Recrutement : comment la baisse de la natalité va inverser le rapport de force

Une étude du Haut-Commissariat à la stratégie et au plan dresse les 5 révolutions du marché du travail que va engendrer le décrochage démographique. Parmi celles-ci, l’inversion du rapport de force entre salariés et entreprises.

bras de fer entreprise
Avec la baisse de la natalité, les entreprises vont devoir s’adapter davantage aux attentes des salariés si elles veulent continuer à recruter, selon Antoine Foucher. © baranq / Stock.adobe.com

L’évolution démographique que connaît la France depuis plusieurs années devrait avoir des conséquences notables sur la configuration du marché du travail demain. Selon une étude publiée par le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan en septembre, la natalité a reculé de 22% ces 15 dernières années quand, dans le même temps, les décès sont en hausse avec « l’arrivée des premières cohortes de baby-boomers (1945-1974) à des âges de plus forte mortalité ». Conséquence, les courbes des naissances et des décès se sont croisées en juin 2025 pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale.

Le 28 octobre, le même Haut-Commissariat à la stratégie et au plan a publié une autre contribution, réalisée par l’économiste Antoine Foucher. Selon lui, ce décrochage démographique va entraîner 5 révolutions sur le marché du travail. Car la baisse de la natalité va entraîner le recul de la population active à partir de 2033-2035, de l’ordre de -28 000 actifs par an sur la période 2035-2045, selon les projections de l’Insee. « Cette raréfaction de la main-d’œuvre, qui a déjà commencé à produire ses effets, change structurellement la donne sur le marché du travail et s’apprête à provoquer cinq révolutions pour les entreprises et les travailleurs », écrit l’économiste, qui a aussi été directeur du cabinet de Muriel Pénicaud au ministère du travail entre 2017 et 2020.

Le rapport de force entre salariés et entreprises va s’inverser

Avec la baisse de la population active, la main-d’œuvre se fera de plus en plus rare. Conséquence, le rapport de force entre les salariés et les entreprises va s’inverser, notamment au moment du recrutement. « Pendant quatre décennies, le chômage de masse et le sentiment d’insécurité qu’il engendre pour les travailleurs ont avantagé les entreprises vis-à-vis des salariés. Il est plus facile pour les employeurs de négocier salaires et conditions de travail quand on sait qu’on pourra facilement remplacer les salariés mécontents ou partants. Ce n’est plus le cas aujourd’hui », écrit Antoine Foucher.

Cette tendance s’observe déjà en partie si l’on regarde le nombre de démissions et de ruptures conventionnelles issues de personnes en CDI. Environ 15% des salariés mettent volontairement fin à leur CDI chaque année, soit un salarié sur sept. Et dans la majorité des cas, ils retrouvent rapidement un poste : 86 % des personnes en CDI qui démissionnent sont à nouveau en emploi six mois après, selon des chiffres de la Dares.

Autre indicateur, le taux d’emploi, qui atteint son niveau le plus haut depuis que l’Insee a commencé à le mesurer il y a 50 ans. En 2024, il s’élevait à 68,8% chez les 15-64 ans, soit un peu plus de 3 points de plus qu’en 1975. « Collectivement, les Français n’ont jamais été autant au travail depuis 50 ans, et c’est bien pour cela que les entreprises ont davantage de mal à recruter et que les salariés sont plus exigeants. (…) Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, le décrochage démographique, inédit depuis 1945, fait que les entreprises doivent désormais s’adapter davantage aux attentes des salariés si elles veulent continuer à recruter et fidéliser », indique encore l’économiste dans sa note.

Plus d’un recrutement sur deux jugé difficile

Autre conséquence d’une population active dont la croissance se tasse, les difficultés de recrutement vont devenir la norme. Selon l’enquête Besoins en main-d’œuvre de France Travail, un projet de recrutement sur deux était jugé difficile par les employeurs en 2025, un chiffre en recul (-11 points par rapport à 2023) qui s’explique par le ralentissement de l’activité économique depuis un an.

« Depuis plus de quarante ans, les entreprises ont été habituées à une main-d’œuvre plutôt abondante, liée à une augmentation de la population en âge de travailler de près de 200 000 personnes par an. Avec une division par deux de cette augmentation annuelle depuis 2014, et un ralentissement programmé jusqu’à la stagnation et la diminution d’ici dix ans, les tensions de recrutement sont condamnées à rester très élevées pour la majorité des secteurs économiques », indique la publication du Haut-Commissariat à la stratégie et au plan.

Le temps passé à la retraite va diminuer

Parmi les autres révolutions du marché du travail identifiées par Antoine Foucher, la sortie définitive du chômage de masse. Avec la stagnation de la population active, le pays n’a plus besoin de créer beaucoup d’emplois pour faire reculer le chômage. « Nous entrons dans une ère nouvelle où une faible croissance et un faible chômage peuvent aller de pair », écrit encore l’économiste, à la tête du cabinet Quintet.

Le recul de la population active et le vieillissement de la population dans son ensemble posera aussi la question du financement des retraites. Pour Antoine Foucher, « le temps passé à la retraite va diminuer (…). L’âge de départ à la retraite à taux plein se situerait ainsi dans une fourchette, en fonction de l’âge d’entrée sur le marché du travail, allant de 62-63 ans à 70-71 ans », projete-t-il.

Cela pourrait vouloir dire qu’en allongeant progressivement la durée de cotisation à 46 ans, la durée moyenne passée à la retraite serait de 21 ans environ pour la génération 1978, contre 25 ans pour les générations nées au début des années 1950. « Ces estimations sont par ailleurs cohérentes avec la comparaison internationale : à ce jour, même en intégrant les effets de la dernière réforme des retraites, nous travaillons deux à trois ans de moins que les autres Européens, sans compenser cet écart par un niveau supérieur de qualification ou de productivité », conclut-il.

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