« Pourquoi la semaine de quatre jours a été un échec dans mon entreprise »

Le directeur général de Felder Group France revient sur les difficultés de mise en œuvre d’un modèle qui fait de plus en plus d’adeptes.

"Je n’ai pas abandonné l’idée de passer à la semaine de 4 jours, d’ici six mois ou un an."
"Je n’ai pas abandonné l’idée de passer à la semaine de 4 jours, d’ici six mois ou un an." © Dedraw studio/stock adobe.com

« Un choc positif », « une amélioration du bien-être », « un facteur d’attractivité et de fidélisation », « une optimisation des temps de travail » : lorsque les chefs d’entreprise convertis à la semaine de quatre jours partagent leur expérience, ils encensent généralement un modèle qui permet de « travailler mieux ». Il est plus rare de lire que ce test s’est traduit par un « échec cuisant ». Ces mots sont ceux employés par Yoann Baguet Gallon, directeur général chez Felder Group France, pour résumer quatre mois d’essais infructueux. On a voulu comprendre pourquoi cela n’avait pas fonctionné, alors que le premier pilote français à grande échelle de la semaine de 4 jours va être lancé en septembre 2024.

Une réduction du temps de travail sans baisse de rémunération

La semaine de quatre jours, il y croit toujours « dur comme fer » : « D’abord parce qu’elle apporte une réponse dans un monde où les gens sont de plus en plus soumis au stress en améliorant la qualité de vie des salariés et leur équilibre vie pro/vie perso. Mais aussi parce que c’est une solution intéressante pour pallier des difficultés de recrutement, notamment sur des métiers en tension comme celui de technicien », argumente Yoann Baguet Gallon.

En octobre 2023, la filiale de distribution du groupe autrichien spécialisé dans les machines à bois, qui compte 70 collaborateurs en France, expérimente la semaine de quatre jours. Avec réduction du temps de travail sans baisse de rémunération. « En fonction de leur contrat, nos collaborateurs sont passés de 35h à 32h, de 37,5h à 34,29h, de 39h à 35,66h ou de 42,42h à 36,78h hebdomadaires. Techniciens, commerciaux, fonction support : tous les services étaient concernés, à l’exception des managers et des dirigeants, car on voulait d’abord voir comment ça se mettait en place à l’échelle des équipes. »

L’entreprise continuant de tourner cinq jours par semaine, les salariés ont pu choisir leur jour off : « Contrairement à ce que l’on pouvait penser, il n’y a pas eu de bataille. Nous avons une large typologie d’âges et de situations familiales : certains parents ont préféré prendre le mercredi plutôt que le lundi ou le vendredi traditionnellement très demandés. D’autres collaborateurs, qui apprécient de venir quand c’est plus calme au bureau, ont demandé à ne pas travailler le mardi ou le jeudi. »

Un sous-effectif pénalisant

Pour suivre la mise en œuvre de ce nouveau rythme de travail, l’entreprise choisit de planifier des entretiens mensuels dédiés, avec chaque collaborateur : « Les retours ont été très variables en fonction des équipes », souligne le directeur général.

Si l’expérience a été plutôt concluante au sein de l’équipe administration des ventes, qui compte cinq collaborateurs, elle a été plus mal vécue côté technique : « Le principal problème est que nos équipes de techniciens installateurs sont en sous-effectif. S’il te manque 15% de techniciens, c’est impossible de réduire la durée de leur temps de travail de 20% sans que cela n’ait un impact sur leur charge de travail. Or, le temps d’installation d’une machine est incompressible : s’il représente 39h et que le technicien est passé à 35h de travail hebdomadaires, soit le technicien doit revenir chez le client la semaine suivante, soit il fait des heures supplémentaires. »

« Une journée de travail en moins, c’est une journée sans générer de chiffre d’affaires »

Au sein des équipes commerciales, le frein est davantage d’ordre psychologique : « La semaine de 4 jours leur apparaissait comme une injonction contradictoire, alors qu’on les motive à être les plus performants possible et que leur rémunération variable est indexée à leurs résultats. Mes commerciaux me disaient : ‘’Une journée de travail en moins, c’est une journée sans nouveaux clients ou sans générer de chiffre d’affaires’’. Certains faisaient donc le même nombre d’heures qu’avant ! D’autres se sentaient obligés de travailler quand même pendant leur jour de repos parce qu’ils prenaient leurs appels professionnels pour ne pas passer à côté d’une opportunité. »

En février 2024, Yoann Baguet Gallon décide de mettre un terme à l’expérience : « L’idée n’était pas de forcer les gens. Même si on a eu des retours positifs sur l’amélioration de l’équilibre pro/perso, de nombreux voyants étaient au rouge. Je n’ai pas abandonné l’idée de passer à la semaine de 4 jours, d’ici six mois ou un an. Je suis très à l’écoute des retours d’expérience des entreprises qui y sont passées avec succès. On va prendre le temps de réfléchir pour l’instaurer dans de meilleures conditions. »

Comment faire mieux ?

Ce qui suppose, d’abord, de recruter pour renforcer les équipes techniques. Ensuite de mieux accompagner l’ensemble des collaborateurs : « On est partis du principe que la formule allait tellement plaire à nos salariés qu’ils trouveraient, d’eux-mêmes, la manière d’adapter leur rythme de travail. Or, on a constaté qu’il était nécessaire de mieux accompagner cette transition, de l’encadrer, de communiquer et aussi de rassurer les équipes. Les questions des outils de travail, des process, de la méthodologie doivent également être creusées en amont pour ne pas perdre en productivité tout en assurant une charge de travail soutenable. » Le dirigeant songe, par exemple, à mettre en place « un système de back up » pour les commerciaux afin d’orienter les appels urgents vers le service client ou un collègue.

Enfin, il envisage aussi d’assouplir les plannings pour faciliter l’organisation de ses salariés au quotidien : « Certains se plaignaient de ne pas pouvoir participer à telle ou telle activité en soirée, de ne plus voir leurs enfants parce qu’ils rentraient trop tard. On se dit que la flexibilité horaire combinée à la semaine de quatre jours est une option intéressante. On pourrait aussi créer des roulements avec des jours interchangeables au sein d’un binôme de travail. » Les idées ne manquent pas !

Bien s’équiper pour bien recruter