantes, aux garçons à s’affirmer et à challenger autrui », note Marie Donzel. « Mais cette réalité n’a rien de déterministe, poursuit-elle. Une enquête menée par Hellowork en 2016 prouve que les femmes sont aussi nombreuses que les hommes à demander une augmentation après quelques années de vie professionnelle. Le problème, c’est que cette négociation est socialement moins recevable chez les femmes que chez les hommes : une étude internationale menée auprès de 4 600 salariés montre qu’une femme a 25% moins de chances d’obtenir une augmentation qu’un homme lorsqu’elle en sollicite une. Pourtant, les femmes savent négocier, et même mieux que les hommes lorsqu’elles le font pour d’autres qu’elles-mêmes, par exemple pour demander une augmentation du budget de leur service. »
Les solutions RH : Les recruteurs et les managers doivent d’abord prendre conscience de ce biais, qu’ils peuvent tous avoir, car il est véhiculé par une société patriarcale. Le meilleur moyen de le contrer, selon l’autrice : « Adopter une attitude très scolaire dans le cadre d’un recrutement en se basant sur un guide d’entretien, ce qui permet de poser les mêmes questions à tous les candidats, indépendamment de leur genre. L’idéal est de noter toutes les questions qui vont venir s’ajouter à cette trame. Ça permet d’évacuer les remarques insidieuses, par exemple autour de l’âge du candidat ou de sa situation familiale, qui ont des connotations différentes selon qu’elles s’adressent à une candidate ou à un candidat. » Dans le cadre d’un entretien annuel, où sont négociées les augmentations, la responsabilité du manager est, d’après Marie Donzel, « d’aller débusquer les collaborateurs en sur-posture et ceux qui ont un sentiment d’imposture, d’arbitrer toutes les auto-malveillances, ces phrases par lesquelles certains salariés se déprécient ».
Préjugé n°2 : les femmes sont plus nombreuses que les hommes à souhaiter travailler à temps partiel
Les femmes sont 3,5 fois plus nombreuses que les hommes à demander un temps partiel, en France, d’après la Dares : elles représentent plus de 80% des salariés à temps partiel. « Au-delà des temps partiels subis, il faut se demander ce qui influence la décision des femmes qui choisissent de prendre un 4/5e, signale Marie Donzel. Il y a une hypocrisie de tout le monde autour du travail gratuit réalisé par les femmes, qui pèse sur leur santé mentale davantage que sur celle des hommes. Aujourd’hui, elles assument encore 73% du travail domestique. Il y a un vol organisé autour de ce travail non rémunéré des femmes, qui représente un tiers du PIB mondial, selon l’économiste Joseph Stiglitz. »
La solution RH : La souplesse, qu’elle prenne la forme de flexibilité horaire, d’accès facilité au télétravail, d’aménagement d’emploi du temps, de congés spécifiques (jours enfant malade rémunérés, congés proche aidant…). « Il faut que les journées respirent davantage, que le travail soit compatible avec les aléas de l’existence. »
Préjugé n°3 : les femmes préfèrent changer plus souvent d’entreprise que les hommes
Là encore, les chiffres de la Dares confirment que les femmes changent plus souvent d’entreprises que les hommes. Et ce pour deux raisons. « La première est que la géographie du couple est déterminée par celui qui gagne le plus, souvent l’homme », décrit la consultante. 41% des femmes en mobilité géographique le sont en raison d’une opportunité professionnelle de leur conjoint, soit deux fois plus que les hommes.
