Licenciements massifs dans la tech américaine : des opportunités pour les recruteurs français ?
Ces talents tech représentent un vivier intéressant de candidats pour les entreprises françaises traditionnelles qui n’ont pas achevé leur transition numérique.
11 000 employés licenciés chez Meta, 12 000 chez Google, 18 000 chez Amazon… Au total, près de 160 000 talents de la Tech ont été remerciés en 2022, recense le site layoffs.fyi. Anticipant une récession mondiale en 2023, notamment du fait de l’inflation, de la hausse des taux d’intérêt et de la crise de l’énergie, les géants de l’informatique se séparent d’un grand nombre de collaborateurs.
Des ambitions de croissance revues à la baisse
« Pendant la pandémie, ces entreprises américaines ont recruté massivement et très cher. Elles ont été extrêmement rapides dans la mise en œuvre de projets structurants, avec de gros investissements à la clé, analyse Hymane Ben Aoun-Fleury, présidente du cabinet de recrutement Aravati. Maintenant que ces infrastructures sont sur les rails et qu’elles ont atteint leur vitesse de croisière, elles ont revu leurs ambitions de croissance à la baisse dans un contexte économique incertain. Désormais, elles changent de cap, elles préfèrent geler leurs recrutements et fidéliser les collaborateurs qui restent. »
Après avoir réalisé d’importantes levées de fonds pendant la période Covid, les start up et les scale up se montrent, elles aussi, plus prudentes : « L’inflation rend l’argent plus cher et les investisseurs sont moins prêts à prendre des risques, car ils craignent de créer une bulle comparable à celle d’internet en 2001. Les entreprises vont donc sans doute espacer leurs levées de fonds et opter pour une logique de sécurisation, de pérennisation de ce qui a déjà été fait. En France, BackMarket a licencié 13% de ses effectifs, mais l’argent ainsi économisé va être injecté dans les augmentations des profils qui restent », illustre la spécialiste du marché IT.
Les métiers profils à la performance très recherchés
Cet ajustement de la stratégie de développement a une incidence sur les besoins de recrutement des entreprises. « Les enjeux de communication et d’images sont délaissés au profit de sujets très ROistes liés à la performance et à l’acquisition. Par conséquent, les métiers qui ont le vent en poupe sont ceux de la marketplace (Content marketing Manager, E-merchandiser…), de la Data (Product Owner Data, Data Analyst…), du produit (Product Marketing Manager, Product Manager…), du développement (développeur Full Stack, low code/no code développeur). En revanche, les recrutements de profils travaillant sur de nouveaux projets ont été gelés. Les Data Scientist sont aussi moins en vogue, car ils existent de plus en plus d’algorithmes prêts à l’emploi, sur lesquels peuvent directement se baser les Data Analyst. »
Un marché plus fluide mais des profils qui restent difficiles à recruter en France
En France, selon la direction du ministère du Travail, près de 300 000 emplois dans le digital demeuraient vacants au 3e trimestre 2021, et d’après Forbes, 200 000 emplois peineront à être pourvus d’ici 2025, preuve que le marché reste en proie à de fortes tensions. Pour Hymane Ben Aoun-Fleury, le fait que les géants américains et les start up recrutent moins va faciliter l’accès des entreprises plus traditionnelles à ces profils pénuriques : « Les entreprises françaises ne sont pas aussi avancées que leurs homologues américaines dans leur transformation numérique et ont besoin de bras pour mener ces importants chantiers. La pénurie de candidats continuera d’être forte en 2023, mais on est à un moment-charnière : ces plans de licenciements massifs fluidifient le marché. On se retrouve à une situation similaire à celle de 2019 : les entreprises ont moins de difficulté à rendre leurs offres visibles sur les jobboards ou les réseaux sociaux. »
Des candidats en quête de sécurité de l’emploi et d’équilibre vie pro/vie perso
Les candidats restent très sollicités, mais dans une moindre mesure : « Les recruteurs gagnent du temps et ont plus de chances de parvenir à leurs fins. Globalement, il faut moins de temps pour trouver un candidat, réussir à lui parler et à le convaincre de postuler. Et là où hier, un candidat avait quatre processus de recrutement en parallèle, il en a aujourd’hui deux. » Hymane Ben Aoun-Fleury constate aussi que les professionnels du digital recherchent davantage une sécurité de l’emploi que par le passé : « Voir les start up licencier fait prendre conscience du risque. Alors que de nombreuses personnes se sont installées à leur compte au cours des dernières années, le mouvement s’inverse depuis septembre 2022. Les candidats reviennent vers notre cabinet, à la recherche d’un CDI. »
Outre la sécurité de l’emploi, que recherchent ces candidats ? Avant le Covid, la priorité des salariés de la Tech au travail était d’« avoir un salaire confortable ». Ce critère est désormais relégué à la troisième place derrière « avoir un bon équilibre vie pro/vie perso » et « travailler dans une entreprise qui préserve ma santé et mon bien-être », selon une enquête Aravati.
Les entreprises qui tireront leur épingle du jeu dans la guerre des talents seront donc celles qui sauront proposer une politique avantageuse de télétravail, des options d’aménagement horaire à la carte ou des organisations du travail différentes, telles que la semaine de quatre jours.
Le défi du retour des expatriés
« On n’est plus dans une logique de proposer des salaires mirobolants pour s’assurer d’être choisi par le candidat. Les entreprises sont en train de repenser leur stratégie employeur pour valoriser la mobilité interne, l’upskilling, la formation continue de leurs collaborateurs », constate la présidente d’Aravati.
Ces arguments peuvent-ils convaincre des travailleurs américains de rejoindre une entreprise française ? « Le plus réaliste sera d’abord de faire revenir les expatriés français, concède Hymane. Ils ont été attirés outre-Atlantique par les salaires très attractifs. Le revers de la médaille, c’est qu’ils ont goûté à la brutalité du droit du travail américain : on vous recrute facilement et on vous sort facilement. Les salariés français connaissent déjà les avantages qu’ils auraient à revenir : environnement social bienveillant, Sécurité sociale… Ils savent aussi que la pandémie a conduit les employeurs français à mener une vraie réflexion sur l’équilibre vie pro-vie perso, la qualité de vie au travail, l’intéressement, qui n’ont pas été aussi poussées aux États-Unis. Sur un plan plus pragmatique, leur contrat de travail conditionne souvent leur visa. S’ils perdent leur emploi, ils ont peu de temps pour se retourner avant de perdre leur greencard et auront le réflexe de revenir en France. Enfin, ceux qui travaillaient loin de leur famille et avaient l’habitude de rentrer régulièrement n’ont plus pu le faire pendant le Covid, ce qui a conduit de nombreux expatriés à revenir. »