Loi pouvoir d’achat et intéressement : qu’est-ce que ça change pour les entreprises ?
On fait le point sur les nouvelles règles d’intéressement portées par le projet de loi pour le pouvoir d’achat, adopté le 3 août.

À travers le projet de loi pour le pouvoir d’achat, les entreprises sont incitées à verser à leurs salariés des compléments de revenus sous diverses formes, dont l’intéressement, pour faire face à la hausse des prix. On fait le tour des nouveautés du dispositif avec Fabien Lucron, directeur du développement de Primeum, cabinet dédié à la rémunération variable.
Quelles sont les nouveautés introduites par le projet de loi pouvoir d’achat en matière d’intéressement ?
Fabien Lucron : La première chose qui change, c’est que tous les collaborateurs peuvent débloquer leur participation ou leur intéressement jusqu’au 31 décembre 2022, sans motif spécifique et sans imposition, quelle que soit la durée de détention, dans une limite de 10 000 €. On est bien là dans une mesure de pouvoir d’achat : vous avez besoin d’argent, vous pouvez en toucher immédiatement et on ne vous pénalise pas.
La deuxième mesure, annoncée comme importante, mais que je trouve timide, est la nouvelle capacité de signer des accords d’intéressement collectif par décision unilatérale. L’idée étant que les entreprises de moins de 50 salariés, non couvertes par un accord de branche, puissent décider seules d’un accord, selon des modalités qui leur conviennent et sans avoir besoin de négocier les conditions. Je ne suis pas certain que c’était cet aspect qui retenait les entreprises de conclure un accord d’intéressement. La réalité est que dans les petites entreprises de moins de 50 salariés, ça ne se négocie pas un accord d’intéressement, on est déjà content d’en avoir un !
Troisième nouveauté : la loi rallonge la durée de chaque accord, de 3 à 5 ans, et offre la possibilité de le renouveler par tacite reconduction. Encore une fois, Bercy pense que le frein pour les petites entreprises est d’ordre administratif. Selon moi, il est davantage de nature philosophique : est-ce que je décide de partager la valeur ou pas ? On a renommé la prime Macron prime de partage de la valeur, mais le vrai partage de la valeur réside dans l’intéressement.
Les deux derniers changements sont la suppression du contrôle du plan par la DEETS (direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités), à partir du 1er janvier 2023, et la dématérialisation de la procédure, ce qui va faire gagner du temps aux entreprises. La DEETS pouvait, en effet, mettre 6 mois à rendre sa décision finale.
Pourquoi le texte final est-il, selon vous, timide ?
F.L : Dans le projet initial, rédigé par Thibault Lanxade, l’ambition était d’inciter fortement les entreprises de 10 à 50 salariés à avoir un plan d’intéressement. La proposition était de conditionner le versement des dividendes à l’existence d’un plan d’intéressement au sein de l’entreprise. Cette piste était contraignante, mais intéressante. Ça avait du sens et les risques étaient limités, puisque l’intéressement ne se déclenche que si certaines conditions, décidées par l’employeur, sont réunies. Cette piste, à mon sens plus efficace, n’a pas été retenue.
Concrètement, qu’est-ce qui change pour une entreprise qui veut conclure son premier accord d’intéressement ?
F.L : Ça va aller beaucoup plus vite, du fait de la dématérialisation et de la fin du contrôle de la DEETS. La numérisation permet aussi d’accéder à des accords d’intéressement prérédigés. Beaucoup d’entrepreneurs n’osaient pas se lancer parce qu’ils n’avaient pas le mode d’emploi.
Quelles questions se poser avant de mettre en place un plan d’intéressement ?
F.L :- Quelle part de résultat vais-je distribuer à mes collaborateurs ?
- Comment vais-je la reverser (de manière collective ou corrélée au salaire de chacun) ?
- Quelle formule vais-je appliquer (indicateurs financiers, RSE…) ?
- Quelle progression de l’enveloppe en fonction de la non-atteinte ou du dépassement de l’objectif ?
Peut-on s’attendre à une explosion du nombre de plans d’intéressement dans les prochains mois ?
F.L : Plusieurs entreprises vont sans doute conclure leur premier plan d’intéressement, mais pas forcément parce que la loi les y incite. Je pense plutôt que certaines entreprises sont en train de revoir leur package salarial pour répondre à l’inflation galopante. Les employeurs ne peuvent pas augmenter les salaires dans la même proportion, donc ils jouent sur la rémunération variable. C’est un élément clé d’attractivité.
Est-ce que les candidats sont de plus en plus attentifs aux accords d’intéressement au moment de choisir leur entreprise ?
F.L : C’est certain ! De plus en plus d’entreprises en parlent et c’est une bonne chose dans un contexte de tension de recrutement. Que ce soit dans l’offre d’emploi et lors des entretiens, l’intéressement doit être mentionné. Les candidats sont très au fait de ce sujet et parlent plus librement d’argent qu’il y a quelques années. Le marché est plus que jamais en faveur des candidats, donc ils font monter les enchères.