Être RH en Irlande : « L’employeur est plus libre qu’en France mais doit sans arrêt anticiper ! »
Pour Emilie Narcy, la flexibilité du droit du travail irlandais offre, certes, moins de garde-fous qu’en France mais laisse une plus grande part à la créativité.
La carrière RH d’Emilie Narcy l’a menée de la France à l’Irlande, puis à l’Espagne en passant par les Etats-Unis et le Japon avant un retour en Irlande, où la globe-trotteuse a finalement élu domicile il y a dix ans.
« On a les mains libres mais il faut sans cesse anticiper ! »
Directrice des Ressources Humaines et des Opérations chez Approach People, un cabinet de recrutement spécialisé dans l’international, elle nous livre son point de vue d’expatriée sur la culture RH de sa terre d’élection : « La plus grande différence avec la France, c’est la place de l’administratif. En France, les procédures sont extrêmement codifiées : nombreux documents à remplir, procédures encadrées par le Code du travail et les conventions collectives… Cela crée une certaine lourdeur, une inertie, mais ça offre au moins des guidelines et des garde-fous : l’employeur sait exactement ce qu’il peut faire et ne peut pas faire. »
Et en Irlande ? « Moins d’administratif, moins d’étapes. On a les mains libres mais il faut sans arrêt anticiper pour assurer la rétention des talents en interne et donc la pérennité de l’entreprise. A mon arrivée, par exemple, j’ai été très surprise de voir qu’il était possible de ne pas signer de contrat de travail mais de le conclure à l’oral. Cela peut permettre de commencer rapidement mais, sans trace écrite, tout est sujet à interprétation. On aura donc davantage recours aux échanges d’emails, d’offre d’emploi, etc… en cas de contentieux. »
« C’était mon dernier jour, on se voit au pub ? »
« Il y a aussi très peu de freins à l’embauche en Irlande. Le modèle anglo-saxon encourage le fait de se lancer dans de nouveaux projets, qu’ils soient finalement couronnés de succès ou non, et valorise les expériences ainsi acquises. Il n’existe pas d’échec à proprement parler. Si un nouveau recrutement s’avère moins prospère qu’initialement imaginé, pour une raison ou pour une autre, ni l’employeur ni le collaborateur ne vont tenter de forcer les choses. L’employeur redoute également moins d’être poursuivi s’il décide de se séparer d’un salarié, poursuit Emilie. Ce qui ne veut pas dire que tout est permis ! Il y a évidemment des règles, un préavis à respecter, des indemnités à verser. Côté employés, ce n’est pas un drame de perdre son emploi. Ces derniers savent qu’ils vivent dans un pays à l’économie dynamique où une autre opportunité se présentera rapidement ! »
Cette philosophie rend aussi le départ moins ritualisé que dans les entreprises françaises, de l’aveu de la professionnelle RH : « En France, toute l’entreprise est au courant du départ du collaborateur deux mois à l’avance, ce qui créé un climat étrange au bureau. La première fois que j’ai vécu le départ d’un collègue en Irlande a été mémorable ! J’ai été choquée de le voir prendre son manteau et me dire : ‘’Bon, c’était mon dernier jour, on se voit au pub ?’’ Cela paraît brutal, mais c’est finalement très sain ! »
Des évolutions de carrière plus fulgurantes
Selon elle, ce cadre de travail plus souple outre-Manche ouvre davantage le champ des possibles et laisse plus de place à la créativité : « Les employeurs ne sont majoritairement pas contraints par des grilles de salaires. On s’inscrit dans un système extrêmement libéral où le diplôme et l’expérience entrent peu en ligne de compte pour octroyer une promotion ou une augmentation. Les évolutions de carrière peuvent être bien plus fulgurantes et les efforts sont plus rapidement récompensés. »
Du fait d’un faible taux d’imposition, les employeurs irlandais ont également plus de libertés sur les avantages et autres bonus : « Le plafond pour les bonus non taxés est de 1 000€ par an, ce qui offre de larges possibilités. »
Le droit du travail est aussi moins restrictif en Irlande. Là-bas, pas de semaine légale de 35h, mais un temps de travail hebdomadaire fixé par l’entreprise – en moyenne 37h ou 38h – à condition que cette limite n’excède pas les 48h de travail par semaine sur 3 semaines consécutives.
À la recherche du parfait équilibre de vie
Cette absence de contraintes pour les employeurs n’est-elle pas la porte ouverte à des abus ? Pas selon Emilie : « C’est un pari sur la bonne intelligence : ce n’est pas parce que, en tant qu’employeur, je peux licencier une personne dans l’année qui suit son embauche presque sans conséquence (sauf en cas de harcèlement) que je vais la mettre à la porte ! Se séparer d’un collaborateur doit toujours être une décision mûrement réfléchie, car elle implique des coûts de recrutement, de formation, de temps, d’opportunités manquées… Pour une entreprise qui souhaite se développer, il est contre-productif d’embaucher puis de licencier, même si c’est permis. Notre taux de turn-over est d’ailleurs le même dans tous les bureaux d’Approach People Recruitment, situés en Irlande, en France, en Espagne ou encore en Suisse… peu importe la législation. » Si ce mode de fonctionnement peut déconcerter les expatriés, ils peuvent compter sur des organismes locaux pour avoir des conseils et recueillir de bonnes pratiques.
Pour la Directrice des Ressources Humaines et des Opérations, cette façon de fonctionner présente également des avantages pour les actifs, qui sont libres de choisir leur propre équilibre de vie : « Si je veux travailler beaucoup, ce sera bien vu et je serai récompensé pour cela. Si mon but est de mettre au premier plan ma vie de famille ou me ressourcer dans les paysages magnifiques d’Irlande, c’est OK aussi. Quoi que l’on ait envie de faire, tout le monde peut inventer sa vie en Irlande, car il n’y a pas de jugement. »
Des relations RH/employés décomplexées
La dernière différence soulignée par Emilie concerne le rapport RH/collaborateurs : « Les relations sont plus décomplexées en Irlande, les RH étant perçus comme plus accessibles qu’en France. Les relations de travail sont moins cloisonnées. Peut-être que la culture du pub, informelle, accueillante, favorise les échanges. En France, les salariés voient les RH comme les personnes qui détiennent les secrets et les informations confidentielles. Elles font tampon. Ici, les RH sont des conseillers, des garde-fous, des collègues, et le terme Business Partner prend tout son sens ! »