Comment accompagner un salarié atteint d’un cancer ?

Avant, pendant et après la maladie, quel rôle peut jouer l’employeur pour aider un collaborateur à traverser cette épreuve ? Trois femmes témoignent.

L'une des clés d'un accompagnement réussi ? Une écoute active et bienveillante du collaborateur touché par la maladie.
L'une des clés d'un accompagnement réussi ? Une écoute active et bienveillante du collaborateur touché par la maladie. © Mariusz S/peopleimages/stock adobe.com

« Quand j’ai dit à mon manager que j’avais un cancer, sa première inquiétude a été de pallier la désorganisation du service que mon absence allait entraîner. En un quart de seconde, j’ai su que je ne remettrai plus les pieds là-bas. Pendant mon année de traitement, je n’ai eu aucune nouvelle de la part de mon employeur. Silence total ! Rupture du lien avec les managers, les collègues. J’ai vu que le sujet perturbait. »

Après sa guérison, Brigitte Chollet, qui travaillait jusque-là dans une entreprise de services numériques, décide de fonder Réso’Forces, une association spécialisée dans l’accompagnement au retour à l’emploi des salariés en longue maladie. Pour partager son vécu et éviter que les entreprises ne commettent ce type de maladresse.

Selon le baromètre Cancer@Work 2024, 59% des actifs ayant eu un cancer disent avoir eu du mal à partager cette information avec leur employeur : « C’est un sujet personnel, intime, qui reste tabou en entreprise parce qu’il est source d’angoisse : il renvoie chacun à sa propre finitude, constate Brigitte. La plupart des personnes atteintes par la maladie n’ont pas envie d’en parler parce qu’elles ont peur de perdre leur travail ou de ne plus évoluer professionnellement. »

L’annonce de la maladie : comment réagir ?

Une écoute bienveillante

« C’est finalement assez récent qu’on aborde ces sujets-là au travail, mais je suis plutôt optimiste quant à la volonté des managers de faire preuve de bienveillance dans ce type de situation. Cependant, il faut leur apprendre à trouver les bons mots, la bonne attitude. Et éviter de tomber dans l’injonction à en parler : chacun fait comme il le peut, on ne peut pas reprocher à un collaborateur son manque de transparence, s’il ne nous a pas informés de sa maladie ou pas assez tôt », complète Kelly Makles, chargée de missions du dispositif Lig’entreprises au sein de La Ligue contre le cancer 35, qui accompagne tout employeur souhaitant s’engager dans la promotion de la santé de ses collaborateurs et dans la lutte contre la désinsertion professionnelle des personnes atteintes d’un cancer.

La formation des managers, des équipes RH, du référent handicap peuvent prendre la forme de jeux de rôles et de mises en situation basées sur la communication non violente et l’écoute active : « Il faut écouter le salarié, lui demander de quoi il a besoin, comment on peut l’aider. Et il ne faut pas avoir peur de dire qu’on se sent démuni, qu’on ne sait pas », explique Brigitte.

« La responsabilité essentielle d’un employeur qui ne saurait pas comment gérer la situation est de s’entourer de professionnels ressources : associations, services de prévention et de santé au travail, travailleurs sociaux, psychologues… », avance Kelly.

Informer le collaborateur de ses droits

L’entreprise peut aussi jouer un rôle dans l’orientation et l’information du salarié : « Cela peut passer par des informations sur le fonctionnement du maintien de salaire, la liste des associations accompagnant les personnes atteintes d’un cancer sur le territoire, une communication sur les services pris en charge par la mutuelle d’entreprise, comme des consultations de psychologues, par exemple », énumère Florence Lévêque, fondatrice de La Maison Jaïa, lieu ressource de l’après-cancer, qui va ouvrir ses portes, à Rennes, en 2025.

« L’employeur peut aussi dire au salarié qu’il peut bénéficier d’un statut RQTH (reconnaissance de qualité de travailleur handicapé), qui peut faciliter les aménagements de poste, les formations si la personne veut se reconvertir, donner accès aux services de Cap Emploi… », explique Brigitte.

