« Un DRH doit réussir à faire cohabiter temps court et temps long »

Attractivité des métiers, féminisation, réduction du turnover… Sophie Postic, DRH de Securitas France, revient sur les enjeux 2026 du géant de la sécurité en matière de recrutement et de RH.

Sophie Postric, DRH Securitas France
Avant de rejoindre Securitas, Sophie Postric a été DRH chez Carrefour puis chez Adecco. © Hellowork

Quelles sont vos prévisions de recrutement pour la fin d’année ?

Sophie Postic : Nous recrutons environ 3 000 personnes par an et nous n’avons pas prévu de réduire la voilure dans les prochains mois. La spécificité de notre industrie fait que tant que nous avons des contrats, nous avons des collaborateurs à faire travailler et donc à recruter. Pour autant, nous sommes sur un secteur qui fait face à deux grandes transformations qui ont des conséquences en termes de recrutement. Tout d’abord, de plus en plus de clients nous demandent des agents de sécurité plus capés ou bilingues voire trilingues, ce qui n’était pas demandé avant. C’est le cas de clients internationaux par exemple sur les data centers, dont la sécurité nécessite de recruter des profils un peu différents. Pour nous, cela implique de proposer des modes de candidature beaucoup plus réactifs, où vous avez une réponse sous 72 heures et des échanges avec votre recruteur par WhatsApp ou par SMS. On ne se contente pas de notre ATS, on rentre tout de suite en communication avec les collaborateurs potentiels, selon des modes beaucoup plus réactifs et moins formels. Tout ça nous permet de cibler une clientèle de candidats différents, plus jeune.

Quelle est la deuxième transformation dont vous parlez ?

Comme dans la banque ou la grande distribution ces 20 dernières années, aujourd’hui, le métier de la sécurité est complètement disrupté. La tension sur le marché du travail qu’on connait n’est pas forcément nouvelle, mais on ne l’a jamais connue avec une telle intensité et surtout une telle durée. En tant qu’entreprise « people-centric », on pâtit vraiment de cette tension sur le marché du travail. A cela s’ajoute l’arrivée de la technologie. Jusque-là, face aux besoins de sécurité de nos clients, vous aviez une seule réponse qui était d’avoir des agents de sécurité. Maintenant, vous avez une réponse multiple, avec par exemple des contrôles d’accès électroniques, la détection incendie, la détection d’intrusion à distance… La technologie n’est pas forcément nouvelle, mais le fait qu’elle soit éprouvée et fiable, ça, c’est nouveau. Enfin, la tension sur les prix. L’instabilité géopolitique actuelle fait que les entreprises veulent réduire leur exposition au coût, ce qui crée une tension sur les prix de la part de nos clients. Tout cela nous conduit à revoir notre proposition de valeur mais aussi nos organisations.

En tant que DRH, comment pilotez-vous cette transformation ?

Quand on est challengé comme ça par le marché, quand il y a une tension aussi forte sur les prix, nous devons réfléchir à des designs d’organisation qui nous permettent d’être plus flexibles et demander aux gens de travailler autrement. Sur un secteur où les façons de travailler sont assez ancestrales, ce qu’on impulse, c’est une façon de travailler beaucoup plus transverse. Sur la sécurité électronique par exemple, nous sommes en train de mettre en place du « peer coaching », du coaching entre pairs, pour tous nos directeurs d’agence. En parallèle, nous sommes en train de créer des communautés de travail, qui rassemblent à la fois des directions d’agence, des spécialistes de la sécurité électronique, mais aussi des commerciaux pour construire notre pitch vis-à-vis de nos clients différemment. Nous avons aussi doublé tous les postes de direction d’agence, l’un se consacrant majoritairement aux clients, l’autre au management des collaborateurs. Vous ne pouvez pas avoir quelqu’un qui gère tout. Enfin, début 2025, nous avons aussi créé une école de formation au management, qui a déjà formé 90% de nos managers.

En termes de recrutement, quelle est votre priorité numéro un ?

Ma priorité, c’est de baisser le turnover. Face à la tension que nous connaissons sur le marché de l’emploi, si je continue à dire que ma priorité, c’est le recrutement, je risque de continuer à alimenter une baignoire percée. Donc, mon sujet, il n’est pas tant sur le recrutement, c’est la réduction du turnover.

Qu’avez-vous mis en place pour ça ? Misez-vous sur la mobilité interne ?

C’est vrai que nous sommes encore l’une des seules industries où vous pouvez profiter de la promotion interne. Chez Securitas, vous pouvez débuter en tant qu’agent de sécurité et finir votre carrière comme directeur régional. Mais quand on commence un métier, avant de se demander quelles sont les possibilités d’évolution, ce qui intéresse, c’est comment je vis mon métier au quotidien et comment il me rémunère. C’est pourquoi nous avons mis en place ce qu’on a appelé « un pacte social », qui comprend un accord sur le temps de travail, avec une rémunération au-delà de la rémunération conventionnelle. Nous avons aussi une « bourse aux vacations », qui permet aux collaborateurs, dans une certaine mesure, de choisir des vacations complémentaires. Grâce à ces deux éléments, vous avez la possibilité d’influer sur vos horaires de travail et votre volume de travail, et par conséquent sur votre rémunération.

Mon ambition, c’est d’aller encore plus loin, avec une part plus importante des vacations qui soit gérée par cette bourse aux vacations. La seule limite à ça, c’est la transférabilité des compétences. Selon les sites à surveiller (supermarché, grande entreprise, site Seveso, data center…), vous n’avez pas les mêmes compétences et celles-ci ne sont pas transférables du lundi pour le mardi. Sans aller jusqu’à 100% du temps de travail, si je peux doubler la proportion soumise à la bourse aux vacations, c’est une promesse employeur qui est à la fois différenciante vis-à-vis de la concurrence et surtout réelle pour les collaborateurs.

