« Les entreprises doivent voir les seniors comme un investissement plutôt que comme un coût »
Quels sont les vrais freins à l’emploi des seniors ? Réponses avec Florence de Goldfiem, autrice du « Grand Déclassement, survivre après 50 ans sur le marché du travail ».
Les Français sont appelés à travailler de plus en plus longtemps, mais le taux d’emploi des 55-64 ans reste à la traîne par rapport à la moyenne de l’UE (58,4% contre 63,9% d’après la Dares). Comment expliquer cet apparent paradoxe ?
Florence de Goldfiem : Les chefs d’entreprise et les organisations patronales clament qu’il faut faire travailler les seniors, mais, dans les faits, c’est plutôt « faites ce que je dis mais pas ce que je fais » : les seniors sont moins promus, moins augmentés, moins formés que l’ensemble des salariés. Et quand ils sont au chômage, ils y restent plus longtemps que les autres demandeurs d’emploi, et doivent souvent renoncer à retrouver un poste équivalent à celui qu’ils occupaient précédemment, au même niveau de responsabilités et de salaire. Ils acceptent aussi des contrats plus précaires : intérim, management de transition… C’est pourquoi je parle de « grand déclassement ».
Comme l’explique, dans mon livre*, Chantal Guillaumie, une ancienne RH qui a créé la fédération France Senior, il y a davantage une culture de la masse salariale que des ressources humaines dans les entreprises. Cela signifie que les entreprises voient davantage les seniors comme un coût que comme un investissement.
Certes, les seniors « coûtent » plus à l’entreprise, mais ils constituent un investissement rentable dans la mesure où ils ont des connaissances, un savoir-faire particulier, que ce soit sur le juridique, sur l’environnement, une expertise qu’ils peuvent mettre au service de l’entreprise et transmettre à des jeunes. Leur expérience leur permet de s’adapter plus vite au changement et de prendre de meilleures décisions en temps de crise, par exemple. Enfin, un senior est aussi plus enclin à s’engager auprès d’une entreprise sur le long terme.
Comment expliquer que malgré ces nombreux arguments qui jouent en leur faveur, les seniors peinent à garder ou à retrouver un emploi ?
F.d.G : Le principal frein est d’ordre culturel, c’est la persistance de préjugés : les seniors ne seraient pas flexibles, pas à l’aise avec les réseaux sociaux, etc. Ces stéréotypes sont renforcés par la sélection de candidats via des systèmes d’intelligence artificielle. Certains filtres reproduisent les biais inconscients des recruteurs et écartent les candidatures senior. Il faut être vigilant lorsqu’on paramètre l’outil pour éviter ce type de discrimination.
Qu’est-ce qui vous a le plus surprise au cours de votre enquête ?
F.d.G : Ce qui m’a frappée, c’est que je pensais que l’on devenait senior sur le marché du travail autour de 55-60 ans. Or, de nombreuses personnes que j’ai interviewées m’ont dit qu’à 45 ans, elles étaient déjà jugées trop âgées pour prendre certaines responsabilités. Je trouve cela très inquiétant, quand on pense qu’on va devoir travailler jusqu’à 64 ans !
Une autre chose qui m’a interpellée quand j’ai partagé mon livre sur les réseaux sociaux, c’est de voir des commentaires tels que « il suffit de vouloir travailler ; quand on veut, on peut… ». Contrairement à ces idées reçues, les seniors veulent travailler, que ce soit par besoin financier ou parce qu’ils aiment ce qu’ils font. Et on retrouve ce genre de témoignages quel que soit le niveau d’études, la profession ou la région des personnes interrogées.
Selon vous, quelles initiatives mériteraient d’être davantage développées pour favoriser l’emploi des seniors en France ?
F.d.G : Je trouve l’expérience des entreprises éphémères, mise en place par France Travail, intéressante. Elle a permis à certains des témoins du livre de remettre un pied dans la vie active. Il s’agit d’une expérience qui se déroule sur six semaines, à l’échelle d’un bassin d’emploi : une cinquantaine de seniors sont invités à créer une entreprise fictive et temporaire dont le but est de trouver un emploi durable pour chacun des participants.
Il y a aussi le parcours de reconversion spécial senior lancé par France Travail, l’Apec et Ifocop, Atout Senior, à base d’immersion dans les entreprises, pour permettre aux seniors de changer de voie professionnelle.
Je suis en revanche plus dubitative sur les effets que pourraient avoir le contrat de valorisation de l’expérience proposé par les partenaires sociaux, fin novembre, dans le cadre de l’accord sur l’emploi des seniors. Je ne comprends pas pourquoi il faudrait créer un contrat de travail spécifique.
Y a-t-il aussi des bonnes idées à emprunter à l’étranger ?
F.d.G : Je pense qu’on a tout intérêt à s’inspirer des politiques scandinaves et allemandes qui mettent l’accent sur le lien intergénérationnel dans leurs entreprises. C’est important de faciliter les échanges, les points de contact, la transmission entre les différentes générations. Demain, trois générations pourront travailler au sein d’une même entreprise. Il faut qu’elles passent du temps ensemble pour mieux se connaître et lever certains préjugés.
Je constate aussi que c’est dans les pays où le management repose sur la confiance qu’il y a le plus de seniors en emploi. En France, on demande toujours au salarié de faire ses preuves, qu’il soit jeune ou vieux. On se méfie du télétravail, parce qu’on ne sait pas précisément ce que le collaborateur est en train de faire. On part du principe que le Français va tricher. Dans les pays scandinaves, ce qui compte c’est le résultat, peu importe comment vous y êtes parvenu. En Allemagne, c’est même mal vu de faire des heures supplémentaires, car cela signifie que vous n’êtes pas bien organisé.
*Le Grand déclassement – survivre après 50 ans sur le marché du travail, de Florence de Goldfiem, éditions du Rocher, 2025.