Inégalités professionnelles femmes-hommes : que nous apprend Claudia Goldin, prix Nobel d’Économie 2023 ?

La chercheuse américaine livre des clés de compréhension des inégalités de genre actuelles dans le monde du travail. Pour mieux les combattre.

Les inégalités salariales se creusent au moment de l'arrivée du premier enfant dans le couple.
Les inégalités salariales se creusent au moment de l'arrivée du premier enfant dans le couple. © YummyBuum/stock adobe.com

Elle est la première femme à recevoir en solo le prix Nobel d’Économie. Le symbole est beau pour Claudia Goldin, qui a consacré l’essentiel de ses travaux à la place des femmes dans le monde du travail au cours des 200 dernières années.

Le président du comité pour le prix en sciences économiques, Jakob Svensson, lui a rendu hommage en ces termes, le 9 octobre 2023 : « Comprendre le rôle des femmes sur le marché du travail est capital pour notre société. Grâce aux recherches novatrices de Claudia Goldin, nous en savons beaucoup plus sur les facteurs à l’origine des différentiels de salaires et sur les freins qu’il faudra affronter à l’avenir. »

En dépit d’avancées non négligeables, favorisées par des lois anti-discrimination, l’évolution des mentalités sur la place des femmes dans la société, la formation des managers et des RH aux discriminations liées au genre, les femmes françaises gagnent, en moyenne, 24% de moins que les hommes. Soit 500 euros net de moins qu’eux par mois, selon l’Observatoire des inégalités.

Que nous apprennent précisément les travaux de la chercheuse américaine sur les origines de ces inégalités professionnelles ?

Le « greedy work » ou la prime à la disponibilité

Par cette expression, que l’on peut traduire par « travail cupide », la professeure d’économie à Harvard désigne « un travail qui rémunère de manière disproportionnée quelqu’un qui travaille un plus grand nombre d’heures que quelqu’un qui a moins de contrôle sur ses heures ».

Il se trouve que celui qui ne compte pas ses heures est, bien souvent, un homme, quand la personne qui doit faire preuve de flexibilité pour jongler avec ses impératifs personnels est, généralement, une femme.

« Il peut s’agir d’un travail urgent, d’un client exigeant qui appelle à 23 heures ou d’un superviseur qui demande au travailleur de renoncer à un jour de vacances pour un projet. L’entreprise a estimé que le paiement supplémentaire valait la peine pour que le travail soit effectué sur un plus grand nombre d’heures, à une heure particulière ou pendant des heures irrégulières », explique Claudia Goldin, dans une interview à la Harvard Business Review. « On peut parler de travail cupide, lorsqu’une personne qui travaille 70h par semaine, parfois en soirée ou le week-end, gagne bien plus que deux fois le salaire horaire d’une personne qui travaille 35h hebdomadaires. »

Ce phénomène, décrit dans son dernier ouvrage Career and Family: Women’s Century-Long Journey Toward Equity, a des effets néfastes sur la rémunération et la carrière des femmes, plus nombreuses à dégager du temps pour s’occuper de leurs enfants ou d’un parent en perte d’autonomie. : « La rémunération peut être une raison insuffisante pour certains travailleurs (disons les femmes) de renoncer à leur temps ou à leur vie de famille. Mais la rémunération peut être suffisante pour que d’autres travailleurs (les hommes, par exemple) le fassent. Dans ces conditions, les femmes se tournent vers une entreprise aux horaires moins contraignants ou quittent le marché du travail. »

Le poids de l’éducation

Historiquement, les différences de trajectoires professionnelles entre les hommes et les femmes s’expliquent en grande partie par des différences d’éducation et de choix professionnels. « Au cours des dernières années, les femmes ont été de plus en plus nombreuses à étudier, et, dans les pays à revenu élevés, elles ont généralement un niveau d’éducation supérieur à celui des hommes », rapporte le jury du Prix Nobel.

De 1790 à nos jours, la participation des femmes au marché du travail suit une courbe en forme d’U, observe la chercheuse américaine : très actives dans les activités agricoles (souvent localisées à proximité du foyer, donc plus facilement compatible avec des occupations familiales), elles se retirent petit à petit de la vie active au moment de la Révolution industrielle du XIXe siècle. Puis réintègrent la sphère professionnelle au moment de l’essor des services, à la faveur du développement de la pilule contraceptive, de leur accès facilité aux études et de la naissance de nouvelles aspirations.

Claudia Goldin insiste aussi sur l’importance des modèles féminins sur les plans de carrière des jeunes filles. Elle avance que la plupart d’entre elles, dans les années 1950, avaient pour exemple une mère au foyer et que, par conséquent, elles se sont conformées à ce schéma.

Elle rappelle, en outre, que certaines lois interdisaient à des femmes mariées d’occuper certains emplois, tels que professeure ou employée de bureau.

La maternité, principal vecteur d’inégalité

Davantage que l’éducation ou les choix professionnels, c’est aujourd’hui la maternité qui explique en grande partie les écarts salariaux femmes-hommes dans les pays à hauts revenus. Claudia Goldin a mis en exergue que les différentiels de salaire s’accroissaient entre les hommes et les femmes au moment de la naissance du premier enfant. Et que cet écart se maintenait ensuite, au retour de congé maternité des femmes, y compris à diplôme et poste équivalents à ceux d’un homme.

Selon elle, ces effets s’expliquent principalement par le fait que la disponibilité et la flexibilité horaire soient extrêmement valorisées par les employeurs.

Bien s’équiper pour bien recruter