Le « job hugging » : quand les salariés s’accrochent à leur poste
Le mot RH de la semaine. Marie-Sophie Zambeaux, fondatrice de ReThink RH, décortique cette stratégie qui se répand dans un contexte d’incertitude économique.
« Après le job hopping, le quiet quitting ou encore le job cuffing, voici venu un nouveau mot dans le dictionnaire RH, le job hugging, qui traduit une réalité bien moins mignonne que son nom. »
Qu’est-ce que le job hugging ?
« Littéralement ‘’serrer son job contre soi’’, le job hugging désigne la tendance des salariés à rester, coûte que coûte, dans leur poste actuel, même quand ils n’y trouvent pas pleinement leur compte. Il ne s’agit pas d’un choix de passion ni d’une fidélité aveugle à l’entreprise, mais d’une réaction défensive face à un marché du travail instable et incertain. »
« Comme souvent, cette tendance a germé outre-Atlantique. C’est le cabinet de conseil en organisation et en gestion des talents, Korn Ferry, qui est à l’origine de ce concept. Il est le symptôme d’un marché américain particulièrement hésitant : malgré un chômage relativement bas, la croissance de l’emploi ralentit nettement. En juillet 2025, seuls 73 000 nouveaux postes ont été créés (selon le Bureau of Labor Statistics) et le taux de démission plafonne à 2 %, son plus bas niveau depuis 2016 (hors pandémie). Les incertitudes liées aux tarifs douaniers, les révisions négatives des créations d’emplois, l’automatisation croissante des tâches liée à l’IA et les annonces de CEO plus enclins à réduire leurs effectifs qu’à les élargir alimentent la peur. Beaucoup de salariés préfèrent donc attendre des ‘’eaux plus favorables’’ avant de tenter un saut de carrière. »
« En France, le climat international incertain, auquel s’ajoute l’instabilité du gouvernement qui pourrait bientôt tomber, a des répercussions sur le comportement des entreprises et des salariés français : il est urgent d’attendre. Les entreprises ont prévu de moins embaucher et les actifs reportent leurs projets de mobilité. »
Quelle différence avec le job cuffing ?
« À première vue, la confusion est facile. Dans le job cuffing, les salariés refusent de quitter un emploi qu’ils n’aiment pas, uniquement par sécurité, un peu comme on resterait en couple par peur de la solitude. Le job hugging, lui, s’ancre davantage dans le contexte économique : les collaborateurs ne s’accrochent pas par confort, mais parce qu’ils estiment que changer d’emploi aujourd’hui est trop risqué. En ce moment, ils ont besoin de repères, d’être rassurés et donc sont prêts à mettre en pause leurs envies de vivre de nouvelles aventures, d’avoir un meilleur salaire ou d’acquérir de nouvelles compétences. Même si leur job n’est pas parfait, qu’ils ont le sentiment d’en avoir fait le tour, ils s’y accrochent comme à un doudou. »
« Ce phénomène touche indifféremment tout type de salarié, dans tous les secteurs d’activité, à part si on est un cador en IA. Le job hugging gagne également la Gen Z, pourtant souvent décrite comme en quête de changement permanent et d’évolutions rapides. »
Pourquoi ce phénomène émerge-t-il ?
« Le job hugging s’explique par un ensemble de facteurs :
- l’instabilité économique mondiale : de nombreuses entreprises gèlent leurs recrutements ou réduisent leurs effectifs.
- la raréfaction des opportunités d’emploi : les créations de postes ralentissent dans plusieurs secteurs.
- un climat social incertain : la sécurité d’un poste connu l’emporte souvent sur le pari d’une nouvelle opportunité.
- l’impact de l’automatisation et de l’IA : certains métiers se transforment rapidement, d’autres deviennent plus précaires. »
Comment se manifeste le job hugging ?
« Les experts de Korn Ferry relèvent plusieurs manifestations de ce phénomène :
- une réticence accrue à postuler ailleurs, même face à des offres attractives ;
- des salariés qui restent longtemps dans des postes qu’ils ont déjà dépassés, freinés par la peur du marché ;
- une forme de stagnation professionnelle : ils ne bougent plus, mais ne progressent pas non plus ;
- une illusion de fidélité qui masque parfois un désengagement latent. »
Quels risques pour les salariés et les entreprises ?
« Si le job hugging peut sembler rassurant, il comporte aussi de nombreux écueils.
Pour les salariés :
- un risque de stagnation et d’obsolescence des compétences ;
- une perte de confiance et d’estime de soi en se persuadant de »ne pas pouvoir trouver mieux » ;
- un impact néfaste sur la santé mentale (anxiété, lassitude) lié à l’impression de subir plutôt que de choisir.
Pour les entreprises :
- une illusion de fidélité : le turnover est faible, mais l’engagement réel aussi ;
- un risque de désengagement silencieux qui mine la performance collective ;
- des départs massifs possibles dès que le marché se relancera, créant une fuite de talents difficile à anticiper. »
Quels enjeux pour les employeurs ?
« À court terme, le job hugging peut donner l’impression d’une meilleure rétention des talents. Mais cette stabilité apparente est trompeuse. Le job hugging crée l’illusion de la loyauté, mais c’est en réalité de la stagnation : les collaborateurs ne restent pas parce qu’ils adhèrent au projet de l’entreprise, mais parce qu’ils n’ont pas de visibilité sur ce qu’ils pourraient faire ailleurs. C’est le moment d’investir dans le développement des compétences, le mentorat et la progression de carrière, pour donner envie à vos collaborateurs de rester pour de bonnes raisons, et non par peur. Un salarié qui hugge son job aujourd’hui ne restera fidèle demain que si on lui offre des perspectives réelles d’évolution. Les entreprises peuvent aussi profiter de cette occasion pour mesurer l’état d’engagement de leurs salariés, à travers des enquêtes, pour rester lucides sur la situation et identifier des axes d’amélioration de la qualité de vie et des conditions de travail. »