Evaluer la performance avec une échelle de score : outil objectif ou infantilisant ?
Le match RH. Débat entre Jessica Djeziri, DRH de Bloomays, et Eva Milcent, directrice RH et Transition chez Lemon Tri.
Utilisez-vous une échelle de score pour évaluer la performance de vos collaborateurs dans le cadre de vos entretiens annuels ?
Jessica Djeziri : Oui, j’ai décidé de mettre en place ce système d’évaluation à mon arrivée chez Bloomays, car je l’avais expérimenté dans d’autres entreprises. C’est un bon moyen de clarifier l’évaluation du manager et de prendre des décisions rationnelles et justes sur le développement des compétences des collaborateurs.
J’ai souvent été amenée à créer un service RH dans les entreprises par lesquelles je suis passée et il n’y avait, le plus souvent, pas de politique RH structurée pour les entretiens annuels. L’évaluation de la performance se faisait sans structure particulière, souvent de façon informelle. Cela générait souvent de l’insatisfaction et de l’incompréhension chez les collaborateurs, qui ne comprenaient pas comment ils étaient évalués, sur la base de quels critères, et quelles étaient leurs perspectives d’évolution.
Eva Milcent : Quand je suis arrivée chez Lemon Tri, le système d’évaluation reposait sur des grilles de notation des compétences, qui allaient de 1 à 5. Une de mes premières missions a été de revoir le processus d’évaluation car, d’une part, il était jugé infantilisant par les salariés et, d’autre part, il s’adaptait mal aux enjeux de l’entreprise. En effet, nous étions une entreprise en forte croissance avec une grande polyvalence des postes et une nécessité de s’adapter en permanence, ce qui rendait l’évaluation de certains critères plus complexe. J’ai donc décidé de refondre les grilles d’entretien annuel, qui se concentraient davantage sur les réussites, les accomplissements de l’année et les besoins en développement de compétences. En 2025, nous avons encore fait évoluer les grilles : nous avons décliné chaque métier de l’entreprise en niveau de séniorité avec des attentes claires en termes de compétences. Cela permet aux salariés de savoir précisément ce qu’il est attendu d’eux et comment ils peuvent progresser au niveau suivant, sans pour autant avoir un système de notation.
De manière générale, je suis convaincue que les notes n’ont pas leur place en entreprise, c’est trop scolaire.
Jessica : Je te rejoins sur le fait qu’il faut bannir les notes, on ne peut pas décider d’accorder ou de refuser une promotion ou une augmentation sur la base d’une note sur 5. Je préfère utiliser une échelle de score et des périphrases pour définir chaque niveau.
Plus précisément, Jessica, combien de niveaux ton échelle de score comprend-elle et à quoi correspondent-ils ?
Jessica : Notre grille d’évaluation comprend cinq niveaux : performance exceptionnelle, au-dessus des attentes, conforme aux attentes, en dessous des attentes, besoin d’amélioration. A mon sens, chaque entreprise définit ce que cela signifie de se situer à tel ou tel niveau en fonction de sa propre culture. Chez nous, il n’y aura sans doute, chaque année, qu’une ou deux personnes par département qui pourraient entrer dans la catégorie « performance exceptionnelle ». En revanche, il ne faut pas forcément avoir atteint 100% de ses objectifs pour être « conforme aux attentes ». Si les objectifs fixés par ton manager étaient très ambitieux et que tu les as remplis à 70%, tu peux très bien cocher cette case.
Comment s’assurer que l’ensemble des collaborateurs comprennent bien le système d’évaluation ?
Eva : Les managers sont nos premiers relais sur le terrain. La première clé est de construire des grilles d’évaluation qui correspondent à leurs attentes et de les faire devenir des experts de ces grilles, afin qu’ils soient à l’aise avec toutes les questions que pourront leur poser leurs équipes.
Ensuite, lorsqu’on crée ou qu’on revoit le système d’évaluation, il faut prévoir un plan de communication qui débute plusieurs mois avant les premiers entretiens. La direction doit communiquer sur la manière dont ont été construites ces grilles et sur celle dont elles vont être utilisées, en lien avec les grilles de rémunération. Puis, il faut mettre ces documents à la disposition de tous via une plateforme interne. Enfin, en tant que RH, il faut rester disponible, prendre le temps de faire preuve de pédagogie auprès des salariés qui auront des questions plus précises sur les tenants et les aboutissants de la méthode d’évaluation.
La décision d’accorder une promotion ou une augmentation à un collaborateur se base-t-elle principalement sur l’évaluation de sa performance ?
