« Au Québec, on recrute un potentiel plutôt qu’un diplôme »
Dans ce dernier épisode de notre série Recruteurs d’ailleurs, cap sur le Canada où l’entretien d’embauche est un exercice bien moins formel qu’en France.

Au Québec, le recrutement sur la personnalité et le potentiel du candidat est ancré dans les pratiques depuis bien longtemps. « L’absence de tel ou tel diplôme est rarement bloquant pour une candidature, car l’accès aux études supérieures reste beaucoup plus coûteux en Amérique du Nord qu’en France. Il existe bien sûr des bourses, par exemple celles qui récompensent une performance sportive, mais tout le monde n’est pas concerné. Les étudiants vont parfois jusqu’à la licence, mais peu vont jusqu’au master », précise Pauline Ribeiro, RH généraliste chez I-Tracing, à Montréal, au Canada.
Dans cette entreprise de cybersécurité, comme ailleurs au Québec, les recruteurs se focalisent davantage sur le potentiel du candidat, sa motivation et son implication. « La motivation permet à un collaborateur d’aller s’investir, de monter en compétences, d’aller beaucoup loin. A l’inverse, quelqu’un qui a le diplôme adéquat mais n’est pas motivé ne va pas être l’élément le plus moteur, le plus dynamique de l’équipe », argumente la recruteuse.
« La diversité crée un climat d’émulation intellectuelle »
Cette approche présente de nombreux avantages, selon elle. A commencer par la diversification des profils : « La différence est une force pour le groupe : chacun a sa propre perception d’une même situation, a une solution différente à proposer à un problème donné. Cette diversité installe un climat d’émulation intellectuelle et rend l’équipe encore plus performante. » La recruteuse se souvient notamment d’un collaborateur, qui avait fait toute sa carrière dans l’hôtellerie et qui avait décidé d’étudier, sur son temps personnel, pour décrocher une certification en cybersécurité : « Sur le papier, il ne cochait pas les cases du candidat idéal classique. Mais il a réussi à démontrer une bonne motivation en entretien, ses tests techniques ont laissé entrevoir un beau potentiel. Aujourd’hui, ça fait cinq ans qu’il a rejoint notre entreprise, il a rapidement gagné en responsabilités et c’est un élément hyper moteur dans l’équipe ! »
Si l’entreprise ne recrutait que des profils des plus grandes écoles d’ingénieurs avec des compétences en cybersécurité, elle ne pourrait pas atteindre son objectif de 150 à 200 recrutements par an à l’échelle internationale, affirme sa DRH, Justine Garcia : « On embauche sur des métiers très pénuriques, donc on n’a pas d’autre choix que d’élargir notre champ de recherche. » Mais comment décèle-t-on un potentiel au stade du processus de recrutement ? « Plutôt que de rechercher une expertise très pointue, on va plutôt mettre les candidats dans des situations de la vie professionnelle, pas forcément très techniques, et voir comment ils réfléchissent, comment ils prennent de la hauteur, poursuit-elle. Même s’ils n’ont pas la bonne réponse, on analyse le chemin qu’ils ont pris pour arriver à ce résultat. »
« L’entretien d’embauche est une véritable discussion »
L’autre clé réside dans la forme de l’entretien d’embauche, bien moins formel qu’en France et qui en dit plus long sur la personnalité du candidat : « A Montréal, et au Québec plus généralement, on se tutoie facilement et l’entretien d’embauche prend rapidement une tournure conversationnelle, resitue Pauline Ribeiro. C’est une véritable discussion où le recruteur et le candidat apprennent à se connaître. Le candidat se sent à l’aise, ce qui peut l’amener à se confier au recruteur sur des sujets d’ordre personnel ou des difficultés qu’il a dû surmonter au travail, comme un stress ressenti lors d’une présentation. » Une transparence souvent perçue comme un gage d’honnêteté par le recruteur, qui ne pénalise pas le candidat mais permet au recruteur de mieux le projeter sur le poste.
Les échanges prennent également une tournure plus spontanée qu’en France, où l’entretien débute la plupart du temps par une présentation du candidat : « Les Français ont généralement écrit leur pitch, l’ont appris par cœur et le récitent au recruteur. Tout est préparé pour que rien de négatif ne transparaisse, témoigne Justine Garcia. C’est le cas aussi pour des questions-type du style ‘’Citez-moi trois qualités ou trois défauts’’ où les candidats choisissent avec soin des défauts qui n’en sont pas. Je ne pose d’ailleurs plus cette question en entretien ! En France, l’entretien relève plus du jeu de rôle ou de l’exercice d’éloquence. »
« Les candidats sont parfois surpris de nos questions »
A l’inverse, les candidats québécois arrivent souvent moins préparés aux entretiens : « Si on leur demande de se présenter, leur réponse est souvent très succincte et c’est à nous de les inciter à développer leurs missions, explique Pauline Ribeiro. Ils sont même parfois surpris qu’on leur pose certaines questions, comme ‘’Quelles sont tes attentes en termes d’environnement de travail ? », « Quel type d’accompagnement attends-tu de la part de ton manager, pour que tu te sentes en confiance et que tu puisses être performant ? ». Le fait qu’ils soient naturels nous aide à voir s’il y a un fit mutuel. »
Cette transparence au stade du recrutement se traduit aussi par une grande lisibilité des schémas d’évolution possible. Le recruteur expose au candidat, dès l’entretien RH, les voies d’évolution qui s’offrent à lui : « Si le candidat a un projet professionnel assez mature, il peut savoir immédiatement si le poste peut lui convenir. Cette projection favorise la rétention, l’engagement et la bonne collaboration manager/managé », détaille Pauline Ribeiro. Le projet professionnel du candidat est ensuite transmis au hiring manager pour construire un parcours personnalisé, qui peut évoluer au fil des envies du collaborateur. « Parler des chemins d’évolution dès le début nous permet aussi de voir si les besoins du collaborateur sont bien en phase avec nos besoins opérationnels, pour éviter les mauvaises surprises et notamment les départs. »
En France, I-Tracing ne présente pas de plan de carrière à ses candidats : « On est probablement plus méfiants, admet Justine Garcia. Parce qu’on craint que si on évoque les évolutions possibles au candidat, il le prenne pour une promesse et dise, une fois en poste : ‘’On m’a vendu ça en entretien’’. »
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