« Les Français sont plus engagés vis-à-vis de leur équipe que de leur entreprise »

Les Français, désengagés au travail ? Pas vraiment si on regarde les résultats des travaux de l’Observatoire de l’Engagement.

L'équipe est le collectif de travail dans laquelle les collaborateurs s'engagent le plus.
L'équipe est le collectif de travail dans laquelle les collaborateurs s'engagent le plus. © fizkes/stock adobe.com

« La grande flemme : comment la France perd le goût de l’effort », « Démission silencieuse : comment redonner du sens à l’effort » : ces quelques titres glanés dans la presse donnent une image peu glorieuse de l’investissement des salariés français au travail. Mais qu’en est-il réellement ?

Co-fondateur de l’Observatoire de l’Engagement, un think tank créé il y a huit ans, Geoffrey Carpentier, porte un regard bien différent sur le sujet, à la lumière d’un double travail : une enquête OpinionWay et des entretiens qualitatifs, menés avec l’université Paris-Dauphine, auprès de dirigeants d’entreprise.

Les salariés ne sont pas si désengagés que cela au travail

« Notre enquête montre que 58% des actifs sont engagés dans leur travail. On est loin des chiffres qu’on peut lire par ailleurs. En réalité, le Big Quit et le quiet quitting nous viennent des États-Unis et ont un retentissement moins important en France, car nous n’avons ni le même rapport au travail ni les mêmes mobilités géographiques et professionnelles, qui sont bien plus importantes outre-Atlantique. »

La Dares a en effet montré, dans une enquête d’octobre 2022, que le niveau de démissions était, certes élevé, en France, mais bien en deçà de celui de 2008, lors de la crise des subprimes.

L’implication des salariés français est favorisée par un climat de travail propice, selon l’enquête de l’Observatoire : « Nous nous sommes basés sur les travaux de William Kahn, qui distingue trois ressorts de l’engagement : le sens au travail, la disponibilité mentale et la sécurité, notamment psychologique. » Sur ces trois volets, les voyants sont au vert : 8 actifs sur 10 jugent avoir la disponibilité mentale nécessaire pour s’engager et 7 actifs sur 10 estiment que le projet porté par leur entreprise fait sens, particulièrement dans les PME. En outre, 81% du panel se sent en sécurité dans son environnement de travail.

Mais cet engagement prend des formes différentes…

Si, depuis sa création, l’Observatoire de l’Engagement note un niveau d’engagement constant chez les actifs, il constate que cette implication change de nature. L’engagement d’un collaborateur vis-à-vis de son équipe est désormais plus important (83% des sondés, et même 95% pour les managers, et 98% pour les employés du secteur public) que vis-à-vis de son entreprise (78%).

De l’avis de Geoffrey Carpentier, « ce résultat n’a rien d’étonnant. Durant la crise, le collectif de proximité est celui qui a vraiment compté. Si l’entreprise a joué son rôle dans la descente d’informations, notamment juridiques et réglementaires, c’est le manager de proximité qui était présent au quotidien, en soutien de son équipe travaillant à distance, lors des points d’équipe, du café du matin… ».

« À la faveur des confinements et de l’accélération de l’hybridation du travail, le manager de proximité a retrouvé ses lettres de noblesse, poursuit-il. Longtemps, il a été entre l’enclume et le marteau, entre les injonctions de la direction et les attentes de leurs équipes. Il ressort de la crise valorisé et encore plus engagé que les actifs non-managers. »

Les liens privilégiés qui se nouent au sein des petits collectifs de travail amènent d’ailleurs certaines entreprises à réfléchir au moyen de développer cet engagement en créant un sentiment d’appartenance à plusieurs collectifs choisis : une communauté de collaborateurs exerçant le même métier, un club regroupant ses membres autour d’une passion commune, un projet transverse associant diverses équipes, un groupe de managers partageant de bonnes pratiques…

Et les attentes des collaborateurs vis-à-vis de leur employeur sont plus fortes qu’avant

Si les actifs sont prêts à s’investir dans leur entreprise, ils ne le font plus à n’importe quel prix. Leurs attentes vis-à-vis de leur employeur sont de plus en plus exigeantes et nécessitent des réponses de plus en plus personnalisées, comme le note Geoffrey Carpentier : « Les salariés aspirent à un travail plus flexible et à une plus grande autonomie. Beaucoup d’entreprises ne voulaient pas mettre en œuvre le télétravail avant la crise sanitaire. Face à l’adversité, elles ont dû s’y mettre. La plupart des entreprises s’y sont mises avec un bon niveau de performance et les collaborateurs se sont souvent bien adaptés. La contrepartie de cela, et c’est bien normal, c’est qu’on leur a donné plus d’autonomie et de marge de manœuvre. Aujourd’hui, ils se disent qu’il ne faut pas en rester à cette réponse circonstanciée, mais consacrer du temps à repenser le travail pour ancrer cette flexibilité. »

Le principal défi pour les entreprises est donc aujourd’hui de réussir à maintenir le collectif de travail tout en répondant à des aspirations de plus en plus individuelles.

Engagement : quels défis pour les entreprises ?

Geoffrey Carpentier liste deux ressorts invariants de l’engagement pour l’individu :

  • Est-ce que le travail que je fais a du sens pour moi et pour les autres et est-ce que ma contribution est reconnue ?
  • Est-ce que je prends du plaisir à faire mon travail et à m’inscrire dans une organisation de travail ?

Les entreprises doivent relever plusieurs défis pour permettre à leurs collaborateurs de répondre par l’affirmative à ces questionnements :

– Développer l’autonomie et la responsabilisation. « Aujourd’hui, le rapport des gens à leur travail est plus contractuel : si j’apporte quelque chose, j’estime avoir droit à quelque chose en retour. Les aînés composaient avec les écarts, les jeunes moins. Pour les satisfaire, il faut leur donner des marges de manœuvre pour qu’ils créent eux-mêmes du sens au travail, pour qu’ils créent du lien entre eux. Les entreprises très verticales, où les décisions ne se prennent qu’au plus haut sommet, vont à l’encontre de ce qu’attendent les collaborateurs de la part de leur entreprise. »

Pallier le risque d’épuisement en entreprise. Pandémie, conflit en Ukraine, hausse des prix… les actifs n’ont cessé de faire preuve d’adaptation et de résilience dans une période compliquée. Mais, attention au risque de burn out. « C’est la maladie des surengagés. Je vois beaucoup de fatigue en ce moment dans les entreprises, décrit Geoffrey Carpentier. Le cycle de vie d’une organisation, comme celui d’un individu, ne peut pas être fait que de temps forts. Il faut des temps faibles, non seulement pour respirer, mais aussi pour apprendre sur soi. Il faut prendre ce temps de la modélisation, tirer le bilan de ce qu’on a vécu ensemble, car sinon, non seulement, l’entreprise n’avancera pas, mais le risque d’épuisement des collaborateurs deviendra réel. »

Pour répondre à ces enjeux, chaque entreprise doit remettre sur la table la question de l’organisation du travail et du rôle du management en partant des usages : « Il faut penser en se basant sur le terrain : quelles tâches peut-on réaliser à distance ? Lesquelles nécessitent du présentiel et du temps collectif commun ? C’est à partir de cette réflexion sur les usages que les organisations devront repenser l’organisation du travail, de leurs espaces de travail et de leurs modes de management. »

Bien s’équiper pour bien recruter