Quiet quitting, quiet firing : comment les entreprises peuvent-elles briser ce cercle vicieux ?

Que peuvent faire les entreprises pour lutter contre le désengagement progressif de leurs collaborateurs ?

Les quiet quitters s'en tiennent strictement aux horaires de travail imposés par leur employeur.
Les quiet quitters s'en tiennent strictement aux horaires de travail imposés par leur employeur. © tanaonte/stock adobe.com

D’un côté, il y a ces salariés qui travaillent a minima, en font juste assez pour ne pas être en faute, mais pas trop parce que leur métier n’a plus beaucoup de sens pour eux. De l’autre, ces employeurs, qui attribuent à leurs collaborateurs démotivés des tâches peu stimulantes, à faible valeur ajoutée, quitte à les mettre au placard pour de bon.

Quiet quitting et quiet firing ne sont que les deux faces d’une même médaille pour Delphine Monnier, avocate spécialisée en droit du travail au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel : « Le quiet firing est la très mauvaise réponse apportée à un collaborateur désinvesti. J’en ai été témoin dans une entreprise de la tech : une collaboratrice qui ne s’intéressait pas aux nouveaux projets de son entreprise, avait refusé d’apprendre un nouveau langage de programmation, qui est devenu incontournable deux ou trois ans après. Elle a ensuite reproché à son employeur de l’avoir mise au placard. Lui, à l’inverse, disait qu’il lui donnait du travail mais que, voyant qu’elle ne s’intéressait pas à ce langage, il n’avait pas voulu lui confier de nouvelles tâches. Un vrai dialogue de sourds ! »

Si ces mouvements ne sont pas nouveaux en entreprise, ils s’accélèrent depuis quelques mois, sous l’effet conjugué des nouvelles aspirations post-Covid des travailleurs et du dynamisme du marché de l’emploi, selon Delphine Monnier : « Les candidats sont de plus en plus exigeants sur leur qualité de vie au travail et sont en position de force sur le marché. Ils savent que les opportunités d’emploi sont nombreuses et sont moins réticents à lâcher un CDI. On note une importante progression du nombre de freelances. Du point de vue des employeurs, il faut répondre à cette soif de liberté, dont certains profils, comme les développeurs, profitent, du fait de la rareté de leurs compétences sur le marché. »

Pourquoi les RH doivent s’en inquiéter

Ce double phénomène décrit des situations de mal-être très diverses et profondes. « Dans les cas de quiet firing, la mise au placard et le bore-out peuvent être considérés comme du harcèlement moral à l’encontre du salarié », explique l’avocate.

A l’inverse, « il ne faut pas oublier que le harcèlement du collaborateur envers son manager est aussi reconnu par la jurisprudence, même si c’est plus tabou. Si un collaborateur rend systématiquement les choses en retard ou ne suit pas les consignes intentionnellement, cela peut constituer du harcèlement envers son manager. L’un de mes clients encadre un collaborateur en arrêt maladie depuis 6 mois pour souffrance psychologique au travail. Depuis qu’il est absent, elle ne prend pas de vacances, car elle ne peut pas remplacer par un CDD cette personne qui a des fonctions assez importantes. Va-t-on attendre le burn out de la manager qui assume la charge de travail du salarié absent ? »

A cela s’ajoute qu’un employeur peut être attaqué en justice par un salarié qui se juge victime de quiet firing. Travailler sur l’employabilité de ses collaborateurs est une obligation légale de l’employeur, selon l’article L.6321-1 du Code du travail.

« En cas de manquement à cette obligation, le salarié licencié pour sauvegarde de la compétitivité ou mutations technologiques peut donc utiliser cet argument pour renforcer la contestation de son licenciement. C’est ce qui s’est passé lors du procès retentissant des licenciements économiques des salariés des Pages jaunes. Ceux qui travaillaient pour l’annuaire papier reprochaient à leur employeur de ne pas avoir anticipé l’explosion d’internet et de ne pas les avoir formés en conséquence. »

Quelles solutions pour y mettre fin ?

