Relations amoureuses au travail : y a-t-il des règles ?

En principe, l’employeur n’a pas le droit de s’immiscer dans la vie privée de ses salariés, mais il existe des exceptions.

En principe, un employeur ne peut pas imposer à ses salariés de l'informer d'une relation amoureuse avec un autre salarié de l'entreprise.
En principe, un employeur ne peut pas imposer à ses salariés de l'informer d'une relation amoureuse avec un autre salarié de l'entreprise. © zinkevych/stock adobe.com

A-t-on le droit d’avoir un amour secret au travail ? La question se pose alors que le directeur général de Nestlé, Laurent Freixe, vient d’être licencié en raison d’une « relation amoureuse non déclarée avec une subordonnée directe ». Une sanction, prévue dans le cadre du « code de bonne conduite professionnelle » de l’entreprise suisse, qui n’est pas sans rappeler la double démission, cet été, du PDG d’Astronomer et de sa DRH, filmés en train de s’enlacer lors d’un concert de Coldpay.

De telles sanctions sont-elles possibles en France ? Statistiquement, l’amour frappe souvent au travail où de nombreuses personnes passent l’essentiel de leurs journées. Selon un rapport Technologia, 46% des Français ont déjà eu une relation amoureuse avec un collègue de travail. Mais n’y a-t-il pas des règles, des limites à respecter dans le cadre professionnel ? Et l’employeur a-t-il un droit de regard sur ces idylles ?

Le droit au respect de la vie privée

« En principe, un employeur n’a pas le droit d’exiger qu’un employé l’informe s’il entretient une relation amoureuse avec un salarié de la même entreprise, au nom du respect de la vie privée du salarié », explique Me Olivia Guilhot, avocate associée au sein du cabinet Voltaire Avocats. L’article 9 du Code civil garantit effectivement à chacun le respect de sa vie privée, en vertu de quoi l’employeur ne peut pas s’immiscer dans la vie personnelle de ses collaborateurs.

En revanche, si des faits tirés de la vie privée du salarié créent un trouble dans la vie de l’entreprise, l’employeur peut prendre des mesures, dans le respect de l’article L.1121-1 du Code du travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

Des exceptions en cas de manque de loyauté envers l’employeur

De plus, souligne Me Guilhot, « en vertu de leur contrat de travail, les salariés ont un devoir de loyauté envers leur employeur. Le fait de dissimuler une relation amoureuse au travail peut, dans certains cas, être considéré comme un manque de loyauté. »

Deux arrêts récents viennent illustrer ce cas :

  • Celui de la Cour de cassation en date du 29 mai 2024 : un responsable RH entretenait une relation, depuis plusieurs années, avec une représentante du personnel. Ils avaient tu leur histoire d’amour, alors même qu’ils avaient été confrontés l’un à l’autre à plusieurs reprises dans le cadre de plans sociaux et de mouvements de grève. Lorsque l’employeur avait découvert leur relation, il avait décidé de licencier le responsable RH pour faute grave, l’autre salariée ayant déjà quitté l’entreprise. La Cour de cassation a donné raison à l’entreprise invoquant « un manquement à l’obligation de loyauté vis-à-vis de l’employeur ».
  • La décision du 30 mai 2024 de la Cour d’appel de Versailles : un auditeur interne, embauché par Chanel, avait caché à son employeur qu’il était marié à une ancienne salariée de la société, en litige avec elle. Il contestait son licenciement pour cause réelle et sérieuse, mais la Cour d’appel de Versailles a donné raison à son employeur, validant la présence d’un « conflit d’intérêt majeur ».

« Il est à noter que l’obligation d’information de l’employeur ne vaut que dans des cas bien précis, rappelle l’avocate. En la matière, une entreprise ne peut pas ériger des règles de principe, qui concerneraient tout le monde, par exemple dans son règlement intérieur. Car on ne peut pas imposer de restriction générale à la liberté des collaborateurs. Un employeur ne peut notamment pas proscrire une relation amoureuse entre un manager et un membre de son équipe. »

Harcèlement sexuel au travail : une augmentation des contentieux

En revanche, en tant que garant de la santé et de la sécurité au travail de ses collaborateurs, l’employeur a une mission de prévention à l’égard des situations de harcèlement et de violences sexistes ou sexuelles. « Les mouvements #MeToo et #Balancetonporc ont libéré la parole des victimes, alimentant de plus en plus de contentieux sur des faits de harcèlement sexuel au travail, constate Olivia Guilhot. Dans ce type d’affaires, l’employeur doit non seulement démontrer qu’il a tout fait pour éviter la situation de harcèlement, mais aussi qu’il a tout mis en œuvre pour former et sensibiliser ses collaborateurs au titre de la prévention contre ce type de comportement. »

Ainsi, depuis mars 2019, dans toute entreprise comptant plus de 250 salariés, l’employeur doit obligatoirement désigner un référent harcèlement sexuel (article L.1153-5-1 du Code du travail). Le CSE doit également en désigner un parmi ses membres, lorsqu’il y a un CSE dans l’entreprise (article L.2314-1 du Code du travail). Le rôle de ces référents : informer et accompagner les salariés témoins ou victimes d’harcèlement sexuel ou d’agissements sexistes. Les coordonnées de ces référents doivent être portées à la connaissance de tous par tout moyen (affichage, intranet, mail…).

Prévenir et guérir

Dans le règlement intérieur, l’employeur doit également rappeler les éléments du Code du travail en matière de prévention du harcèlement sexuel ainsi que la protection spécifique dont bénéficient les victimes et les témoins de situations de harcèlement sexuel. Pour rappel, la loi entrée en vigueur le 31 mars 2022 a élargi la définition de harcèlement sexuel aux propos ou comportements répétés à connotation sexuelle.

Pour l’avocate, « le meilleur rempart à ces situations est la formation à la notion même de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes, comme les faux compliments à une collègue sur des qualités prétendument féminines. Il faut engager un travail d’explication de ce qui est autorisé et de ce qui est sanctionné par l’entreprise. »

Si, malgré les actions de prévention, un manager ou un RH a connaissance de faits de harcèlement ou d’agissements sexistes, « il doit creuser, faire la lumière en diligentant une enquête. L’idéal est de faire appel à des enquêteurs externes pour garantir l’impartialité. Si les faits de harcèlement sont établis, l’entreprise devra sanctionner l’auteur. En fonction de la gravité des faits, la sanction peut aller jusqu’au licenciement pour faute grave, qui n’ouvre pas droit aux indemnités de licenciement. Mais l’employeur devra aussi accompagner la victime pour qu’elle puisse continuer sereinement à se rendre au travail. »

Vous ne savez pas comment à réagir face à un signalement de faits de harcèlement au travail ? La Fédération des intervenants en risque psychosociaux (FIRPS) a publié un guide comprenant des retours d’expérience et des recommandations pour vous accompagner. N’hésitez pas à consulter également le guide dédié du ministère du Travail.

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