Sera-t-il bientôt possible de rémunérer ses salariés en cryptomonnaie ?

Les entreprises françaises pourront-elles demain verser des salaires ou des primes à leurs collaborateurs en bitcoin ?

Certaines entreprises rémunèrent déjà leurs salariés en cryptomonnaie.
Réaliste ou utopique ? © Tierney/stock adobe.com

En janvier dernier, le nouveau maire de New York, Eric Adams, se vantait d’avoir converti l’intégralité de son premier salaire en cryptomonnaie, sous forme de bitcoins et d’ethereum. Son objectif affiché : faire de la Grosse Pomme la capitale des innovations et de la cryptomonnaie.

De plus en plus de personnalités demandent à être rémunérées en cryptomonnaie, à l’image des joueurs de la National Football League, en décembre 2021. Pour rappel la cryptomonnaie est une devise numérique, qui n’existe que virtuellement, permet d’acheter des biens et services et peut être échangée contre d’autres devises.

Peut-on imaginer que cette tendance gagne le monde de l’entreprise ? On fait le point avec Gilles Fedak, cofondateur de l’entreprise iExec, une place de marché qui a créé sa propre cryptomonnaie : le RLC.

Le cadre légal français autorise-t-il aujourd’hui les entreprises françaises à verser des salaires en cryptomonnaie ?

Gilles Fedak : A l’heure actuelle, ce n’est pas possible en France. La loi stipule qu’un salaire doit être versé par virement sur un compte en banque, par chèque ou en espèces. De mon point de vue, verser des salaires de base en cryptomonnaie n’est pas forcément souhaitable pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’on ferait courir au salarié un risque de change et lié à l’extrême volatilité de la cryptomonnaie.

Ensuite, parce que certaines banques ne sont pas encore converties à la cryptomonnaie et que ça peut générer des difficultés de conformité pour les entreprises. Quand on détient de la cryptomonnaie, on peut la vendre très facilement sur des places d’échanges, récupérer des euros par exemple et se faire un virement, mais les banques sont en droit de demander d’où proviennent ces fonds, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent, et peuvent être suspicieuses.

Peut-on alors envisager de recourir à la cryptomonnaie pour verser des bonus ou des primes ?

G. F : Selon plusieurs avocats, il serait possible de le faire si ces bonus ne sont ni liés à la performance du salarié ni à celle de l’entreprise et qu’on ne fait pas courir de risque à l’employé. Chez iExec, nous avons préféré opter pour un plan d’intéressement lié à la performance du RLC, la cryptomonnaie que nous avons créée. Mais cette prime est versée en euros, car tous nos salariés ne partagent pas le même niveau de connaissance sur la cryptomonnaie : certains sont des investisseurs ou des traders mais d’autres ne suivent pas forcément l’actualité des cryptomonnaie donc il est plus compliqué pour eux de faire des investissements.

Et dans le cas de stock option ?

G.F : C’est une hypothèse que nous étudions actuellement : permettre à nos employés de devenir des investisseurs, dans une logique de stock option, en leur versant des cryptomonnaies à des conditions préférentielles en fonction de leur ancienneté et d’autres critères. Pour l’instant, on ne peut pas le faire, mais on a bon espoir que ce soit possible à moyen terme. Le député Pierre Person a déposé une proposition de loi autorisant l’attribution gratuite d’actifs numériques aux collaborateurs. Le législateur avance sur ce sujet mais c’est encore relativement nouveau.

Quels autres usages les entreprises peuvent-elles avoir de ce moyen de paiement ?

G.F : Si on parle des cryptoactifs, qui regroupent les cryptomonnaies mais aussi les NFT (ces titres de propriété), les stablecoins (des cryptoeuros qui valent toujours un euro ou cryptodollars qui valent toujours un dollar), beaucoup de possibilités peuvent intéresser les entreprises, notamment la tokenisation, c’est-à-dire le fait de créer un jeton qui remplisse une certaine fonction. Nous avons, par exemple, été contacté par une entreprise qui voulait favoriser le covoiturage parmi ses employés. On leur a proposé une solution qui détecte par algorithme chaque trajet effectué en covoiturage et qui attribue des jetons, comme des bons points, aux covoitureurs.

Je suis persuadé qu’à l’avenir les cryptoactifs vont être utilisés pour attribuer des avantages salariaux : les tickets resto ou les chèques vacances vont reposer sur la blockchain.

Quels avantages présente la cryptomonnaie pour les entreprises et les salariés ?

G.F : L’intérêt pour les collaborateurs de toucher une part de leur rémunération en cryptomonnaie est de prendre une position d’investisseur, une part de risque financier afin de bénéficier de l’envolée des cours. On parle souvent du bitcoin quand il s’effondre, mais son cours peut aussi atteindre des sommets !

Les utilisateurs plébiscitent également la cryptomonnaie car ils ont confiance dans la technologie sécurisée de la blockchain, qui émet les devises numériques et contrôle les transactions. Il est plus facile de contrefaire une signature manuscrite que numérique. La grande différence avec un compte bancaire, c’est que vous êtes détenteur physiquement de votre argent, comme si c’était du cash. C’est, certes du numérique, mais extrêmement tangible, qui permet d’accéder facilement à son argent, en toute liberté, sans limite de retrait d’argent, de montant maximal de paiement par mois.

Proposer ce type de rémunération en cryptomonnaie est donc un réel argument aujourd’hui pour attirer et retenir les talents. Une étude de PwC, publiée fin 2020, a montré que 500 000 emplois pourraient être créés en France avec la blockchain d’ici 10 ans et que 87% des entreprises anticipent un fort développement de la blockchain, en France, d’ici trois ans. Ces entreprises devront sans doute se poser cette question de la rémunération en cryptomonnaie.

Comment est-il techniquement possible de mettre en place une rémunération sous forme de cryptomonnaie dans son entreprise ?

G.F : Ce n’est pas plus compliqué que de verser de l’argent sur un compte en banque. Il suffit que vos collaborateurs vous transmettent la clé publique de leur portefeuille numérique, l’équivalent d’un RIB. L’entreprise fait le transfert et les collaborateurs peuvent ensuite avoir accès à leur coffre-fort au moyen d’une clé privée qu’eux seuls ont en leur possession.

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Bien s’équiper pour bien recruter