Jessica : Oui, la décision est fortement basée sur l’atteinte des objectifs, même si elle prend également en compte d’autres compétences non liées directement à la performance. C’est pourquoi c’est très important que ces objectifs soient définis avec clarté et expliqués aux collaborateurs avec pédagogie, sinon on entretient un certain flou artistique. Par exemple, à un comptable, on peut fixer comme objectif d’effectuer la clôture comptable avant le 31 mai, c’est un objectif mesurable, atteignable, et facile à évaluer. Chez nous, nos collaborateurs sont majoritairement des recruteurs, qui portent des objectifs quantitatifs et qualitatifs, revus chaque trimestre. L’atteinte d’un certain niveau de facturation va avoir une incidence sur leur salaire variable mais également leur fixe
Eva : C’est un peu différent chez nous : le niveau de salaire fixe est déterminé par la mise en œuvre de compétences et pas nécessairement par l’atteinte d’objectifs. Si un collaborateur se situe à tel niveau, c’est parce qu’il contribue à faire évoluer les process de l’entreprise, à tel autre, c’est parce qu’il sait gérer un projet de A à Z en autonomie. C’est comme ça que j’ai construit notre grille de rémunération. En revanche, l’atteinte des objectifs peut donner lieu à des primes exceptionnelles.
Combien de fois la performance de vos collaborateurs est-elle évaluée au cours d’une année ?
Jessica : Dans un business qui va très vite, par exemple dans la tech ou le commerce, ça me semble indispensable d’évaluer la performance plusieurs fois par an. Chez Bloomays, on le fait une fois par trimestre. On a trois entretiens plus light où on fait un point d’étape sur l’atteinte des objectifs et où l’on définit les objectifs du trimestre suivant et un entretien plus complet par an.
Eva : De notre côté, on organise deux entretiens d’évaluation par an : un en janvier, où l’on parle rémunération et où l’on fixe les objectifs du premier semestre, et un en juillet, où l’on dresse le bilan à mi-année et où l’on définit les objectifs du deuxième semestre.
Appliquez-vous la même méthode d’évaluation pour tous les métiers de votre entreprise ou bien utilisez-vous des techniques spécifiques, par type de poste ?
Eva : Chez Lemon Tri, on compte 110 collaborateurs qui représentent une trentaine de métiers différents. On est parti du principe qu’on ne peut pas évaluer de la même manière un chauffeur-collecteur et une assistante comptable par exemple. On a donc choisi de distinguer les métiers qui comptent au moins quatre occurrences chez nous (les métiers graines) et les métiers qui regroupent moins de quatre collaborateurs (les métiers citronniers). Pour la première catégorie, on a créé une grille d’évaluation par métier, pour la seconde, on se concentre sur trois critères d’évaluation : le degré d’autonomie, le niveau d’expertise et le niveau de management pour les postes d’encadrement.
Jessica : Chez Bloomays, les méthodes sont les mêmes quels que soient les métiers. C’est seulement la définition des objectifs qui est propre à chaque fonction.
Proposez-vous à vos collaborateurs d’auto-évaluer leur performance ?
Eva : On distribue au manager et au salarié la grille d’entretien en amont et chacun est invité à remplir les réussites du semestre, les axes d’amélioration, les points forts, les objectifs du semestre suivant. Le collaborateur présente ensuite sa grille à son manager et ce dernier complète l’auto-évaluation avec ses propres commentaires.
Jessica : Le process d’évaluation commence toujours par une phase d’auto-évaluation, dans les 15 jours précédant l’entretien, pendant laquelle les managers laissent les collaborateurs prendre le temps de préparer leur évaluation de leur côté. En fonction des outils de suivi (Leapsome, Elevo, Lucca…), cette auto-évaluation peut rester invisible pour que les managers ne soient pas influencés lors de leur propre évaluation. Le plus important, c’est que les deux parties arrivent bien préparées à l’entretien.
Comment réagir en cas de désaccord entre un manager et un collaborateur sur l’évaluation d’un critère de performance ?
Eva : Ca a peu de chances d’arriver si on prépare bien le terrain avec les managers. Je prévois 2h à 4h de préparation avec eux avant chaque vague d’entretiens. Ça leur permet d’avoir ensuite un discours clair et construit auprès de leurs équipes.
Jessica : Je suis d’accord avec Eva, la communication et la préparation sont clés ! Il faut prendre le temps en amont de partager de la documentation écrite sur le process et de partager toutes les informations nécessaires aux managers. Je recommande aussi de structurer la gestion de la performance en organisant des « people reviews”, ou “comité de gestion de la performance” en français, avant les entretiens annuels. Le faire en amont permet de conseiller et guider les managers sur leur évaluation afin qu’ils restent objectifs, fair et pertinents. Cela permet aussi de calibrer les évaluations d’un collaborateur à l’autre, afin de ne pas “sur-noter” ou “sous-noter”.
Eva Milcent
Directrice des ressources humaines et de la transition chez Lemon Tri
Après avoir occupé des postes RH et une expérience dans le conseil en ressources humaines et en management auprès de différents types de structures et conduit des missions d’accompagnement au changement et de diagnostic RH, Eva Milcent exerce, depuis 2021, le poste de directrice des ressources humaines et de la transition chez Lemon Tri, une entreprise spécialisée dans le tri à la source pour les déchets recyclables et la collecte des emballages réemployables.
Jessica Djeziri
DRH et associée chez Bloomays
En 17 années de carrière, Jessica Djeziri a occupé diverses fonctions RH, à commencer par le recrutement, jusqu’au poste de DRH dans plusieurs entreprises de la French Tech comme PhotoBox, Shift Technology ou Ornikar. Depuis 2023, elle est DRH et associée du cabinet de recrutement et de conseil RH Bloomays.