« Deuxième explication : les femmes sont moins bien traitées au travail. Elles sont confrontées au plafond de verre, au sexisme caractérisé, à un retour mal accompagné de congé maternité. Ce qui explique qu’elles se retrouvent plus facilement que les hommes dans des situations invivables au travail, auxquelles elles ne peuvent mettre fin qu’en changeant d’entreprise. »
Les solutions RH : Travailler sur l’inclusion au sens large : « Les hommes n’en ont souvent pas conscience, mais il y a plein de manières de ne pas être inclusif au cours d’une réunion avec des femmes. Je ne parle pas que de blagues à caractère sexuel. Ça passe aussi par des conversations entre hommes qui se poursuivent une fois dans la salle de réunion, sans prendre le temps d’expliquer l’objet de la discussion aux autres, du manterrupting. C’est aux managers d’arriver à décrypter ces situations et à analyser la distribution de la parole entre collaborateurs et collaboratrices. »
Préjugé n°4 : les femmes sont moins intéressées par les postes à responsabilités
« Il n’y a rien de plus faux ! La réalité c’est que peu de femmes souhaitent exercer le pouvoir dans les conditions auxquelles on le leur propose, c’est-à-dire selon des règles du jeu imaginées par des hommes, avec des logiques d’ultra-compétition, de contrôle intensif, d’autorité. En vérité, les femmes sont comme tout le monde : certaines veulent des responsabilités, d’autres non ! »
Les solutions RH : « Les RH doivent travailler sur l’accessibilité des postes du top management et au Codir pour les femmes. Il y a urgence à percer le plafond de verre. » Les quotas imposés par les lois Copé-Zimmermann et Rixain vont dans le bon sens, mais les entreprises peuvent décider d’aller plus vite que les calendriers fixés, selon l’autrice : « Certaines entreprises ont décidé de ne nommer, pendant trois ans, que des femmes au Codir. C’est une décision difficile, qui demande du courage de la part de l’entreprise et qui se traduira sûrement par des départs, mais qui est parfois nécessaire. »
Préjugé n°5 : les femmes choisissent de travailler dans des secteurs moins bien rémunérés
« Ici, on inverse la logique : ce ne sont pas les femmes qui choisissent des professions moins bien rémunérées, telles que l’enseignement ou la santé, mais bien ces métiers qui sont moins bien payés parce qu’ils comptent une majorité de femmes ! » rétablit Marie Donzel, qui rappelle que les métiers de l’informatique et du cinéma, où les femmes étaient à l’origine majoritaires, ont vu leurs rémunérations progresser à partir du moment où ils ont principalement été occupés par des hommes.
D’après la consultante, la source de cette distribution genrée des métiers est à chercher du côté de l’éducation, depuis le plus jeune âge avec les activités, les sports et les jeux différenciés pour filles et garçons jusqu’à l’orientation scolaire. A titre d’exemple, une enquête Epitech/Ipsos datant de 2021 révèle que seules 33% des filles sont encouragées par leurs parents à se tourner vers les métiers du digital, contre 61% des garçons.
Si les métiers du care, fortement féminisés, sont moins rémunérés, c’est parce qu’ils sont perçus dans l’imaginaire collectif comme « une extension de la fonction maternelle dans la sphère du travail, analyse l’autrice. Il est bien difficile de payer correctement ce que l’on a eu l’habitude d’avoir gratuitement. On s’y fait cependant : les factures de l’électricien, du plombier et du garagiste, on les règle sans moufter, alors que si l’on réservait le même sort aux hommes qu’aux femmes, on pourrait tout à fait qualifier ces métiers d’extension du domaine du bricolage. Or, il ne fait aucun doute que des compétences précises et éprouvées sont nécessaires pour exercer ces métiers, et que l’on ne saurait pas faire ce que ces professionnels font, ou aussi bien. » Tout comme n’importe qui ne peut pas être professeure, infirmière ou assistante maternelle.
Les solutions RH : Bon point, les entreprises de secteurs à dominante masculine (industrie, informatique, BTP…) multiplient les interventions dans les collèges, lycées, écoles d’ingénieur pour promouvoir la mixité de leurs métiers. Mais pour Marie Donzel, l’enjeu est à présent d’organiser le même type de campagne de communication auprès des hommes pour les attirer vers des métiers où les femmes sont surreprésentées. « La mixité n’est pas un sujet de femmes, mais un sujet collectif », conclut l’autrice.
Les Inégalités justifiées – Comment moins payer les femmes en toute bonne conscience, de Marie Donzel, éditions rue de l’Echiquier, novembre 2024, 110p.