Feedback d’entretien : l’oubli qui peut coûter cher aux entreprises
Que vous poursuiviez ou non le processus avec le candidat, faire un feedback après un entretien d’embauche est important. Alexandra Gannat, responsable recrutement du Groupe Casino, nous explique pourquoi.

Après un entretien, donner aux candidats un retour ne devrait plus être une option. En plus d’être favorable à l’expérience candidat, le feedback, même lorsque le processus de recrutement s’arrête, donne une image positive de l’entreprise et permet de se constituer un vivier de candidats facilement actionnable.
Et parce que « les candidats investissent du temps et de l’énergie pour un entretien, allant de quelques heures à plusieurs jours de préparation, nous nous devons de récompenser ce travail. Donc un feedback, c’est comme un sourire : cela peut changer la journée de quelqu’un », déclare Alexandra Gannat, responsable recrutement et intégration pour le Groupe Casino. Elle nous livre ses conseils pour faire de bons retours aux candidats.
C’est quoi, un bon feedback ?
Il existe deux types de feedback : le retour binaire (un « oui » ou un « non »), et le feedback construit à partir d’éléments factuels, qui permettent au candidat de ressortir grandi de l’expérience.
C’est ce second type qui fait toute la différence. « Donner un retour construit, même en cas de refus, c’est respecter le temps du candidat, son investissement, pour éviter les incertitudes génératrices de frustration », note Alexandra Gannat.
Au-delà de l’aspect humain, le feedback est aussi un enjeu pour l’image employeur : « un candidat frustré peut le faire savoir par bouche-à-oreille, via des avis en ligne ou des commentaires sur les réseaux. Dans les grandes organisations, le feedback est un terrain rare, ce qui peut faire la différence vis-à-vis des concurrents. À l’inverse, un bon feedback permet de construire un vivier de candidats qui auront envie de revenir. »
Où en est-on aujourd’hui dans la pratique du feedback ?
Si beaucoup de recruteurs adhèrent au principe du feedback, dans les faits, peu s’y tiennent. « Fin 2024, j’étais moi-même à la recherche d’un emploi. Sur une centaine de candidatures envoyées, une vingtaine d’entreprises ne m’ont jamais donné le moindre retour, une soixantaine m’ont envoyé un mail automatique, et après une vingtaine d’entretiens, seulement la moitié ont donné lieu à un retour personnalisé », raconte l’experte.
Selon son expérience, seule une entreprise sur dix a pris le temps de personnaliser son retour. « En France, le feedback personnalisé reste l’exception. Certaines start-up assurent un retour sous 48 heures, mais les entreprises traditionnelles sont encore très en retard. »
Quels sont les freins à la pratique du feedback ?
La peur du conflit
« Selon moi, la première raison est que les managers ne donnent pas forcément de retour factuel, et le recruteur se retrouve à devoir improviser avec assez peu de matière. Cela génère la crainte d’une mauvaise réaction du candidat. La peur du conflit étant un frein, les recruteurs préfèrent tout simplement ne rien dire », note Alexandra Gannat.
Le manque de temps
« Les équipes recrutement sont souvent surchargées », explique-t-elle. Dans ce contexte, offrir un feedback de qualité est perçu comme une tâche complexe et énergivore, d’autant plus sans matière factuelle.
Le déficit de formation
Enfin, la responsable recrutement du groupe Casino met en lumière le manque de formation des recruteurs à cette pratique : « on forme les jeunes recruteurs aux outils, aux briefs managers, aux préqualifications… mais jamais à la bonne façon de construire un retour respectueux et utile. »
Et même si la formation représente un budget, Alexandra Gannat rappelle qu’« un bon feedback personnalisé sert l’expérience candidat, et ainsi l’image de l’entreprise, même dans des secteurs avec une mauvaise réputation ».
Cet enjeu de formation continu dont doivent se saisir les entreprises doit prendre un cadre clair : « il est essentiel d’auditer ses processus et de définir une méthode claire, structurée et rigoureuse, incluant notamment un cadre précis pour le refus de candidatures ou l’onboarding. Il faut ensuite que ces bonnes pratiques soient transmises et intégrées par les nouveaux arrivants. »
Comment structurer un bon feedback ?
« Un bon feedback doit être factuel, précis et constructif. Il faut identifier ce qui n’a pas fonctionné par rapport aux attentes du poste et expliquer au candidat ce qu’il peut améliorer pour la suite », explique Alexandra Gannat.
À titre d’exemple, « j’ai récemment expliqué à un candidat qu’il avait les bonnes compétences, mais qu’il n’avait pas bien cerné les enjeux du poste et n’avait pas réussi à convaincre. Il m’a chaleureusement remerciée, car il a pu comprendre ce refus et savait désormais sur quoi travailler. » Autre exemple partagé par notre experte : « en préqualification, si j’ai un doute, je vais toujours en parler au candidat. S’il ne maîtrise pas tout à fait tel outil essentiel, je vais le prévenir qu’il est possible que ça coince à la prochaine étape. De cette façon, le candidat est préparé à cette éventualité. » En somme, il s’agit de faire preuve de transparence et d’honnêteté.
En conclusion, « je vais toujours remercier le candidat pour son temps, et j’ajoute souvent une ouverture en l’invitant à regarder nos offres et à me recontacter à l’occasion » précise-t-elle.
Les erreurs à ne plus commettre, selon notre experte :
• Envoyer un mail automatisé à un candidat que vous avez rencontré ;
• Manquer de faits ou être flou ;
• Faire preuve de condescendance ;
• Donner de faux espoirs.
« Une dernière erreur est de dire à un candidat “votre candidature est très bonne, mais nous avons choisi quelqu’un d’autre”, sans la moindre explication factuelle. Ce type de retour laisse la personne frustrée, avec un goût amer, voire un sentiment d’injustice. »
Un feedback oral ou écrit ?
Pour un refus fait à partir du CV, Alexandra Gannat privilégie le format écrit. Toutefois, « dès que j’ai interagi avec une personne, je fais systématiquement un retour à l’oral, par téléphone. Cela humanise l’échange et la relation, permet de répondre aux questions, mais aussi de se positionner en coach pour les candidats. »
Une semaine ? Un mois ? Quel est le bon timing ?
Pour Alexandra Gannat, un feedback doit idéalement être donné dans la semaine qui suit l’entretien. « Et surtout, lorsqu’un poste est gelé, j’envoie un SMS pour prévenir les candidats, avant de revenir vers eux plus tard. Un petit message de suivi, même court, n’est pas du luxe. Le pire, c’est le silence. »
Le conseil ultime aux recruteurs
« Mettez-vous à la place du candidat. Beaucoup de managers n’ont pas été candidats depuis 20 ou 30 ans, et ne mesurent pas la difficulté du marché actuel. Or chacun déteste ne pas avoir de retour. Alors pourquoi infliger cela aux autres ? », conclut-elle.
Le feedback ne doit pas être vu comme une tâche accessoire. Il est un acte respectueux, empathique et humain.