« L’IA va aider les recruteurs à prendre les bonnes décisions »

Directeur du recrutement chez Alten, Stéphane Dahan anticipe la place que pourrait prendre l’IA d’ici 2035 et le bénéfice que les recruteurs peuvent en attendre.

Stéphane Dahan Alten
Pour Stéphane Dahan, l'IA permet aussi d'améliorer l'expérience candidat. © Hellowork / DR

Quelle place pourrait occuper l’IA dans le recrutement en 2035, selon vous ?

Stéphane Dahan : L’IA pourra intervenir sur l’ensemble du processus de bout en bout. Ça commence par le sourcing, que ce soit la recherche de CV sur les jobboards ou même sur internet de manière générale, puis le matching et le scoring. Avec le matching prédictif, on peut imaginer qu’en analysant des millions de CV, une IA sera capable de prédire quels vont être les prochains jobs des collaborateurs, en fonction de leur parcours et de leur profil. L’IA pourra aussi intervenir sur l’évaluation en se basant sur les échanges avec le candidat, l’analyse de son CV, de sa voix, l’analyse vidéo… Nous n’y sommes pas encore mais nous pouvons même imaginer évaluer les soft skills de cette manière.

L’IA va aussi permettre de personnaliser davantage l’expérience candidat, en créant des parcours spécifiques selon les candidats, leur expérience, la manière dont chacun a postulé, à quel moment… Pour nous, recruteurs, l’IA sera un assistant qui peut nous aider, à toutes les étapes du processus, à prendre les bonnes décisions, à être les plus objectifs possibles dans nos évaluations et à améliorer nos performances.

Quel usage de l’IA faites-vous déjà chez Alten à des fins de recrutement ?

S.D. : Nous avons très tôt utilisé l’IA générative pour créer des offres d’emploi, générer des comptes rendus de réunion et préparer les entretiens. Par exemple, nous demandons à l’IA de nous aider sur un CV à poser les bonnes questions et à analyser quelles peuvent être les bonnes réponses. Nous utilisons aussi déjà le matching et le scoring d’un CV par rapport à une offre. Nous restons très vigilants parce que le résultat n’est pas bon à 100%, mais ça nous aide à faire des tris de CV, à rechercher et à faire matcher des candidats de notre base avec nos offres d’emploi. Nous utilisons aussi l’IA générative pour la rédaction de mails ou des messages à poster sur LinkedIn.

Utilisez-vous des outils permettant de réaliser des entretiens de préqualification par un avatar IA ?

S.D. : C’est quelque chose qui ne correspond pas à notre modèle de recrutement. Ça peut bien fonctionner pour les entreprises qui ont beaucoup de candidatures entrantes et qui doivent trier les candidats. Ça remplace les questionnaires de préqualification qu’on utilisait avant pour filtrer les candidats au-delà de leur CV. Chez Alten, nous n’avons malheureusement pas cette problématique. Nous recrutons des ingénieurs, un métier plutôt pénurique, en faveur du candidat. Nous sommes sur de l’approche directe.

Quelle transparence avez-vous vis-à-vis des candidats sur l’usage que vous faites de l’IA ?

S.D. : Lorsqu’un candidat dépose son CV sur notre site carrière, nous lui demandons son consentement. C’est grâce à ça que nous pouvons ensuite utiliser les compétences de son CV avec notre outil de matching. Mais attention, nous ne donnons pas un score à un CV, nous le « scorons » par rapport à une offre. C’est important de le souligner : l’IA n’évalue pas le candidat en tant que tel ; elle indique simplement que, pour une offre donnée, certains profils présentent une meilleure correspondance que d’autres. L’évaluation du candidat se fait chez nous, lors d’entretiens en face-à-face avec un recruteur ou un manager. On peut imaginer qu’à l’avenir, le candidat sur notre plateforme connaisse, lui aussi, son score par rapport aux autres candidats en fonction de l’offre qu’il regarde. Ça lui permettrait de mieux se positionner, même si ce n’est en aucun cas la garantie qu’il soit présélectionné.

Pensez-vous que certaines étapes du recrutement puissent à terme être entièrement automatisées ?

S.D. : Oui, indéniablement. Pour le sourcing et la recherche de CV en ligne, l’IA pourra aider à générer automatiquement des listes de candidats correspondant à une offre ou à un profil précis. On peut imaginer que le recruteur, quand il arrive le matin, dispose déjà d’un premier travail réalisé par l’IA pendant la nuit. Cela dit, pour moi, l’une des compétences les plus importantes chez un recruteur est sa capacité à s’organiser et à gérer ses priorités : suivre son pipeline, gérer son vivier de candidats, répondre efficacement aux candidats, et surtout savoir placer le bon candidat au bon endroit, au bon moment, avec le bon manager, en tenant compte de la criticité du poste. Le tout sans perdre de candidats en cours de route. Sur ce point, l’IA peut non seulement améliorer la performance, mais aussi faciliter le quotidien du recruteur.

La planification des entretiens est aussi quelque chose qui peut être automatisé. Reste à savoir si on en a envie. Organiser un entretien d’embauche, ce n’est pas comme un rendez-vous Doctolib, la date ne dépend pas seulement de la disponibilité du candidat et du recruteur. Ça dépend aussi de la vitesse que l’entreprise veut mettre dans le processus, de l’urgence sur le poste, du statut du candidat, de s’il a déjà des offres… Ce n’est pas qu’une question de prise de rendez-vous.

Comment ne pas dégrader l’expérience candidat avec cette automatisation croissante du processus de recrutement ?

