Quels métiers recruteront le plus d’ici 2030 ?
Un exercice d’anticipation basé sur les travaux de France Stratégie.
A quoi ressemblera le marché du travail français en 2030 ?
« Les besoins de recrutement s’expliquent, d’une part, par les créations d’emploi liées à la dynamique des métiers, mais surtout par des remplacements de départ à la retraite des dernières générations de baby-boomers », analyse Cécile Jolly, cheffe du programme « Métiers 2030 » au sein du département « Travail Emploi Compétences » de France Stratégie.
D’ici 2030, les métiers qui connaîtront le plus de créations d’emploi sont ceux de cadre du bâtiment et des travaux publics (+30% de nouveaux postes prévus entre 2019 et 2030), d’ingénieur informatique (+26%) et d‘ingénieur et cadre de l’industrie (+24%). Viennent ensuite ceux d’infirmier et sage-femme (+18%), de cadre commercial et technico-commercial (+17%) et d’aide-soignant (+15%).
Si on regarde, à présent, du côté des métiers dont la moyenne d’âge est assez élevée, et qui vont devoir anticiper des vagues de départs à la retraite, les besoins se concentreront sur les métiers d’enseignant, de conducteur de véhicule, d’aides à domicile et d’agents d’entretien.
Quelles problématiques de recrutement en découlent ?
« Les principaux besoins de recrutement concernent des métiers déjà en tension. Selon nos projections, ces difficultés devraient se maintenir, voire s’accroître dans les prochaines années », note Cécile Jolly. Or, ce qui est problématique, c’est que ce sont précisément ces métiers de la transition numérique, écologique et démographique, qui recrutent le plus, sur lesquels on forme le moins tout au long de la vie. »
Côté formation continue, les politiques publiques mises en place rencontrent certaines limites : « On constate qu’il y a moins d’heures de formation allouées aux collaborateurs les moins qualifiés, ce qui entrave leurs perspectives d’évolution professionnelle et leurs possibilités de reconversion. »
Si ouvrir des places de formation est nécessaire pour pallier cette pénurie de main-d’œuvre, ce n’est pas suffisant pour les filières en panne d’attractivité. « Concernant les métiers peu qualifiés, à l’image des employés de maison, des ouvriers peu qualifiés ou des agriculteurs, il faut travailler sur l’amélioration des conditions de travail. D’autres professions souffrent aussi de stéréotypes liés au genre, c’est le cas du bâtiment, où il est difficile d’attirer des femmes, et des métiers d’aide et du soin où l’on trouve peu d’hommes. »
Quelles solutions ?
Trois chantiers peuvent être menés pour anticiper ces difficultés de recrutement : adapter les formations, faciliter les reconversions professionnelles et améliorer les conditions de travail.
Sur le volet formation, les contenus et les modalités doivent davantage coïncider avec les besoins des entreprises : « Par exemple, pour les postes les moins qualifiés, les entreprises, en particulier les TPE-PME, privilégient aujourd’hui les formations très opérationnelles, sur le poste de travail, pour répondre à leurs impératifs de court terme. Car elles ont peu de temps et d’argent à consacrer aux formations. On peut réfléchir à des formats plus courts et réguliers, y compris pour des métiers manuels, de telle sorte que les collaborateurs puissent monter en compétences sans que cela n’entrave l’activité des petites entreprises », propose Cécile Jolly.
L’enjeu est également de former ses salariés aux métiers de demain : « Pour moi, il ne s’agit pas de nouveaux métiers, mais de métiers existants qui se segmentent, qui s’hybrident, et qui appellent de nouvelles compétences. On sait notamment que les compétences numériques deviennent incontournables dans un grand nombre de métiers (graphisme, marketing, finance…), même dans des secteurs où on n’avait absolument pas besoin de maîtriser ces techniques il y a quelques années : l’agriculture, le commerce, le bâtiment… La transition écologique a, elle aussi, un impact important sur le marché du travail, du fait des politiques publiques ambitieuses affichées en matière de réduction des émissions de CO2. Les compétences environnementales, d’abord concentrées sur les principales activités émettrices (le transport ou la rénovation énergétique des bâtiments), s’étendent à un éventail de plus en plus large de métiers. Notamment ceux de la fonction RH, qui joue un rôle clé dans le choix de la localisation des bureaux, la limitation du temps de transport de ses salariés, l’adoption de pratiques vertueuses pour l’environnement… »
« Il faut repenser les parcours professionnels pour offrir davantage de perspectives d’évolution aux salariés les moins qualifiés. »
Et pour améliorer encore l’orientation vers ces métiers d’avenir, les reconversions professionnelles doivent être mieux accompagnées. « C’est chez les salariés les moins qualifiés que les reconversions sont les plus difficiles individuellement, psychiquement et financièrement », souligne Cécile Jolly. Et, une fois qu’ils ont changé de voie professionnelle, ces profils peu ou pas diplômés rencontrent aussi plus de difficultés à retrouver un emploi : « Les entreprises doivent changer de regard sur ces candidats, oser prendre plus de risque et accepter qu’elles devront consacrer plus de temps à l’intégration de ces collaborateurs. Elles doivent aussi diversifier leurs canaux de recrutement pour approcher ces profils en reconversion. »
Enfin, il faut travailler sur l’image même de ces métiers en tension. Et cela passe, en grande partie, par une revalorisation des conditions de travail : « Ce sujet, qui recouvre à la fois les horaires de travail, la politique de télétravail, la rémunération, la santé et la sécurité au travail, le mode de management, doit être discuté de manière concertée entre les branches professionnelles et l’Éducation nationale. Il faut aussi repenser les parcours professionnels pour offrir davantage de perspectives d’évolution aux salariés les moins qualifiés. On sait aujourd’hui que ce sont les cadres qui bénéficient des trajectoires les plus favorables. Or, il faut offrir à chacun les mêmes opportunités de mobilité professionnelle ! »