Réindexer les salaires sur l’inflation : pourquoi ça fait débat

Réclamée par les syndicats comme bouclier contre la hausse des prix, l’indexation des salaires sur l’inflation provoque des craintes légitimes côté employeurs.

L'indexation des salaires sur l'inflation est un scénario intenable pour les entreprises réalisant peu de marge.
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Jour de grève interprofessionnelle, ce mardi 18 octobre, à l’initiative de plusieurs syndicats.  Avec, en étendard, une revendication phare : des augmentations de salaire pour faire face à l’inflation. Parmi les solutions portées par le secrétaire général, de la CGT, Philippe Martinez : « l’échelle mobile des salaires en fonction de l’inflation ».

Un pouvoir d’achat en baisse

Une demande estimée « légitime » par l’intersyndicale (CGT, FO, FSU, Solidaires, FIDL, MNL, Unef, La Voix lycéenne), alors que l’inflation s’établissait, en septembre, à 5,6% sur un an, en France. Cette hausse généralisée des prix a entraîné une baisse du salaire réel des Français et, donc, une perte de pouvoir d’achat pour les ménages.

Selon les dernières projections de l’OFCE, le pouvoir d’achat par unité de consommation pourrait baisser de 1,4% sur deux ans (2022 et 2023). Et ce, malgré les revalorisations opérées durant l’été (SMIC, point d’indice des fonctionnaires, prestations sociales…). Pour rappel, le SMIC, seul salaire actuellement indexé à l’inflation, a été revalorisé trois fois depuis début 2022.

Dans ce contexte, le gouvernement français a appelé les entreprises réalisant des bénéfices à augmenter des salaires. De son côté, Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies sur la pauvreté et les droits de l’Homme, a appelé, lundi 17 octobre, les États à agir rapidement : « Ce n’est pas une hyperbole de dire que si les gouvernements n’augmentent pas les prestations et les salaires en fonction de l’inflation, des vies seront perdues. Que ce soit en Europe, où l’inflation a atteint le niveau record de 10%, ou en Afrique subsaharienne, où les prix des denrées alimentaires ont bondi de près de 24% ». 

La crainte d’une spirale prix-salaires

En France, certaines entreprises, en particulier les grands groupes, ont fait le choix d’augmenter les salaires ou de verser des primes à leurs collaborateurs pour soutenir leur pouvoir d’achat. Mais, rares sont celles qui vont jusqu’à proposer des hausses de rémunération alignées sur l’inflation, par manque de visibilité sur l’avenir et par nécessité de composer, dans le même temps, à une augmentation des coûts (carburants, matières premières, énergie…). Selon une enquête du cabinet de conseil en ressources humaines LHH, les salaires ont, en moyenne, augmenté de 3% en 2022.

Le scénario d’une indexation des salaires sur l’inflation semble particulièrement intenable pour les entreprises qui ne réalisent pas une marge importante. Pour ces dernières, une augmentation des salaires dans une telle proportion se traduirait probablement par une hausse des prix de leurs produits, créant une boucle prix-salaires difficilement contrôlable, avec le spectre d’une hyperinflation.

« L’indexation permettrait de protéger les revenus des salariés en reportant les charges sur les entreprises. Le risque serait que les entreprises françaises perdent en compétitivité par rapport à leurs concurrentes européennes et qu’elles détruisent des emplois en délocalisant ou en automatisant », décryptait l’économiste, François Lenglet, en mai 2022, sur le plateau du JT de TF1.

L’indexation des salaires ne serait pas une nouveauté puisqu’elle était de rigueur, dans l’Hexagone, jusqu’en 1983, date à laquelle le gouvernement avait décidé de désindexer les salaires pour casser la spirale inflationniste. L’inflation atteignait alors 14%.

Le cas belge

La Belgique pratique, quant à elle, l’indexation de tous les salaires sur l’inflation depuis 1919. Son mécanisme ? Les salaires, les prestations sociales et les pensions évoluent au même rythme que l’indice santé, une moyenne sur les quatre derniers mois des prix à la consommation qui exclut ceux du tabac, de l’alcool et du carburant. Toutefois, pour préserver la compétitivité des entreprises, un verrou a été instauré en 1996 : l’augmentation des salaires du privé est ainsi plafonnée à 0,4% sur deux ans, en plus de l’indexation automatique sur l’inflation.

En France, l’initiative du directeur général d’une brasserie narbonnaise a été relayée par plusieurs médias : après avoir augmenté ses collaborateurs de 30% en janvier 2022, sous forme d’intéressement, il a fait le choix d’indexer les salaires sur l’inflation au cours des neuf derniers mois : à titre d’exemple, le salaire de base d’un serveur chef de rang est passé à 2 251 euros net par mois, soit 73 euros de plus qu’avant.

Il compte réajuster les salaires tous les six mois en fonction du coût de la vie. « Ce n’était pas sur nos marges qu’il fallait empiéter, explique Louis Privat, interrogé par 20 Minutes. Car elles ne sont pas suffisantes, elles ne sont pas très importantes, notre rapport qualité/prix est exceptionnel. Il fallait que ces augmentations soient intégralement financées par les clients, qui devaient l’accepter. Pour cela, nous avons sollicité les personnes qui avaient déjà réservé [environ 150 000], pour leur demander si la hausse du prix du repas les embêtait, en leur expliquant pourquoi nous l’augmentions. Elles étaient libres d’annuler. Il n’y a pas eu d’annulation. Il y a même eu, sur cette période, une hausse des réservations. » Une démarche qui demeure ultra-minoritaire en France.

Bien s’équiper pour bien recruter