4 actions RH pour que l’IA ne creuse pas les inégalités professionnelles
Les entreprises peuvent éviter que le développement de l’IA au travail se fasse sans les femmes.

Algorithmes discriminatoires, secteur tech dominé par les hommes, manque d’opportunités de formation… L’intelligence artificielle se développe parfois en laissant les femmes sur le bas-côté. Pour Jean Guo, fondatrice de Konexio, une association d’insertion professionnelle et sociale par le numérique, les RH ont un rôle à jouer pour que les femmes ne soient pas les grandes perdantes de cette transformation technologique.
Identifier les biais des outils de recrutement
On se rappelle de l’affaire Amazon : le géant de l’e-commerce avait mis en place en 2014 un algorithme de sélection des candidats basé sur l’IA, qui rejetait les candidatures féminines pour des postes techniques tels que développeur de logiciel. Le recours à l’intelligence artificielle dans le cadre du recrutement ne faisait qu’amplifier les inégalités déjà présentes dans les bases de données sur lesquelles s’entraînait le modèle de langage, dont la sous-représentation des femmes au sein de certains corps de métier.
« Aujourd’hui, 50 à 70% des outils de recrutement intègrent déjà l’IA, mais certains recruteurs ne le savent même pas. C’est un peu la boîte noire et ça peut être très dangereux », constate Jean Guo. Or, si l’IA se fonde sur des bases de données déséquilibrées, c’est à l’humain de rectifier le tir : « Le recruteur doit pouvoir corriger les biais de la machine, en faisant des points réguliers sur la parité au sein de chaque département de l’entreprise, sur la diversité des profils de candidats sélectionnés par l’outil à chaque étape du process. Pour que cela soit le plus efficace possible, le recruteur doit pouvoir se rapporter à des objectifs précis fixés par la direction en matière d’égalité professionnelle. »
Diversifier les recrutements sur les postes dans le secteur de l’IA
« L’autre origine des biais des outils de recrutement intégrant l’IA est qu’ils sont majoritairement conçus par des hommes », avance Jean Guo. Selon un rapport de l’Unesco de 2022 sur les effets de l’IA sur la vie professionnelle des femmes, « seuls 18% des principales conférences scientifiques sur l’IA sont assurées par des femmes ». Ces travaux pointent aussi qu’en 2019, seuls 18% des principales start-up dans le secteur de l’IA étaient dirigées par des femmes. Les experts de l’Unesco invitent à recruter davantage de femmes dans le secteur de l’intelligence artificielle pour créer des modèles de langage plus inclusifs.
Plutôt que de se tourner vers des profils ultra spécialisés, Jean Guo conseille aux recruteurs d’élargir leur champ de sourcing : « Au lieu de cibler des experts de l’IA qui travaillent dans de grandes entreprises de la tech ou des start-up, donc essentiellement des hommes, on peut se tourner vers des plateformes généralistes et recruter des femmes qui ont de l’expérience dans la tech et pourront facilement monter en compétences sur l’intelligence artificielle. »
Au-delà de multiplier les canaux de sourcing, la fondatrice de Konexio suggère aussi de vérifier les termes et les formules des offres d’emploi pour que les femmes ne s’interdisent pas de postuler sur ce type de métier.
Sensibiliser pour mieux anticiper la transformation des métiers
« Concernant l’IA, de nombreuses entreprises attendent de voir ce qui passe et se placent dans une position de réactivité, au lieu d’anticiper la transformation de leurs métiers. Or, elle est déjà en marche », souligne Jean Guo.
La première chose est de s’en rendre compte et de l’intégrer à sa stratégie d’entreprise, puis de l’expliquer à ses collaborateurs. « Pour se préparer au mieux à ces changements, il faut l’implication des trois niveaux : la direction qui définit la stratégie, les RH et les managers qui accompagnent de manière opérationnelle la transition et enfin les collaborateurs eux-mêmes. C’est important que les équipes comprennent en quoi cette transformation les concerne directement et les changements concrets que cette technologie peut changer dans leur quotidien à l’horizon de trois à cinq ans. »
Accompagner tous ses collaborateurs dans leur montée en compétence sur l’IA
De manière assez paradoxale, les métiers à prédominance féminine seront parmi les plus impactés par l’IA et, pour autant, les femmes sont beaucoup moins formées à l’IA que les hommes. Des métiers tels que ceux de la relation client ou du secrétariat, majoritairement féminins, sont très exposés aux transformations portées par l’IA. Selon l’organisation internationale du travail, les femmes seraient 2,5 fois plus exposées au risque d’automatisation que les hommes. Dans le même temps, seuls 24% des femmes ont bénéficié de formations à l’IA proposées par leur employeur contre 40% des hommes, d’après une étude Randstad publiée fin 2024.
« L’IA pose un enjeu de maintien de l’employabilité. Certains collaborateurs se sont formés en autodidacte à l’IA sur des outils gratuits. Mais ce n’est pas si facile pour tout le monde de s’approprier ces nouveaux outils. Les entreprises doivent offrir l’opportunité de se former à cette technologie à tous les collaborateurs. »
En effet, les compétences liées à l’IA sont très recherchées par les recruteurs et d’ores et déjà valorisées en termes de rémunération, précise Jean Guo : « A titre d’exemple, on voit que les salaires d’entrée pour les développeurs junior ont déjà augmenté avec l’essor de l’IA. Car, si au lieu de recruter 10 développeurs junior, je n’ai besoin d’en recruter que 5 qui maîtrisent aussi l’IA pour être tout aussi productifs, je peux me permettre de leur proposer des salaires plus élevés. »
Or, laisser les femmes à l’écart de ces formations peut, à terme, creuser davantage les inégalités salariales de genre. D’où l’importance de leur proposer ce type de formations, a fortiori si elles occupent un métier très exposé à l’automatisation.
L’apprivoisement de l’outil peut d’abord se faire à l’échelle d’une équipe ou d’un département, explique la fondatrice de Konexio : « C’est intéressant de mettre en place des projets pilotes autour de l’IA appliquée à des cas pratiques. Par exemple, une équipe marketing peut y avoir recours pour créer une publicité et voir ensuite si le contenu proposé répond au besoin du client, identifier les biais et construire des garde-fous. »
Jean Guo
Fondatrice de Konexio et de Solidity Lane
Arrivée aux USA à l’âge de 5 ans, Jean Guo observe en grandissant les difficultés d’insertion auxquelles font face les personnes issues de parcours migratoires. Adulte, elle se passionne pour la défense des problématiques de justice sociale et des disparités en matière de santé. Pour répondre à ces enjeux de diversité et d’inclusion socio-économique, Jean fonde Konexio en 2016, une association et un organisme de formation qui œuvrent en faveur de l’insertion socio-professionnelle de personnes éloignées de l’emploi et du numérique. En 2024, après avoir assuré le développement de Konexio, dont elle est désormais présidente, en France et en Afrique, elle s’est lancée dans une nouvelle aventure entrepreneuriale avec la création de Solidity Lane. Décidée à faire bouger les lignes sur les sujets d’égalité des chances, de la place des femmes dans l’entrepreneuriat, dans les métiers tech et de l’IA, Jean Guo intervient régulièrement lors de séminaires ou de conférences où elle partage sa vision et ses idées.