Renouer le dialogue manager/managé

Avant d’en arriver là, il existe des solutions pour désamorcer le conflit. En premier lieu, établir un dialogue, car ces comportements « silencieux » ont pour principale cause des non-dits, sources de malentendus : « On se retrouve dans des actions répréhensibles des deux côtés du fait d’une rupture du dialogue. Les managers doivent organiser des un-à-un réguliers avec leurs collaborateurs, pour déceler rapidement s’il y a de la démotivation ou une perte de sens au travail et, alors, trouver la meilleure porte de sorti: accorder un 4/5e, repositionner le collaborateur sur des missions plus challengeantes… »

Lors de ces points, le manager peut aussi réexpliquer le projet d’entreprise, la vision : « Les collaborateurs, surtout les plus jeunes, sont de plus en plus exigeants quant aux valeurs de l’entreprise. » Faut-il y voir la cause de la prolifération des raisons d’être d’entreprise et des sociétés à mission ? « Mettre un babyfoot dans la salle de pause et organiser un week-end par an ne suffit plus. Or, de nombreuses entreprises n’ont pas forcément encore fait ce travail de définition de qui elles sont et de pourquoi elles font de ce qu’elles font. »

Miser sur la GPEC

« N’attendez pas les entretiens professionnels, tous les deux ans, pour faire monter vos équipes en compétences, conseille Me Monnier. Il faut identifier les zones de génie de vos salariés, les aider à progresser sur leurs points forts et redéployer leurs tâches, si certaines ne conviennent plus à leurs goûts ou à leurs talents. » A cet égard, le plan de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC) est un précieux outil pour adapter les emplois et les compétences des collaborateurs aux évolutions de leur environnement de travail. Obligatoire dans les entreprises de plus de 300 collaborateurs, il peut aussi être utilisé quelle que soit la taille de votre entreprise.

 « On ne garde plus les gens avec un salaire attractif, il faut aussi leur permettre de grandir avec l’entreprise, leur donner le pouvoir, en faire des intrapreneurs en libérant leur esprit d’initiative, par exemple, en installant des boîtes à idées qui seront testées », affirme l’avocate.

Améliorer la qualité de vie au travail

Pour remotiver vos salariés, quoi de mieux que de leur proposer un avantage qui améliorera leur bien-être au travail ? A l’image de la semaine de quatre jours, qui permet de mieux concilier vie pro et vie perso : « C’est encore marginal en France mais les entreprises, comme LDLC, qui l’ont mise en place, ont bâti une marque employeur très solide autour de ça et n’ont aucun problème de recrutement. Elles sont gagnantes sur tous les tableaux : gain de productivité, amélioration du bien-être au travail et renforcement de l’engagement salarié. »

Autre point d’attention : les liens au sein de la communauté de travail. « Ce n’est pas évident de continuer d’animer un collectif quand on travaille beaucoup à distance et qu’on ne se croise plus. On en arrive parfois à des situations ubuesques où un collaborateur se retrouve tout seul, sur un grand plateau, un lundi matin. On comprend facilement qu’il ne soit pas très motivé ! »

Faire preuve de courage managérial

« Certaines situations de quiet quitting ou de quiet firing résultent d’un manque de courage managérial : on ne veut pas se séparer de la personne parce qu’on a tissé des liens personnels ou à cause de son ancienneté dans l’entreprise. Cela part d’un bon sentiment : on laisse à la personne une seconde chance, sans le lui dire. Mais c’est rarement la meilleure solution », constate Delphine Monnier.

Dans ce type de scénario, elle observe que se mettre autour d’une table et de s’accorder sur une rupture conventionnelle peut être une solution. Si la discussion n’aboutit pas sur un accord, l’employeur peut aller jusqu’au licenciement : « Le quiet quitting peut être interprété comme une insuffisance professionnelle. Dans ce cas, c’est un motif non disciplinaire de licenciement. Ici, on se base sur des faits : on a donné les moyens au collaborateur de réussir et il n’a pas atteint le résultat escompté, ce qui a causé un préjudice à l’entreprise. Le préjudice n’est pas toujours facile à démontrer, car souvent, un employeur n’attend pas qu’un commercial plombe les résultats annuels de son secteur pour se séparer de lui. L’idéal pour que la démonstration soit faite, c’est d’agir dans le bon timing pour notifier le licenciement : si on laisse passer trop de temps, on peut laisser penser que l’insuffisance de résultats n’a pas été si dérangeante que ça ; si on va trop vite, on n’aura pas de preuve de la réalité du préjudice engendré. Mon conseil, c’est d’en parler assez tôt avec un avocat ou un RH pour décider du bon moment pour lancer la procédure. »

Si l’entreprise estime que le quiet quitter est responsable d’une négligence fautive, le motif du licenciement est, alors, disciplinaire. « L’employeur doit alors démontrer que la faute est intentionnelle, que le collaborateur n’a pas fait ce qu’on attendait de lui sciemment, alors qu’il avait toutes les cartes en main. Ça peut être le cas d’un comptable qui n’a pas rendu un document dans les temps, ce qui fait que l’entreprise écope d’une amende. Les entreprises privilégient l’insuffisance professionnelle car la négligence fautive est plus compliquée à prouver : le salarié peut faire valoir qu’il n’a pas eu les moyens ou les formations nécessaires pour mener à bien sa mission. »

Bien s’équiper pour bien recruter