Sexisme ordinaire au travail : 6 manières efficaces de dire stop !

Quels leviers les employeurs peuvent-ils actionner pour limiter les comportements et propos sexistes au sein de leur entreprise ?

Le collectif #StOpE lance son deuxième baromètre pour dresser un état des lieux de la réalité du sexisme ordinaire au travail et sur l'impact des actions mises en place pour lutter contre celui-ci.
Le collectif #StOpE lance son deuxième baromètre pour dresser un état des lieux de la réalité du sexisme ordinaire au travail et sur l'impact des actions mises en place pour lutter contre celui-ci. © Feodora/stock adobe.com

« Le sexisme ordinaire regroupe tous les propos, les comportements, les attitudes fondés sur des stéréotypes de sexe dirigés, consciemment ou non, directement ou non, envers une personne ou un groupe de personne en raison de leur sexe », définit Anne-Laure Thomas, directrice Diversité, Egalité et Inclusion chez L’Oréal en France et co-présidente de l’AFMD (association française des managers de la diversité).

A l’origine de la création du collectif « Stop au sexisme ordinaire en entreprise » (#StOpE) en 2018, elle constate qu’en plus de quatre ans, il y a eu un changement dans les réactions face au sujet du sexisme ordinaire et de ses effets : « Désormais, au bureau, on entend moins de réflexions de type : ‘’Oui mais à ce moment-là on ne peut plus rien dire et plus rire de rien’’. Cependant, le travail et les actions pour lutter contre le sexisme demeurent essentiels. La tolérance zéro est primordiale. » Le collectif compte aujourd’hui près de 200 entreprises et universités, ce qui représente plus de 3,5 millions de personnes sensibilisées au sexisme ordinaire au travail.

La libération de la parole, portée par des personnalités et des anonymes dans les médias et sur les réseaux sociaux (#MeToo, #Balancetonporc…), pourrait laisser penser que le sexisme n’a plus droit de cité en entreprise. Pourtant, des chiffres accablants prouvent qu’il est malheureusement toujours d’actualité en 2023.

Le dernier rapport du Haut Conseil à l’égalité, publié en janvier, comprend plusieurs éléments alarmants : 93% des Françaises et des Français estiment que les femmes et les hommes ne connaissent pas le même traitement dans au moins une des sphères de la société (travail, espace public, école, famille…) et seuls 20% du panel considère qu’hommes et femmes sont égaux, en pratique, au travail. En parallèle l’adhésion aux stéréotypes sexistes est encore très forte, notamment chez les jeunes hommes : parmi ceux âgés de 25 à 34 ans, un quart estime qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter.

« Le sexisme ordinaire est la racine de toute une série de discriminations et de violences sexistes. »

« L’entreprise est poreuse à ces phénomènes de société, constate Caroline Courtin, responsable Diversité, Egalité et Inclusion au sein de groupe BNP Paribas. Neuf victimes sur dix indiquent que ce sexisme a un impact sur leur bien-être, sur leur confiance en eux, sur leur santé physique ou mentale, sur leur performance et sur leur capacité à progresser. On doit le combattre en tant qu’employeur, car c’est la racine de toute une série de discriminations et de violences sexistes. »

Afficher une tolérance zéro est une excellente chose, décliner un plan d’actions concrètes pour limiter ces micro-agressions est encore plus efficace, comme l’ont compris les entreprises signataires de la charte #StOpE.

Définir le sexisme ordinaire

La première étape est d’amener ses collaborateurs à prendre conscience de ce que recouvre le sexisme ordinaire pour ne pas y prêter le flanc. Et d’abord comprendre que ses manifestations peuvent être très diverses, de la « blague » à l’interruption en réunion, et viser aussi bien les femmes (« Encore enceinte ? Elle les enchaîne ! » ) que les hommes (« Ah, il va chercher son enfant malade à l’école ? Sa femme ne pouvait pas y aller ? »).

« C’est important de sensibiliser également nos collaborateurs aux marques de sexisme ‘’bienveillant’’ (‘’Tu viens de rentrer de congé maternité, ce n’est peut-être pas le bon moment pour prendre ce poste de manager, ça risque d’être fatiguant pour toi’’), qui passe souvent plus inaperçu », précise Caroline Courtin.

Ce travail de communication se fait, entre autres, par le biais de campagne d’affichage : « L’acte d’engagement du collectif StOpE a été placardé à tous les accueils des entreprises signataires et reprend les huit actions clefs pour lutter contre ces comportements, explique Anne-Laure Thomas. En la signant, le CEO s’engage à mettre en œuvre, chaque année, au moins l’une de ces mesures. »

« Chez L’Oréal et dans d’autres entreprises signataires, nous avons également choisi de faire signer cette charte à toutes nos collaboratrices et à tous nos collaborateurs. Un geste qui responsabilise les personnes », poursuit la co-présidente de l’AFMD.