Avez-vous des actions spécifiquement à destination de la Gen Z ?

Toutes les actions dont on vient de parler permettent de répondre à ça, que ce soit l’école du management ou la bourse aux vacations. On sait que la génération Z est plus friande de garder un certain équilibre entre vie pro et vie perso. Avec cet outil, on leur offre cette possibilité. Si vous ne voulez pas faire d’heures sup dans les métiers de la sécurité, vous faites, en trois vacations de 12 heures, votre quota de travail hebdomadaire. Et grâce à l’école du management, les collaborateurs sont dans un environnement managérial sain et constructif.

La génération Z veut aussi un métier qui a du sens, ce qui est le cas du métier de la sécurité. On ne le valorise pas assez, les clients ne le valorisent pas assez, les médias ne le valorisent pas assez, mais on fait un métier de service public. Un métier qui a du sens, une vraie utilité et contribue au continuum de la sécurité en France. Sans oublier que c’est une activité sans impact négatif sur le dérèglement climatique et c’est toujours un plus pour la génération Z.

Comment expliquez-vous ce déficit d’attractivité ?

Securitas a une place à part dans la sécurité : nous sommes un groupe suédois, présent dans 44 pays, spécialisé dans la sécurité depuis 90 ans, et bénéficiant d’une image sérieuse et positive. En France, dans la sécurité, vous avez 13 000 entreprises, dont un nombre incalculable ne sont pas sérieuses. Quand je suis arrivée comme DRH dans cette entreprise et que je suis allée voir les équipes sur le terrain à travers la France, une des premières choses qu’on m’a répondues quand je demandais aux gens pourquoi ils restaient, c’était qu’ici on payait à l’heure, pas en retard. C’est la base pourtant ! On pâtit du fait que le milieu de la sécurité, contrairement à tous les autres, soit encore totalement atomisé. Pour pouvoir gagner en notoriété, en sérieux, il faudrait qu’il se concentre, que le secteur repose sur un jeu concurrentiel sain qui se traduise par une vraie valeur ajoutée pour les agents.

Comment travaillez-vous votre marque employeur ?

Nous sommes présents sur les réseaux sociaux professionnels mais aussi les plateformes plus récréatives comme TikTok ou Instagram. Ce qu’on met en avant, c’est d’abord la diversité de nos métiers mais aussi la féminisation. Dans le milieu de la sécurité, vous vous attendez toujours à voir un homme dans son treillis, alors que nous avons aussi beaucoup d’exemples de carrières féminines. D’une façon pragmatique, face aux tensions du marché de l’emploi, si la sécurité continue à ne se penser que comme un milieu masculin, vous écartez 50% de la population possible. C’est contre-productif ! On travaille donc beaucoup là-dessus et je voudrais qu’on arrive à franchir un palier sur ce sujet. Nous comptons actuellement 15% de femmes. Il faut qu’on arrive à accrocher les candidates qui aujourd’hui, quand elles regardent nos offres d’emploi, zappent en se disant « non, ça, ce n’est pas pour moi ». Nous avons déjà féminisé tous les libellés sur les offres d’emploi, les visuels, mais il faut aller encore plus loin.

Où en êtes-vous sur le sujet de la transparence des salaires ?

Pour les agents de sécurité, ce n’est pas très compliqué : ils ont une rémunération qui est dépendante de leur coefficient et qui est gérée en branche, cette rémunération est donc complètement transparente. Sur les postes du siège (10% des effectifs), ce n’est pas la même chose. Aujourd’hui, les rémunérations du siège ne sont pas transparentes dans le sens où elles ne sont pas publiées. Mais elles le seront puisqu’on a une stratégie « Comp & Ben » (compensation & benefits). Nous avons amorcé un projet de cotation de fonctions, selon le poids de chacune dans l’organisation, pour pouvoir les comparer et in fine avoir une politique de rémunération qui tienne la route. Ce travail de cotation de fonction est pratiquement terminé.

Avant de rejoindre Securitas, vous avez été DRH chez Carrefour puis chez Adecco. Comment avez-vous vu le métier évoluer ces 20 dernières années ?

Ce qui me marque tous les jours, c’est combien le rythme a changé. Et le covid n’a fait qu’accentuer ça. Pardon de dire ça comme ça, mais il y a 20 ans, vous aviez le temps d’aller déjeuner le midi. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. On est dans une essoreuse en permanence, et ça ne concerne pas seulement la fonction de DRH. Les rythmes de décision, les cycles budgétaires des entreprises se sont énormément raccourcis, ce qui fait que quand vous devez mettre en place un plan d’action, vous êtes redevable des résultats dans les deux mois qui viennent. On n’a plus le temps de faire les choses et en tant que DRH, c’est extrêmement problématique. Une transformation comme celle que l’on mène actuellement chez Securitas, qui est une transformation organisationnelle mais aussi culturelle, ça ne se fait pas en deux mois ! Je trouve qu’aujourd’hui, la difficulté principale d’un DRH, c’est de faire cohabiter le temps court et le temps long. C’est un constat que tous les DRH font mais que finalement aucun de nous n’a vraiment pris à bras le corps. Si on ne s’en saisit pas, personne ne le fera à notre place. En tant que DRH, nous devons prendre le recul et le temps nécessaire pour réfléchir et essayer de trouver le meilleur équilibre.

Bien s’équiper pour bien recruter