Entreprise à mission : qu’est-ce que ça change ?
Deux ans après la création de l’entreprise à mission, combien d’entreprises françaises ont adopté ce statut et pour quels résultats ?
Les entreprises à mission fleurissent aux quatre coins de la France. Au troisième trimestre 2021, on en dénombrait 405, selon Anne Mollet, directrice générale de la communauté des entreprises à missions : « Ce développement est rapide car la démarche prend entre 6 et 24 mois. On constate que 79% des entreprises qui adoptent ce statut ont moins de 50 collaborateurs, ce qui est assez représentatif de la composition du tissu économique français. On remarque aussi que c’est un statut qui peut convenir à tout type d’entreprise (traditionnelle, ESS, jeunes entrepreneurs…) »
Le but de l’entreprise à mission ? Se doter d’une raison d’être qui poursuit des objectifs sociaux et/ou environnementaux et qui dicte les choix stratégiques de l’entreprise. « Ces chefs d’entreprise ont compris qu’intégrer des objectifs sociaux et environnementaux à leur stratégie économique est un enjeu de performance à moyen et long terme », précise Anne Mollet.
Mais, au-delà du projet éthique louable, qu’est-ce que ce statut change dans le quotidien des entreprises qui l’ont adopté ?
Une large reconnaissance de l’engagement de l’entreprise
Selon Arnaud Stimec, membre du comité scientifique de la CEM et professeur à l’IAE de Nantes, « l’entreprise à mission n’est pas la recherche d’un label mais une volonté de transformation de l’intérieur. En cela, il est complémentaire de la notion de B-Corporation ».
Cette démarche a également pour visée de faire reconnaître au grand public vos engagements : « C’est une objectivation externe de la mission que vous vous êtes donnée, car le statut est validé par un organisme tiers auprès de l’Assemblée nationale », précise Mathias Vicherat, directeur de Sciences Po Paris et ancien secrétaire général de Danone.
Selon Anne Mollet, 81% des entreprises à mission ont fait le choix de faire intervenir des parties prenantes extérieures au sein de leur comité de mission, qu’il s’agisse de clients, de fournisseurs, de membres de la société civile. Au sein du laboratoire pharmaceutique Chiesi, par exemple, le comité est composé d’experts RSE, de professionnels de santé, d’hommes politiques, d’un représentant de l’usine et d’un visiteur médical.
Un renouveau dans la gouvernance d’entreprise
Autre conséquence de ce nouveau statut : il renouvelle les enjeux de gouvernance. « Le comité de mission, chargé de contrôler l’adéquation entre les objectifs et les pratiques de l’entreprise, se met à table au côté du Comex. Il fournit d’autres indicateurs, est à l’initiative d’idées nouvelles et d’autres stratégies à approfondir pour être en phase avec la mission à accomplir », détaille Mathias Vicherat.
« Le challenge est de trouver une articulation optimale entre ce comité de direction, CSE et comité de mission mais c’est assez stimulant », témoigne Camille Lemaître, Business Development et Sustainability Director chez Chiesi France.
Des indicateurs précis comme boussole d’action
Le comité de mission a notamment pour tâche de définir des indicateurs mesurables pour vérifier que les objectifs sont bien atteints. « Cela permet d’évaluer la cohérence de nos actions en répondant à cette question : est-ce que l’ensemble des décisions sont prises au tamis de notre raison d’être qui est : agir sur les facteurs sociaux économiques et environnementaux qui améliorent la santé des personnes », témoigne Catherine Touvrey, directrice générale d’Harmonie Mutuelle.
A titre d’exemple, la raison d’être de Chiesi (« prendre soin des patients et de la planète ») a servi de ligne directrice pour lancer un projet de fabrication d’un aérosol pour les maladies respiratoires qui sera « carbone minimum », fabriqué en France et générera 50 emplois. « Nous avons également adopté un code de conduite des fournisseurs pour sélectionner les plus vertueux ou les amener à la devenir », illustre Camille Lemaître.
Mais, comme le dit Mathias Vicherat, « le rôle du comité de mission ne doit pas être cantonné à la définition d’indicateurs. Il doit avoir une influence sur l’approfondissement de certaines politiques. Pour que ses orientations stratégiques et commerciales soient en phase avec sa raison d’être (« apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre »), Danone a dû se dessaisir de certains portefeuilles. La mission peut servir de juge de paix pour prendre des décisions parfois difficiles. »
Un projet commun qui renforce l’engagement des salariés
L’entreprise à mission est aussi un sujet fédérateur, propice à remporter l’adhésion de tous les collaborateurs. « Ils se sont tout de suite approprié le sujet, s’enthousiasme Camille Lemaître. C’est une source de fierté pour eux. Cela leur permet aussi de tester de nouvelles méthodes de travail, de se réinventer, d’avoir des échanges riches avec le comité de mission. »
Les entreprises organisent régulièrement des consultations auprès de leurs salariés : « Plus de 16 000 personnes se sont exprimées. Nous avons eu des discussions intéressantes sur le bien-fondé de la démarche : nous sommes mutualistes, non lucratifs, d’intérêt général, qu’est-ce que la société à mission nous apportera de plus ? En réalité, ce statut nous a permis de créer un projet commun », explique Catherine Touvrey.
« Nous sommes contents du niveau de mobilisation qu’a généré la démarche, poursuit-elle. Plus de 16 000 personnes se sont exprimées dans le cadre de notre consultation. Nous avons eu des discussions sur le bien-fondé de la démarche : à quoi bon ? Nous sommes mutualiste, non lucratif, d’intérêt général, qu’est-ce que cela nous apportera de plus ? Ce statut nous a permis de créer un projet commun. »
Un facteur d’attractivité
A l’heure où les collaborateurs recherchent du sens au travail et plébiscitent l’engagement de l’entreprise sur des sujets comme la RSE, l’inclusion ou la diversité, se doter d’une raison d’être peut représenter un réel atout pour recruter de nouveaux talents.
« La crise sanitaire a été un vrai accélérateur, note Mathias Vicherat. Les attentes des consommateurs envers le gouvernement et les grandes entreprises n’ont jamais été aussi fortes. L’entreprise à mission, c’est le sens de l’histoire et un élément fort d’attractivité et de marque employeur. Pour des raisons à la fois éthiques et pragmatiques, je suis convaincu que c’est un bon chemin ! »