Travailleurs handicapés : 4 stéréotypes à déconstruire pour faciliter leur vie professionnelle
Les stéréotypes associés aux personnes en situation de handicap sont sources de discrimination au travail.

En 2022, le taux de chômage des personnes en situation de handicap atteignait 12% en France, selon l’Agefiph. C’est 5,6 points de moins qu’en 2017, mais ce chiffre reste bien supérieur au taux de chômage de l’ensemble de la population française (7,4% au troisième trimestre 2023).
« L’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap est bien meilleure depuis 2005 et l’obligation pour les entreprises de compter 6% d’employés en situation de handicap, confirme Patrick Scharnitzky, docteur en psychologie sociale et directeur associé au sein du cabinet AlterNego. Malgré ces progrès, on plafonne un petit peu : le secteur privé affiche, en moyenne, 3,5% de travailleurs handicapés, d’après la Dares. »
Une sous-déclaration des travailleurs handicapés en poste
Selon l’expert, l’erreur des entreprises est de sous-estimer les leviers dont elles disposent en interne : « Pour atteindre ce chiffre de 6%, elles concentrent leurs efforts sur le recrutement de travailleurs handicapés. Or, leur levier majeur est la capacité de leurs collaborateurs déjà en poste à déclarer leur handicap. »
Les baromètres AlterNego viennent corroborer les chiffres de l’Agefiph : si tous les salariés éligibles à la RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) en faisaient la demande, les entreprises atteindraient, en réalité, une part de 9% de travailleurs handicapés.
Des stéréotypes négatifs et positifs…
Pour lever ces barrières d’accès à l’emploi et d’évolution professionnelle, Patrick Scharnitzky appelle à déconstruire les stéréotypes liés au handicap qui circulent le plus fréquemment dans le monde du travail.
« Contrairement à ceux qui concernent d’autres victimes de discriminations au travail, comme les minorités ethniques, les stéréotypes autour du handicap sont autant positifs que négatifs, constate le directeur associé, au gré des différentes enquêtes diligentées par son cabinet. Ce qui traduit une certaine schizophrénie des employeurs : d’un côté, ils sont épatés par le parcours de ces personnes et les trouvent formidables, mais, de l’autre, ils ne veulent pas les embaucher sous prétexte qu’ils auraient plus de mal à atteindre leurs objectifs avec eux. »
Le premier stéréotype est de considérer les personnes en situation de handicap comme « résilientes, courageuses et combattives, jamais résignées ». « Ce trait de personnalité est assez valorisé par les RH dans le milieu professionnel, car il est source d’admiration. » Il faut toutefois être attentif, car « ce stéréotype positif peut être un biais de discrimination positive. Il peut, par exemple, faire passer un recruteur à côté d’une compétence que le candidat n’a pas », avertit l’expert.
…vecteurs de discriminations au travail
Deuxième idée reçue : « Ce sont des personnes chaleureuses, sympathiques, bienveillantes » : « Là, malgré le côté positif, on est déjà dans un sentiment de l’ordre de la compensation, estime Patrick Scharnitzky. Il n’y a aucune raison logique à ce qu’une personne en situation de handicap soit plus sympathique qu’une personne qui ne l’est pas. On entretient une illusion qui nourrit des réactions de sur-empathie injustifiées. »
Le stéréotype de la victimisation pose, lui aussi, problème, car il peut, de la même manière, se traduire par de la discrimination positive dans le recrutement ou dans une promotion : « Décrire les travailleurs handicapés comme des personnes exclues, mises à l’écart, part d’un bon sentiment, mais ce regard est stigmatisant, car on réduit la personne à son handicap, on invisibilise ses compétences. Si je la plains, c’est que la vois comme inférieure à moi », rappelle-t-il. « Une salariée me disait qu’elle avait quitté son entreprise, car elle ne supportait plus la manière dont ses collègues lui demandaient à longueur de journée ‘’comment ça va ?’’, avec la tête de côté, sur un ton compatissant. »
