Entreprises : « Accompagner un salarié aidant, ça ne s’improvise pas ! »

Entretien avec Hélène Rossinot, médecin, experte de la question des proches aidants et autrice de « Ma famille, mon job et moi ».

" De nombreux aidants n’oseront pas demander d’aide s’ils ont peur d’être mis au placard, qu’on les regarde différemment ou qu’on les accuse d’être fainéants."
" De nombreux aidants n’oseront pas demander d’aide s’ils ont peur d’être mis au placard, qu’on les regarde différemment ou qu’on les accuse d’être fainéants." © HelloWork

Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les proches aidants dans le cadre professionnel ?

Hélène Rossinot : D’abord le poids du regard des autres, en particulier de ceux qui ne sont pas informés, pas éduqués sur le sujet, et qui jugent assez facilement. Mais aussi la peur avérée de se faire mettre à l’écart, au placard, de se faire refuser une promotion ou un gros dossier, voire de perdre son emploi. Le risque d’épuisement est aussi important lorsqu’on cumule son travail, sa vie de famille et un rôle d’aidant et que notre travail ne s’adapte pas à notre emploi du temps.

Comment, en tant qu’employeur, être au courant des difficultés
rencontrées au quotidien par ces salariés aidants ?

H.R : Il faut que les salariés osent en parler. Et pour qu’ils osent en parler, il faut qu’ils connaissent le terme même d’aidant. Or, environ la moitié des proches aidants ne réalisent pas qu’ils sont dans cette situation et, donc, ne demandent pas d’aide à leur manager ou à leur entreprise.

Pour que la prise de conscience ait lieu, il faut faire évoluer la culture d’entreprise, en informant et en éduquant tous les collaborateurs. De nombreux aidants n’oseront pas demander d’aide s’ils ont peur d’être mis au placard, qu’on les regarde différemment ou qu’on les accuse d’être fainéants. En Australie, par exemple, il existe une loi qui autorise les salariés aidants à demander des horaires adaptés, cela est devenu un vrai droit. On doit s’en inspirer en France. Ensuite seulement, on pourra faire en sorte que les personnes concernées puissent venir en parler.

Un baromètre anonyme peut-il être utile pour faire émerger les principaux besoins de ces salariés ?

Cela peut être une bonne idée, si le travail d’information et d’éducation que j’évoquais a été fait en amont. Sinon les gens n’oseront pas répondre. Il faut, par ailleurs, être vigilant dans la conception même du baromètre, qui risque soit de ne pas être assez anonyme, car chaque situation est très spécifique, soit de ne pas être assez précis dans sa formulation. On compte 11 millions d’aidants en France et à peu près 60% d’entre eux travaillent. Deux aidants n’ont pas du tout les mêmes besoins.

Organiser des Cafés des aidants en interne : est-ce une bonne solution
pour libérer la parole ?

H.R : C’est une initiative intéressante même s’il ne faut pas oublier que n’iront au Café des aidants que des personnes qui sont prêtes à en parler. Il faut réussir à embarquer les nouveaux collaborateurs et à y faire participer tous les salariés, et pas seulement les aidants. Idéalement, il faut que le Café soit animé par un RH ou un collaborateur aguerri à ce sujet, à la fois pour faire sortir des choses intéressantes de ces discussions et pour poser un cadre.

Comment faciliter l’organisation du temps de travail des aidants ? Cela peut-il passer par plus de télétravail, des jours de congé supplémentaires, des dons de congés ou de RTT entre collègues ?

H.R : Certaines entreprises ont mis en place des dons de RTT ou de jours de congés. Personnellement, je ne crois pas que ce soit une bonne solution. Les congés ne sont pas là pour rien et j’ai du mal à voir pourquoi certains salariés devraient pallier les manques d’accompagnement des aidants. La solidarité est une belle valeur, mais c’est à l’Etat et à l’entreprise d’apporter des solutions. En 2030, on estime qu’un quart des salariés seront aidants, donc il semble difficile de se reposer exclusivement sur des dons de congés.

Le télétravail est utile pour les proches aidants, car il offre plus de flexibilité, par exemple pour déposer des dossiers auprès d’administrations, qui ont des horaires d’ouverture restreints. Mais ce n’est pas la solution à tout et cette organisation ne doit pas ouvrir la voie au micro-management.

Les jours de congés supplémentaires sont intéressants, à condition qu’ils soient faciles à prendre et bien rémunérés. Actuellement, le congé proche aidant est mal indemnisé, à peine au-dessus du Smic. Beaucoup d’aidants ne peuvent pas se permettre de le prendre, car cette période se traduira par une baisse trop importante du revenu du foyer qui peut être très difficile à surmonter dans le contexte économique actuel.

Comment former les RH et les managers à ce sujet ?

H.R : Pour accompagner correctement les aidants, il est essentiel de former les RH et les managers. Il faut aller au-delà de l’information et de la sensibilisation, car on n’improvise pas l’accompagnement d’un aidant. Il faut leur donner les clés pour répondre à ces questions : quelle distance avoir par rapport à la situation ? Comment s’adresse-t-on à l’aidant ? Quelles solutions lui apporter ?

Cela passe par des formations dédiées, par la lecture de livres, par un travail main dans la main avec les référents aidants et des discussions avec les principaux concernés pour connaître leurs besoins.

Comment communiquer auprès de vos salariés sur les politiques dédiées
aux aidants ?

H.R : Il faut communiquer avec empathie, en s’appuyant sur des actions concrètes. C’est un sujet sérieux, les personnes concernées ont besoin de sentir qu’on va les accompagner avec des solutions solides. La confiance ne se construit en parlant du sujet des aidants une fois dans l’année, le 6 octobre !

Bien s’équiper pour bien recruter