S.D. : Avant de parler des inconvénients, il faut voir que l’IA ouvre des opportunités pour le candidat. Beaucoup postulent à des offres sans savoir ce qu’il y a dedans, ce qui crée d’ailleurs de la non-performance sur les offres d’emploi. L’IA doit aider les candidats à choisir les bonnes offres, celles où chacun a le plus de chance de réussir, celles qui sont les plus pertinentes, qui répondent le mieux à ce qu’ils ont envie de faire, à ce qu’ils savent faire, de manière à ce que chaque candidat soit plus efficace dans sa candidature.

L’IA peut aussi permettre aux recruteurs d’être plus objectifs dans le tri des CV. Aujourd’hui, selon l’heure à laquelle il regarde un CV, s’il est en forme ou pas, un recruteur peut avoir des défaillances, à juste titre. Grâce à l’IA, le tri de CV pourra se faire de manière cartographiée et pragmatique, avec donc plus d’égalité des chances au niveau des candidats.

Les deux côtés ont à gagner : le candidat vivra une meilleure expérience et aura une recherche d’emploi beaucoup plus efficace, tandis que le recruteur aura les bonnes candidatures au bon moment.

Le risque, c’est la perte de contact humain et le sentiment d’injustice, ou du moins le ressenti que les candidats peuvent en avoir. C’est pourquoi il est important d’avoir un bon équilibre dans l’intégration de la technologie. Si le recruteur gagne du temps sur des tâches automatisables, c’est justement pour passer plus de temps avec le candidat, pour comprendre son projet professionnel, l’évaluer, s’assurer qu’il rencontre les bonnes personnes, lui faire des débriefs, prendre le temps de lui donner des conseils…

A quoi d’autre voulez-vous que le temps gagné par les recruteurs grâce à l’IA serve ?

S.D. : Ce temps gagné peut aussi servir à passer plus de temps en interne avec le manager, parce c’est toujours un gros sujet de discussion dans le recrutement. C’est important de bien définir avec lui son besoin : c’est quelque chose sur lequel on peut s’améliorer et qui fait qu’on rate pas mal de recrutements. Par exemple, lorsqu’un besoin est exprimé, l’opérationnel me transmet la fiche de poste et ses attentes principales. Mais certaines informations restent implicites, parce qu’elles lui semblent évidentes. C’est pourquoi j’aime bien aller passer du temps avec les gens qui font le job pour lequel on recrute pour comprendre de manière très objective et très ouverte les qualités et les compétences personnelles, peut-être même les hard skills, qu’il faut pour compléter ce que me dit le manager. Cette démarche me permet de construire une offre qui me permettra d’être plus efficace dans mon évaluation des candidats, dans la compréhension du poste pour lequel je recrute.

Qu’est-ce que l’IA change dans les compétences que vous recherchez chez les candidats ?

S.D. : D’un point de vue technique, il y a d’abord la capacité à utiliser les plateformes d’IA. La notion de prompting n’est pas innée. On peut demander des choses à une IA mais si on lui demande mal, elle nous répondra mal. Il est donc important de connaître les IA, de comprendre comment elles fonctionnent, de savoir pourquoi on interroge celle-ci plutôt que celle-là. La deuxième compétence qui nous intéressera, c’est la pensée critique. Si vous vous satisfaites des premiers rendus que fournit l’IA, il y a beaucoup de chances que vous vous trompiez. Il y a aussi la créativité, la capacité à résoudre des problèmes, et l’intelligence émotionnelle, qui ne sont pas traitées par l’IA. Enfin, l’agilité dans la formation et la capacité à s’adapter et à se former régulièrement. Parce que les choses vont vite avec l’intelligence artificielle, il faut savoir se former, se remettre en question et s’adapter en permanence.

Au niveau des compétences des recruteurs, qu’est-ce que l’IA change ?

S.D. : Je parlais de l’esprit critique ; pour les recruteurs, cela implique de chercher à comprendre comment l’IA fonctionne, par exemple dans le scoring, savoir analyser un score, l’interpréter. On peut ouvrir le capot et demander à l’IA pourquoi elle a choisi ce CV plutôt qu’un autre, pourquoi elle ne me propose que des hommes pour ce poste. Je peux aller regarder comment elle a fait sa sélection, tester en lui envoyant des CV équivalents femme et homme, et voir comment elle réagit. Et si on découvre un biais, on peut le corriger en disant à l’IA qu’il faut qu’elle recommence et lui expliquer comment faire pour ne plus l’avoir.

Un autre aspect important pour les recruteurs, c’est d’être sans arrêt en capacité de vérifier qu’on est dans le cadre légal et objectif en testant son IA. Il faut régulièrement faire une sorte d’audit de son IA, lui soumettre des tests de performance, d’analyse et regarder régulièrement comment elle se comporte pour s’assurer de son équité.

La formation continue pour les recruteurs est aussi très importante. Le monde des ressources humaines, de manière générale, est très bousculé par cette technologie. On se doit de se tenir au courant en permanence de comment ça évolue, de nos droits et de nos devoirs, de la réglementation et de l’évolution des compétences de nos candidats.

Quel conseil donneriez-vous à un responsable RH qui débute aujourd’hui dans l’usage de l’IA ?

S.D. : Je lui dirais de communiquer avec des gens qui l’utilisent déjà. Il n’y a rien de mieux que de voir comment ça fonctionne avec quelqu’un qui l’utilise. C’est rassurant, on se rend compte que ce n’est pas compliqué. Ça permet aussi de se connecter avec le métier plutôt qu’avec la techno, parce que ce qui fera la différence, c’est comment on adapte la technologie au métier. Ça permet tout de suite de comprendre concrètement à quoi ça peut servir dans son quotidien de recruteur.

Visuel promo

Bien s’équiper pour bien recruter