Ne pas oublier l’équipe

Autre point de vigilance : veiller à préparer l’équipe à cette longue absence et à ses conséquences. « Si on ne prend pas cette peine, il peut y avoir un manque de tolérance de la part des collègues, par méconnaissance. Et si, à son retour, la personne ne peut pas reprendre les mêmes missions qu’auparavant, il faut en informer en amont le reste de l’équipe », précise Kelly.

Maintenir la communication pendant l’absence du salarié

L’une des clés d’une reprise du travail réussie ? Le fait d’être parvenu à maintenir le lien entre l’employeur et l’employé pendant toute la durée de l’absence du collaborateur. « Il faut réfléchir, dès l’annonce de la maladie, au mode de communication : comment et à quelle fréquence le collaborateur veut être contacté pendant son absence ? Par qui ? A quel(s) sujet(s) ? », liste Florence.

« Il faut que le retour au travail soit conforme aux souhaits de la personne. »

La loi du 2 août 2021 relative à la santé au travail est venue renforcer la responsabilité de l’employeur en matière de lutte contre la désinsertion professionnelle, avec un accent mis sur des outils comme les rendez-vous de liaison, qui permettent à l’employeur de rencontrer le salarié pendant son arrêt de travail, s’il le souhaite.

« C’est une occasion de parler des dispositifs à mettre en œuvre pour permettre au salarié de retrouver sa place, explique Kelly. Il faut que ce retour soit conforme aux souhaits de la personne. En pensant bien faire, on peut parfois la brusquer, par exemple si on organise un accueil en grande pompe avec l’équipe alors que le collaborateur voulait revenir en toute discrétion. »

La reprise du travail : être à l’écoute des nouveaux besoins et des nouvelles envies

« Après le cancer s’ouvre une période complexe, témoigne Florence. On peut ressentir une forme d’isolement, de rupture, voire d’abandon, après une période de traitements lourds en établissement de santé. Pendant cette phase, on a cette envie, parfois cette injonction, à revenir dans la vie, à se retrouver, à retrouver une place dans notre vie personnelle, familiale et professionnelle. C’est toutes ces pièces du puzzle qu’il faut essayer de reconstruire, en acceptant que ce puzzle n’ait pas forcément la même forme qu’avant la maladie. On n’est pas forcément préparé à ça. »

L’entreprise doit alors être attentive à ces besoins qui se font jour, comme ce fut le cas pour Florence, à son retour comme associée dans un cabinet de conseil : « J’étais attendue et on m’a bien accompagnée. J’ai reçu beaucoup de soutien de la part de mon employeur et de mes collègues. J’ai pu reprendre à mi-temps thérapeutique, pour me préserver, parce que les séquelles des traitements peuvent durer longtemps. Cette étape était nécessaire pour retrouver mon énergie. Je suis restée plusieurs mois dans l’entreprise, que j’ai quitté depuis, parce que j’avais envie d’autre chose. »

« L’entreprise comme le salarié doivent voir cette épreuve comme un moyen de grandir ensemble. »

Les possibilités d’aménagement de rythme, de poste, d’organisation du travail ou encore de formations en vue d’une reconversion professionnelle sont notamment abordées lors de la visite de pré-reprise avec le médecin du travail. Le manager ou les RH peuvent ensuite, dans les mois suivant la reprise, organiser des points réguliers pour s’assurer que le collaborateur ou la collaboratrice vit bien son retour.

Briser les idées reçues sur le cancer

Pour tordre le cou aux idées reçues sur le cancer, rien de tel que les témoignages de collaborateurs qui ont vaincu la maladie, selon Brigitte : « Ces récits aident à changer de regard sur la maladie : cet arrêt de travail peut amener de nouvelles forces à la personne et à l’entreprise. Toutes deux doivent voir cette épreuve comme un moyen de grandir ensemble, en développant une culture de la vulnérabilité. »

Enfin, Kelly insiste sur le rôle des employeurs en matière de prévention et de promotion de la santé : « 40% des cancers diagnostiqués peuvent être évités si on change nos habitudes de vie. L’entreprise peut avoir un rôle déterminant en portant ce message ! »

Bien s’équiper pour bien recruter