10 erreurs à ne pas faire pour évaluer les soft skills

Tout le monde parle des soft skills mais peu savent vraiment comment les évaluer. Notre experte nous livre ses conseils pour mesurer l’impalpable.

Les soft skills ne se sentent pas, elles s’observent_comment evaluer les soft skills en entretien
Retrouvez les conseils de Coralie Nohel, experte en recrutement depuis 25 ans, pour évaluer les soft skills en entretien. © Pawel / stock.adobe.com

Dans un marché où les compétences techniques se périment aussi vite que les technologies évoluent, réussir l’évaluation des soft skills est devenu un incontournable. Et dans ce contexte, « nous attendons moins des personnes qu’elles “sachent déjà faire”, et plus qu’elles soient résilientes, adaptables, capables de gérer l’incertitude », observe Coralie Nohel, consultante indépendante en recrutement et RH après 25 ans dans la tech.

Une conviction forgée sur le terrain, au fil de centaines de recrutements. Pour elle, apprendre à identifier ces compétences « invisibles » est désormais aussi essentiel, si ce n’est plus, que de tester les savoir-faire techniques. Mais cela suppose une véritable méthode, loin du simple feeling ou des tests mal calibrés, mal utilisés, mal analysés.

Elle nous livre ses conseils pour fiabiliser l’évaluation des compétences non-techniques des candidats.

Erreur n°1 : mal définir ce que sont les soft skills

« Je n’utilise plus trop le terme de soft skills. Je préfère parler de compétences comportementales qui vont être liées à la personnalité, aux capacités émotionnelles, aux comportements en situation, et à d’autres aptitudes qui s’acquièrent et se développent : la rigueur et l’organisation par exemple », explique-t-elle.

Pour Coralie Nohel, la difficulté est que la définition même des soft skills est très large. « J’aime bien remplacer ce terme par une simple question : “quels sont les comportements attendus dans un poste et une entreprise donnés ?” » Autrement dit, il ne s’agit pas seulement d’évaluer des personnes qui savent faire, mais des personnes qui savent comment faire, avec qui, et dans quelle culture d’entreprise. Et cette nuance est capitale : un comportement attendu dans une ESN (capacité d’adaptation, curiosité, posture de conseil) ne sera pas forcément le même dans une PME industrielle ou une start-up en hypercroissance.

Il convient donc de définir les compétences comportementales attendues pour chaque poste, en fonction de l’entreprise, de son secteur, de son contexte et de sa culture.

Erreur n°2 : rester sur du déclaratif

« Les questions situationnelles, par exemple “si vous étiez confronté à telle situation, comment réagiriez-vous ?”, font appel à l’imaginaire et donc au déclaratif pur. Les questions comportementales, telles que “racontez-moi une situation où vous avez dû faire cela”, s’appuient sur du vécu. » Pour l’experte, la seconde approche est bien plus fiable, car elle mobilise des faits réels plutôt que des intentions. Et en toile de fond, un objectif : réussir à traduire des qualités abstraites en manifestations tangibles dans le travail quotidien.

Erreur n°3 : mal cadrer le brief du poste

« Je privilégie le travail sur le brief de poste, pour qu’il soit précis et détaillé, car c’est un des meilleurs moyens d’évaluer les comportements attendus. Je vois encore trop de briefs centrés sur les tâches, et pas assez sur les comportements. » Coralie Nohel est catégorique : le travail de préparation conditionne la qualité de l’évaluation.

« L’astuce, c’est d’identifier en amont  les situations critiques du poste, celles où les comportements clés se révèlent vraiment, et de les traduire en questions concrètes. » Elle partage un cas précis très parlant : « dans les ESN, une situation typique, c’est celle du consultant qui ne veut pas changer de mission. C’est un vrai problème business, parce que le propre d’une ESN est justement de faire tourner les missions. Il faut donc construire des questions autour de cette situation. Par exemple : “Racontez-moi une situation où vous avez dû changer de mission, et comment vous l’avez gérée ?” »

Erreur n°4 : rester sur un entretien classique

« Pour certains postes, je recommande de faire des mises en situation ou des “use cases” », explique Coralie Nohel.

Elle prend l’exemple de la fonction sales : « au fil des entretiens, pour aider le candidat à se projeter, nous allons lui donner des éléments tels que le type de client ou l’écosystème de l’entreprise. À la fin du processus, pour transposer le candidat dans une situation réelle du poste, nous lui demandons : “avec toutes les informations que vous avez eues au cours du process, quelle présentation feriez-vous de l’entreprise à tel type de client ?” » Cette approche permet d’observer concrètement comment chaque candidat cherche et assimile les informations, comment il les restitue, comment il réfléchit et s’exprime.

« J’aime aussi m’inspirer d’autres secteurs. Dans la gastronomie, par exemple, les grands chefs ne passent pas d’entretien : on les met directement en situation. C’est ça, le meilleur moyen d’évaluer une compétence comportementale : la voir à l’œuvre. » Il s’agit, en somme, de créer une mise en situation proche des réalités du poste pour observer les comportements en live.