Le collectif met également à disposition des entreprises des clips vidéo et des livrets d’accueil pour mieux informer sur les manifestations du sexisme et ses impacts potentiellement graves. Pour rappel, le baromètre #StOpE 2021 nous apprend qu’une femme sur 2 considère avoir été dévalorisée en raison de son sexe dans le cadre de ses missions et que 6 femmes sur 10 ont déjà vécu en réunion professionnelle des incivilités ou des pratiques d’exclusion en raison de leur sexe.

Former les collaborateurs

La formation demeure un outil incontournable pour donner aux collaborateurs et aux managers toutes les clefs pour faire face à ces comportements inacceptables.

A cette fin, le collectif #StOpE met à disposition de ses membres des modules de e-learning de 20 minutes. « En plus de ces modules, nous dispensons aussi à nos managers des formations de 2h15 aux enjeux du sexisme ordinaire », explique Céline Greuzard, référente sexisme et harcèlement chez Volvo Group – Renault Trucks.

Des jeux de rôle, proposés grâce à des casques de réalité virtuelle ou à des forums théâtre, permettent également à tous de mieux se rendre compte de la façon dont certains propos ou agissements sont perçus par les victimes.

Les inciter à réagir

« Le premier réflexe à avoir quand on est témoin d’une attitude sexiste est d’intervenir, de qualifier le comportement ou la remarque », conseille Caroline Courtin. « Le témoin a un vrai rôle à jouer car, quand on est soi-même victime de remarques sexistes, on peut être en situation de choc et il est parfois dur de réagir à chaud », rappelle Anne-Laure Thomas.

Faciliter les signalements

Face à un comportement inapproprié voire intolérable, victimes et témoins doivent pouvoir accéder facilement à une personne pour signaler les agissements.

« Il faut donner à l’ensemble des salariés les différents points de contact : référent, RH, CSE… via notamment des communications sur l’intranet et des affiches, explique Céline Greuzard. Nous avons formalisé un protocole précis pour les signalements d’actes et de propos sexistes avec notre service juridique : on recueille d’abord les faits puis on évalue s’ils nécessitent une clarification, un recadrage oral ou écrit ou s’ils méritent d’être investigués davantage. Dans ce dernier cas, on ouvre alors une enquête où toutes les personnes impliquées – victime présumée, témoins, manager, auteur présumé – sont entendues afin de recueillir le plus d’éléments factuels et objectifs possibles. Le comité d’enquête, auquel je participe au côté d’une personne de la RH et d’un représentant juridique, statue ensuite sur la nature des faits signalés et, si nécessaire, sur une sanction appropriée. Le plus important est d’agir de manière confidentielle, objective et rapide, et d’adopter le même mode opératoire pour tous nos sites. »

« Nous avons mis en place une plateforme d’écoute accessible 24h/24, en plus de la ligne RH et des numéros d’alerte renvoyant vers la médecine du travail, les assistants sociaux, les réseaux de collaborateurs et les partenaires sociaux », explique, de son côté, Caroline Courtin.

Libérer la parole

Chez Volvo Group, la référente employeur HSAS (harcèlement sexuel agissement sexiste) propose à ses équipes des sessions de dialogue d’une à deux heures : « Ça permet de libérer la parole dans une entreprise où nous comptons 80% d’hommes pour 20% de femmes et où le fait d’attirer davantage de collaboratrices fait partie de nos objectifs stratégiques. Le plus souvent, ce sont les femmes qui prennent la parole en premier, mais les hommes sont très attentifs, beaucoup se posent des questions sur leur posture en tant que collègue masculin, compagnon, père… Lors de ces séances, j’ai à cœur de ne culpabiliser personne et d’expliquer qu’on subit tous les stéréotypes dictés par notre éducation et la culture de notre société. »

Si ces temps de parole sont faciles à organiser avec les cadres, le prochain challenge de Céline Greuzard est de susciter ces discussions au sein des usines, qui concentrent 40% des effectifs de Volvo : « Impossible d’interrompre la chaîne de production. On a donc pensé à une série de vidéos courtes à visionner avec des scénarii très concrets sur lesquels nos collaborateurs pourraient ensuite échanger lors d’un temps dédié, d’une vingtaine de minutes. »

Mesurer l’impact des actions menées

Enfin, pour dresser le bilan de ces actions, #StOpE lance une deuxième édition de son baromètre, dont les résultats seront connus en juin 2023 : « Son but est de recueillir les perceptions des collaborateurs et collaboratrices sur la prégnance du sexisme et sur ses formes les plus répandues, sur son impact sur les individus et leur carrière et sur les actions menées par leur employeur pour lutter contre le sexisme sur le terrain », précise Anne-Laure Thomas. Une quarantaine de questions seront posées. Avec une nouveauté pour cette édition : une zone de commentaires permettra aux répondants de détailler davantage leurs retours.

« Un monde sans sexisme serait un univers plus bienveillant, où chacun peut s’épanouir et être performant. Les employeurs ont la responsabilité de s’engager dans la lutte contre le sexisme et les collaborateurs et les collaboratrices cherchent de plus en plus à travailler dans une entreprise qui épouse leurs valeurs. De plus, le sexisme conduit à une autocensure de certaines femmes et aucun employeur ne souhaite se priver de talents », conclut Anne-Laure Thomas.

 

Bien s’équiper pour bien recruter