Cohabitation salariés/freelances dans l’entreprise : quels enjeux RH ?
De plus en plus d’entreprises font appel à des travailleurs indépendants pour effectuer une mission ponctuelle ou pallier un manque de compétences disponibles sur le marché salarié.

La France compte de plus en plus de travailleurs indépendants : ils étaient environ 4,3 millions fin 2022, un chiffre en hausse de 5,9% par rapport à l’an passé, selon une étude publiée le 29 décembre 2023 par l’Urssaf. L’engouement pour ce statut, synonyme de liberté, de métier-passion, de soif d’entreprendre ou parfois tout cela à la fois, s’est confirmé à la sortie de la crise sanitaire.
« Le fait de pouvoir choisir ses projets, ses clients et son rythme de travail constituent les principaux leviers de motivation de ceux qui sont devenus freelances post-Covid. Et, une fois qu’ils se mettent à leur compte, peu font le chemin inverse », analyse Charly Gaillard, CEO de Beager, un service de mise en relation entre talents indépendants et entreprises.
Un statut découvert sous la contrainte
Ce phénomène conduit les entreprises à collaborer de plus en plus régulièrement avec ces travailleurs externes et pose de nouveaux défis RH. « Beaucoup d’entreprises ont découvert le freelancing sous la contrainte après la crise sanitaire : elles n’arrivaient plus à recruter des travailleurs qualifiés en CDI, du fait d’un manque de compétences disponibles sur le marché salarié. Les freelances sont venus combler des besoins urgents. Les entreprises ont aussi dû faire face à une autre problématique : comment retenir leurs salariés de plus en plus attirés par le statut d’indépendant ? », décrypte le CEO.
L’idée est, à présent, de transformer ces contraintes en opportunités. Pour les RH, la première étape consiste à prendre conscience de la place qu’occupent les freelances dans leur organisation et des avantages que présente le recours à cette main-d’œuvre externe. « Une majorité d’entreprises fait appel à des freelances, parfois même sans le savoir, car elles passent par des cabinets, des ESN ou des plateformes », constate Charly Gaillard.
Un bon point pour votre culture d’entreprise et vos pratiques
Selon lui, faire appel à des freelances se traduit par trois grands bénéfices pour l’entreprise :
- « Ces travailleurs posent souvent un œil nouveau sur la culture d’entreprise ; ils peuvent la faire évoluer de l’intérieur en important de bonnes pratiques acquises à travers leurs multiples expériences. Je conseille aux entreprises de leur demander un rapport d’étonnement, car elles ont beaucoup à apprendre de ces talents externes. En hybridant les équipes, vous limitez le risque que votre culture s’ankylose et soit à rebours du marché
- Les indépendants sont aussi très à jour sur les nouvelles compétences métiers. C’est l’occasion de leur demander si nos process sont optimaux, si on utilise les bons outils…
- Enfin, ils vous permettent d’avoir accès à une expertise pointue que vous n’auriez pas toujours pu recruter à long terme. »
Les RH, grands absents de la gestion des freelances
Forts de constat, les RH ont tout intérêt à s’emparer du sujet : « En France, les directions des ressources humaines sont les grandes absentes de la gestion des freelances, regrette Charly Gaillard. Le sujet est souvent traité par la direction métier ou la direction des achats. Les freelances sont considérés comme des fournisseurs lambda, ce qu’ils ne sont que d’un point de vue juridique. Ils sont avant tout des travailleurs. C’est très différent dans d’autres pays européens, comme la Belgique par exemple, où les RH sont très impliquées dans la gestion des freelances. Elles sont notamment attentives au fait que les valeurs de ces personnes soient en adéquation avec la culture de l’entreprise. Aux États-Unis, il existe même des postes de Chief Freelance Officer, une fonction transverse qui anime la communauté de freelances. »
Dans quel cas faire appel à des freelances ?
Quelle est la marche à suivre avant de faire appel à des freelances ? « La question est de savoir quel type de contrat de travail privilégier pour tel ou tel poste dans le cadre de vos recrutements : ai-je besoin de cette compétence de manière pérenne ou de manière ponctuelle ? Cette compétence est-elle disponible sur le marché sur le type de contrat que je cherche à recruter ? conseille d’abord l’expert. Les entreprises les plus matures ont mis en place des stratégies d’entreprises dites ouvertes : elles deviennent des hubs de compétences et regardent avant tout les compétences dont elles ont besoin, peu importe le type de contrat. Le contrat de travail devient progressivement un point de négociation à l’embauche au même titre que le salaire ou le télétravail ! »
Le recours à des freelances est particulièrement indiqué dans trois cas, détaille Charly Gaillard :
- si vous avez besoin d’une expertise dont vous ne disposez pas en interne
- si vous n’avez pas la force de travail suffisante pour délivrer un projet à un instant T
- pour des tâches de management de transition : assurer l’intérim au départ d’un collaborateur qui occupait un poste de direction ou bien pour porter des transformations d’entreprise très importantes, mais difficiles (restructuration, fusion, PSE).
Comment attirer ces travailleurs ?
L’étape suivante : convaincre ces travailleurs indépendants de travailler pour vous ! « La stratégie marque employeur n’est pas radicalement différente de celle destinée à attirer les autres candidats. Les freelances valorisent aussi une bonne ambiance de travail, une bonne équipe », explique le CEO de Beager, qui note toutefois deux spécificités : la politique en termes de délais de paiement et d’organisation du travail. « Les RH ne sont pas censées s’occuper de la gestion du temps de travail des freelances, car ces derniers ne sont pas soumis au lien de subordination à l’employeur comme le sont les salariés. Ils doivent être “pilotés” au livrable. Lors du processus de recrutement, l’entreprise doit donc montrer qu’elle sait ce que travailler avec des freelances signifie. »
Pour une hybridation harmonieuse des statuts
Dernier point de vigilance RH : ne pas prêter le flanc à un sentiment d’inégalité de traitement entre vos collaborateurs et les freelances. « Tout se joue au niveau du casting : le bon contrat au bon endroit. Si, dans une même équipe, j’ai, à la fois, des salariés et des freelances qui réalisent les mêmes tâches, le management peut parfois s’avérer plus compliqué. Il faut être en mesure d’expliquer aux autres membres de l’équipe le recours à une tierce personne. Enfin, pour que les freelances se sentent intégrés à la vie de l’entreprise, il ne faut pas oublier de les inviter à partager des moments de convivialité informels. »
In fine, les différences entre les deux statuts tendent à s’atténuer : « On assiste à une flexibilisation du CDI (télétravail, horaires décalés…) qui le rapproche du freelancing tandis que les indépendants sont en quête de missions de plus en plus longues pour être plus sereins quant à l’avenir. »