« Le quatrième cliché est le plus problématique, c’est le discours autour de l’inemployabilité des personnes en situation de handicap qui seraient moins productives, plus souvent absentes, moins adaptables. Cela traduit une méconnaissance de la situation de la majorité des personnes en situation de handicap. »
Déconstruction rime avec instruction
Pour Patrick Scharnitzky, la meilleure manière de déconstruire ces stéréotypes est d’instruire les collaborateurs, d’abord en leur montrant l’hétérogénéité des situations de handicap : « Mentalement, un stéréotype fonctionne sur la capacité à généraliser : plus vous avez le sentiment que les gens sont identiques, plus votre stéréotype est fort. C’est en mettant en lumière qu’un handicap peut désigner à la fois un bras en moins, le fait d’être bègue, du diabète, de l’asthme ou une dépression que l’on contribue à mettre à distance le stéréotype. »
« Le débat n’est pas de savoir qui a des stéréotypes, car tout le monde en a depuis l’enfance, mais d’avoir conscience de ce stéréotype pour ne pas l’utiliser. Un recruteur peut, par exemple, avoir un premier geste de rejet d’un CV portant la mention RQTH. Mais, s’il fait ce travail de correction du stéréotype, il prendra ensuite le temps de se focaliser sur les compétences du candidat en lien avec le poste. »
Des aménagements souvent faciles à mettre en oeuvre
La deuxième étape est de montrer qu’il existe toute une palette d’outils de compensation faciles à mettre en place pour permettre aux salariés en situation de handicap de travailler dans de bonnes conditions : « Aujourd’hui, seuls 3% des personnes qui ont une RQTH pour déficience visuelle sont aveugles. Les autres peuvent voir si on leur fournit un matériel adapté : un écran d’ordinateur de 24 pouces ou un téléphone à grosses touches. »
Il faut, enfin, travailler sur la perception qu’ont les personnes en situation de handicap d’elles-mêmes. « Certaines s’autocensurent et ne candidatent pas en interne, car elles pensent : ‘’Ils vont croire que je n’ai pas le niveau’’, ou alors : ‘’Déjà qu’ils m’ont embauché, je ne vais pas, en plus, aller demander une promotion’’. » Cette situation pose un double problème, d’après Patrick Scharnitzky : elle entretient un plafond de verre et ne permet pas de mettre en valeur des rôles-modèles.
De l’importance des rôles-modèles
Pourtant, l’expert croit à l’importance de valoriser des parcours inspirants de collègues en situation de handicap. Il cite pour preuve la campagne de communication de L’Oréal qui mettait en scène, à travers une série de photos, plusieurs collaborateurs porteurs d’un handicap.
Il se montre, en revanche, plus critique des actions du type invitation de sportifs de haut niveau en situation de handicap dans les entreprises : « Si vous mettez en scène des gens à la trajectoire exceptionnelle, vos collaborateurs ne s’identifieront pas à eux. Ils seront sans doute intéressés, émus, touchés par eux, mais ils ne se reconnaitront pas en eux. Si vous voulez être inspirants, il faut présenter des modèles proches d’eux, de préférence au sein de leur entreprise. »
De son point de vue, les témoignages de pair, les « Vis ma vie » entre collègues ou le recrutement d’alternants ou de stagiaires en situation de handicap sont de bons moyens d’aller au-delà des stéréotypes et de garantir une équité de traitement.
Dernier point : pour savoir où vous en êtes sur le sujet du handicap, Patrick Scharnitzky vous invite à répondre à cette question : « Êtes-vous capable de licencier une personne en situation de handicap pour faute grave ou incompétence comme vous le feriez pour un collaborateur non porteur d’un handicap ? Si votre réponse est non, vous avez encore des progrès à faire, car l’équité de traitement doit fonctionner dans les deux sens. Ce sera toujours inconfortable pour un collaborateur d’avoir l’impression qu’il a été promu sur l’autel d’un quota ou d’une compassion excessive. Les travailleurs handicapés veulent être évalués sur leurs compétences comme n’importe qui. »