Erreur n°5 : ne pas impliquer les managers

Pour notre experte, « l’entretien de recrutement n’est pas une discussion improvisée avec quelques questions notées sur un coin de cahier, et l’évaluation des soft skills ne relève pas du recruteur seul. » Elle ajoute, « lorsque l’on dit “tous recruteurs, tous formés au recrutement”, cela signifie que chaque personne impliquée dans un process doit savoir comment évaluer les compétences comportementales. »

Coralie Nohel recommande donc d’organiser des formations courtes pour les managers, afin de leur donner une grille claire de comportements à observer et les aider à les évaluer objectivement.

Erreur n°6 : accorder trop d’importance au feeling

« Dans le recrutement, une erreur courante, c’est le fameux “je ne le sens pas”. C’est le pire feedback que l’on puisse faire. » Le feeling est l’ennemi numéro un de l’évaluation comportementale, parce qu’il renforce les biais. Coralie Nohel préfère des preuves tangibles : « j’incite tous les recruteurs à noter des verbatims des candidats dans leurs comptes rendus : quelle question ils ont posée, ce que le candidat a répondu, et ce qu’ils en ont déduit. »

L’évaluation comportementale n’est pas une affaire de ressenti, « mais si nous percevons une incohérence, il faut la creuser : poser des questions complémentaires ou transmettre l’information à la personne qui mènera le prochain entretien. L’objectif, c’est de construire un process à rebonds, où chaque entretien explore un angle différent des mêmes compétences. Parce qu’il faut arrêter de croire qu’après trois ou quatre entretiens, nous connaissons un candidat et savons comment il se conduira une fois en poste. »

Erreur n°7 : ne pas utiliser les tests à bon escient

Assessment, recrutainment : est-ce la solution magique ? Pour notre experte, la réponse est non. « Je constate un regain d’intérêt pour les tests d’assessment. Les entreprises cherchent des outils pour sécuriser leurs recrutements et ces tests permettent d’avoir un regard sur la personnalité ou la psychologie d’un candidat. Je trouve l’idée intéressante, et il en existe de très bons, mais le problème réside dans la façon dont ils sont exploités ensuite, sur leur usage souvent arbitraire. »

Quant aux mises en situation ludiques, « elles peuvent avoir du sens si elles sont construites scientifiquement, par des psychologues du travail, avec une vraie méthodologie derrière. Mais la plupart du temps, ce n’est pas le cas. »

Coralie Nohel met en garde contre ces dérives par un exemple parlant : « j’ai vu des recruteurs dire : “j’offre un café au candidat et je regarde si le candidat débarrasse sa tasse.” Ce n’est pas de l’évaluation. C’est du biais pur. Nous devons bannir toute interprétation intuitive et leur préférer les faits observables. »

Erreur n°8 : ne pas tirer de leçon de ses pratiques

« Il faut savoir analyser ses recrutements a posteriori. » Coralie Nohel nous raconte un cas marquant : « pour un poste de Delivery Manager dans la tech, nous avions validé un candidat sur ses hard skills, mais nous avions quelques doutes sur sa capacité à créer du lien, une compétence importante pour ce type de poste. Nous avons tout de même avancé avec lui. Mais au final, la collaboration n’a pas fonctionné. » L’équipe a alors revu sa grille d’évaluation, remonté cette compétence comportementale importante et retravaillé son panel de questions pour les recrutements suivants. D’où l’importance de systématiser un débrief collectif après chaque recrutement pour ajuster les critères et les questions en fonction des réussites et des échecs.

« Et il faut se rappeler que les choses changent rapidement : le contexte de l’entreprise, ses besoins, sa culture. Trop d’organisations recrutent encore sur des fiches de poste obsolètes », ajoute l’experte.

Erreur n°9 : penser que les biais n’existent pas

« Le jour où toutes les entreprises feront des briefs poussés et poseront des questions purement comportementales, nous aurons déjà fait un énorme pas en avant. »

L’évaluation des soft skills n’est ni une affaire de flair ni de jeu de rôle, mais un processus rigoureux fondé sur la préparation, la formation et l’observation concrète. Et comme le rappelle Coralie Nohel : « Tout le monde a des biais, moi y compris. Dire “je n’ai pas de biais”, c’est déjà un biais en soi. »

Erreur n°10 : être trop focalisé sur les hard skills

L’une des forces de l’évaluation des compétences comportementales réside dans sa capacité à faire émerger des potentiels qu’un prisme purement technique aurait pu écarter. C’est notamment le cas des profils junior ou en reconversion, souvent désavantagés par une lecture trop rigide des hard skills. Or, ces talents en devenir peuvent parfois devenir les meilleurs éléments, à condition de savoir les repérer. « Se limiter aux savoir-faire techniques, c’est peut-être passer à côté du top performer de demain », observe Coralie Nohel.

Et elle en sait quelque chose : dans le monde du recrutement, les meilleurs professionnels sortent rarement d’une formation purement RH : « ils viennent du marketing, du commerce, des sciences humaines, voire de la littérature ». Et ce n’est pas un hasard : ils savent écouter, convaincre, évaluer, créer du lien, autant de compétences transposables qui se développent par l’expérience, la curiosité et l’adaptabilité.

Et dans un monde en pleine transformation, où les métiers évoluent, « l’IA défiera en premier lieu les hard skills, plus facilement reproductibles que les soft skills. Un exemple simple dans le monde de la traduction : si un outil peut traduire aujourd’hui, peut-il apporter les subtilités d’écriture liées à l’émotion ? », conclut Coralie Nohel.

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Bien s’équiper pour bien recruter