« En Irlande, tu peux être augmenté trois fois dans l’année »

Ce premier article de notre série Recruteurs d’ailleurs nous conduit en Irlande, où, dès son embauche, le candidat connait les objectifs qu’il devra atteindre à telle échéance pour être promu et/ou augmenté.

Emilie Narcy et Laurent Girard-Claudon d'Approach People Recruitment.a
« Si on attend un entretien annuel pour aborder le sujet de la rémunération, c’est souvent trop tard, on a eu le temps de créer des frustrations. » © Approach People Recruitment

Communiquer à un candidat les objectifs à atteindre dans trois mois, six mois, un an et les augmentations prévues dès le processus de recrutement ? C’est monnaie courante en Irlande, nous expliquent Emilie Narcy et Laurent Girard-Claudon, respectivement DRH et président de Approach People Recruitment, cabinet spécialisé dans le recrutement de profils internationaux middle et top management.

« On établit des plans d’évolution professionnelle pour permettre au collaborateur de se projeter sur les mois à venir. Avec des niveaux de rémunération associés à la réalisation de chaque objectif. Ce plan est communiqué au candidat par nos recruteurs pendant l’entretien d’embauche », explique Emilie Narcy.

Ce sont les équipes RH qui fixent ces objectifs, en accord avec les managers : « Dans notre conception, le salaire fixe vient récompenser l’acquisition de nouvelles compétences, le variable vient récompenser la performance. Evidemment, les deux sont liés : plus vous devenez compétent, plus vous êtes outillé pour réussir. La performance est mesurée grâce au chiffre d’affaires et l’acquisition de compétences s’évalue par des KPI tels que le nombre de candidats rencontrés, le nombre de CV envoyés, le nombre de nouveaux clients, dans le cas de notre activité. »

La méritocratie déterminante dans la fixation de la rémunération

Une transparence appréciée par les candidats et par les collaborateurs, qui savent à chaque moment ce que l’entreprise attend d’eux. En Irlande, pas d’entretien d’évaluation annuel à la française. Mais des quaterly review, chaque trimestre, pour parler de l’avancement des projets des équipes : « Ce sont des points d’étape pour voir où l’on en est par rapport aux objectifs. Chacun sait le travail qu’il doit fournir pour aller chercher telle augmentation ou telle promotion », décrit la DRH.

Si les objectifs ne sont pas atteints parce qu’ils s’avèrent trop ambitieux, l’entreprise met au point « un plan de rattrapage pour remotiver le collaborateur » : concrètement, elle prévoit un délai supplémentaire pour lui permettre de réaliser ses objectifs. « A l’inverse, si tu surperformes, tu peux être augmenté trois fois dans l’année, explique Emilie Narcy. La méritocratie est encore plus déterminante dans la fixation de la rémunération qu’en France. La contrepartie, c’est qu’on ne peut pas se cacher : si le collaborateur n’est pas au niveau, l’entreprise lui demandera de partir. »

Avec l’un des taux de chômage les plus bas d’Europe, à 4,1% en avril 2025, le marché du travail irlandais est tel qu’on retrouve un travail aussi vite qu’on quitte une entreprise : « La concurrence est rude en termes de salaire : une personne qui ne performe pas ne sera pas augmentée et partira dans une autre entreprise », estime Laurent Girard-Claudon. Pour lui, c’est précisément ce système de plans de carrière qui contribue à fidéliser les salariés : « Avoir des perspectives d’évolution permet d’éviter qu’une routine s’installe et donne envie de rester. »

« On parle salaire avec son chef autour d’un verre »

Le bénéfice de cette communication rejaillit aussi sur la relation des employés avec leur manager : « La plupart du temps, ce que les salariés reprochent à leur manager, c’est qu’ils ne sont pas reconnus à leur juste valeur, que leur travail n’est pas considéré, observe Emilie Narcy. Or, quand un manager donne le sentiment à un membre de son équipe d’avoir un impact dans son organisation, ça lui permet de trouver du sens dans son travail, c’est beaucoup plus simple de se parler. »

Une proximité encouragée par la « culture du pub irlandaise », d’après Laurent Girard-Claudon : « La rémunération n’est pas un mystère comme en France. Il n’y a pas de problème pour parler salaire autour d’un verre avec son chef après le travail. Les managers sont proches de leurs équipes, ça va de pair avec la culture anglosaxonne du ‘’you’’, les relations sont plus horizontales, plus informelles et c’est cette bonne communication qui fait que les relations sont apaisées. Si on attend un entretien annuel pour aborder le sujet de la rémunération, c’est souvent trop tard, on a eu le temps de créer des frustrations. Je ne dis pas de prévoir un espace de négociation salariale à chaque point, car ça peut être fatiguant pour le manager, mais d’installer les conditions d’un dialogue ouvert. »

« Se baser sur une logique écrite est moins stressant pour les RH »

Côté RH, cette pratique présente également des avantages : « Se baser sur une logique écrite, que l’employé connait, est moins stressant pour les équipes RH et les managers que d’avoir un rendez-vous sanctuarisé, une fois par an, où généralement les collaborateurs ne sont pas contents de leur augmentation. On sort de la ‘’confrontation’’, on est davantage dans le dialogue. Ce système fait que les salariés ne demandent jamais une augmentation, puisqu’ils savent ce qu’ils doivent faire pour en obtenir une. Cela contribue aussi à réduire les inégalités de rémunération entre ceux qui osent demander un salaire plus élevé et ceux qui n’osent pas. Cela limite enfin les situations de jalousie », souligne le président d’Approach People Recruitment.

« Contrairement à la France, il y a assez peu de grilles salariales en Irlande, témoigne Emilie Narcy. Donc, l’équité, elle passe par la transparence : il y a aujourd’hui beaucoup plus d’offres d’emploi qui mentionnent le salaire en Irlande qu’en France, même si les choses vont devoir changer avec la future loi. » « C’est un modèle adapté à la personnalisation des relations de travail, complète Laurent Girard-Claudon. Les collaborateurs n’ont pas tous les mêmes attentes et sortir d’une grille salariale uniforme répond à cette individualisation de la rémunération. »

Peut-on imaginer voir ces plans de carrière traverser la Manche ? Ce n’est pas impossible et c’est même déjà le cas dans une poignée d’entreprises tricolores, constate la DRH : « Certains de nos clients français se sont inspirés du modèle irlandais et commencent à inscrire, dans leur proposition d’embauche, des objectifs à atteindre au bout de six mois qui conditionnent les augmentations. Je pense que si la logique est impulsée par la direction, on peut tout à fait la transposer en France ! »

Bien s’équiper pour bien recruter