Le « headless hiring » ou quand l’IA se substitue au recruteur

Le mot RH de la semaine. Rebecca Malat, experte en recrutement au Mercato de l’Emploi, décortique ce phénomène qui gagne en importance.

headless hiring
« L'essor du headless hiring est l'une des manifestations d’un recrutement en pleine mutation. » © Andrey Popov/stock adobe.com

« Le headless hiring est en train de redéfinir les règles du recrutement. Le principe ? L’IA et les outils numériques ne sont plus de simples aides. Ils peuvent se substituer au recruteur humain sur une majeure partie du processus de recrutement : de la recherche de candidats à l’évaluation finale. Pour quelles performances ? Rassurons-nous. L’humain a encore son mot à dire… »

Un recrutement désincarné

« Ce modèle de recrutement “sans visage”, ou headless, gagne en popularité et il est essentiel de comprendre ses implications. Le processus est intégralement digitalisé : un chatbot pose les premières questions au candidat, des tests en ligne évaluent les compétences techniques et comportementales, et des plateformes vidéo enregistrent les entretiens qui seront ensuite analysés par une IA. Ce n’est qu’à l’étape finale, pour prendre la décision d’embauche, que le manager et le recruteur entrent en jeu, mais avec une liste de “finalistes” déjà triés sur le volet. Finis les biais inconscients liés à l’âge, au genre, à l’origine ou au parcours atypique. L’IA se base sur une analyse objective des compétences et de la compatibilité avec le poste. »

La vélocité

« Le headless hiring offre des atouts non négligeables dont la rapidité. Le temps de recrutement est drastiquement réduit, un avantage crucial dans les secteurs en pénurie de talents. Les algorithmes scannent des milliers de CV et de profils, identifiant les candidats les plus pertinents à une vitesse et avec une précision inégalées par l’humain. La productivité est également décuplée : les recruteurs peuvent se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée, comme l’accompagnement des collaborateurs ou le développement de la marque employeur. En effet, pour des recruteurs indépendants, cela signifie plus de temps pour accompagner les entreprises dans leur réflexion stratégique, et pour conseiller les candidats sur la valorisation de leur parcours. Enfin, l’équité est au cœur de cette approche. En se basant sur des critères objectifs, l’IA contribue à un processus plus juste et plus inclusif, en s’affranchissant des préjugés. »

Les défis et les limites

« Pourtant, cette automatisation soulève des questions. Si l’IA peut faciliter la gestion des candidatures ou encore l’évaluation des compétences, elle peut avoir du mal à cerner le facteur humain et émotionnel : la personnalité, les bifurcations de parcours, la motivation intrinsèque, la capacité à s’intégrer à une culture d’entreprise… Un candidat pourrait avoir toutes les compétences requises, mais ne pas être en phase avec les valeurs de l’équipe. Se pose aussi la question de la sécurité des données et de la transparence des algorithmes. Comment s’assurer que les modèles ne reproduisent pas des biais existants ? De plus, la déshumanisation du processus peut être perçue négativement par les candidats, qui peuvent se sentir comme un agrégat de simples données traitées par une machine, perdant l’occasion d’établir un lien et de poser des questions à un être humain. Or, ce lien reste essentiel. Dans mon rôle, je vois souvent que c’est lors d’un échange direct que le déclic se produit, autant pour le candidat que pour l’entreprise. De plus, sur le terrain, certains candidats peuvent se sentir frustrés de ne pas pouvoir exprimer leur singularité dès les premiers échanges. »

Vers un futur hybride ?

« Le headless hiring ne remplacera jamais complètement physiquement le recruteur. Ce sera d’ailleurs prochainement interdit par l’IA Act. L’avenir réside sûrement dans un modèle hybride où l’IA prend en charge les tâches répétitives et objectives, laissant au recruteur le soin de se concentrer sur l’aspect le plus essentiel : l’humain. En utilisant l’IA pour pré-qualifier les candidats et en conservant le contact humain pour les étapes clés, les entreprises pourraient allier l’efficacité des machines à l’empathie et au jugement des professionnels. L’essor du headless hiring est l’une des manifestations d’un recrutement en pleine mutation. Il nous appartient de trouver le juste équilibre entre la puissance des algorithmes et la richesse des interactions humaines. Il faudra nécessairement garder cette capacité à conjuguer technologie et proximité humaine. »

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Bien s’équiper pour bien recruter