Entreprises : comment anticiper le futur du travail (même sans boule de cristal)
Penser à demain permet sans aucun doute de mieux définir ses priorités RH.

Nul besoin de savoir tirer les cartes du tarot ou d’être auteur de SF pour imaginer le travail de demain ! Et cet exercice de projection se révèle particulièrement intéressant pour les entreprises : comment voudriez-vous que le travail soit dans le futur ? Quels sont les scénarios plausibles d’évolution du monde du travail ? Et comment pouvez-vous agir pour, dès aujourd’hui, préparer ces transformations à votre échelle ?
Pourquoi s’intéresser au futur du travail ?
Dans un monde où tout s’accélère, observer les tendances au long cours permet de faire des choix plus avisés pour pallier certaines incertitudes (écologiques, technologiques, politiques, économiques, sociales…) : « La prospective donne des billes aux acteurs de l’emploi pour anticiper leurs besoins en main-d’œuvre, ajuster leurs offres de formation, renforcer l’attractivité de certains métiers ou encore faciliter les parcours de reconversion professionnelle », explique Hélène Garner, directrice du département Travail Emploi chez France Stratégie.
Cette logique permet aussi de réfléchir à l’impact des transitions écologiques, démographiques, technologiques sur la qualité de vie et des conditions de travail au sein de l’entreprise, souligne Aïda Ponce Del Castillo, juriste spécialiste des conditions de travail et membre de l’institut syndical européen (ETUI) : « L’approche prospective pousse les entreprises et les syndicats à innover, à sortir du cadre, pour inventer un futur désirable du travail et, in fine, permettre aux travailleurs de réaliser leurs tâches dans les meilleures conditions possibles. »
L’exercice a enfin le mérite de faciliter le dialogue entre les différentes parties prenantes : « La démarche est également intéressante pour les petites entreprises, qui ont moins de ressources et de temps à consacrer à ce sujet : des kits QVCT, tels que ceux proposés par l’Université de la pluralité, permettent d’amorcer une discussion sur le travail entre dirigeants, managers, RH, partenaires sociaux, collaborateurs, estime Matthieu Pavageau, directeur scientifique et technique à l’Anact. Les inégalités en matière de QVCT pourraient être creusées du fait des évolutions futures, il est donc intéressant de les anticiper au mieux en raisonnant par métier ou par secteur. Et de prendre le temps de définir à quelles conditions on sera satisfait du travail qu’on réalise, collectivement, au sein de l’entreprise. »
Comment imaginer le travail de demain ?
Se baser sur ce que l’on sait
Une analyse fine des données actuelles permet de dessiner les contours du monde de demain. C’est la tâche à laquelle s’est attelée France Stratégie, l’héritier du Commissariat au Plan. « Pour prédire les besoins de recrutement d’ici 2030, on s’appuie sur les statistiques fournies par des organismes comme l’Insee ou la Dares et sur les grandes tendances à l’œuvre, telles que les départs en fin de carrière, les nouvelles arrivées sur le marché du travail, l’impact de l’intelligence artificielle sur les métiers, la réindustrialisation du pays, la transition écologiques », explique Hélène Garner.
Des indicateurs qui permettent de mesurer l’écart entre l’offre et la demande pour 83 métiers à horizon 2030 : « On observe notamment que 9 postes à pourvoir sur 10 d’ici une dizaine d’années résulteront de départs à la retraite. Les principales tensions de recrutement concernent la profession d’agent d’entretien, car la moyenne d’âge de ces travailleurs est élevée et que peu de jeunes s’orientent vers cette carrière. Les difficultés de recrutement devraient également s’accentuer sur des métiers déjà en tension, comme ceux de la santé et de la propreté, les fonctions de cadres (administratifs, commerciaux, informaticiens, médecins…) ou encore les ouvriers (bâtiment, rénovation énergétique…) », liste Hélène Garner.
« Se tourner vers l’avenir est une manière d’agir au présent », poursuit-elle. Comment ? Notamment en améliorant les conditions de travail et en augmentant les salaires de certains métiers, en redéfinissant ses politiques de formation continue et de mobilité interne, en ouvrant ses recrutements à des profils plus variés ou bien en luttant contre les stéréotypes genrés associés à certaines professions.
Passer par la fiction
La difficulté est que le futur réserve son lot de surprises (c’est même cela qui le rend passionnant !). Il faut d’abord accepter d’être bousculé, challengé, troublé pour être en mesure de faire face aux changements, y compris les plus radicaux. Et, pour ne pas rester spectateurs, Daniel Kaplan, prospectiviste et cofondateur de l’Université des pluralités nous invite à construire des futurs plausibles du travail.
Avec une équipe pluridisciplinaire, il a imaginé douze entreprises fictionnelles de 2050, chacune est en proie à des problématiques différentes en fonction de son environnement, de son secteur d’activité, de son mode de gouvernance.
Mais deux constantes se dégagent de ces différents scénarios, révèle Daniel Kaplan :
« – Un phénomène de réencastrement des entreprises dans la société. On sort de plusieurs décennies où les entreprises se sont extraites de la société en cherchant avant tout à maximiser leurs profits. Cette position n’est plus tenable face aux urgences sociales et écologiques. Or la tendance est compliquée à inverser, car il faut imaginer de nouveaux dispositifs de gouvernance, de prise de décision et de dialogue au sein de l’entreprise.
- Une rupture profonde par rapport aux repères qui régissaient les relations de travail : subordination, exclusivité, revenu, temps de travail, carrière, et qui sont alors remis en question. »
Penser le changement ensemble pour ne pas le subir
Quelle que soit la méthode choisie pour prioriser vos actions RH, consulter les travaux prospectivistes permet d’avoir « un coup d’avance et de ne pas être constamment dans une logique de réaction, d’adaptation, souligne Matthieu Pavageau. C’est maintenant qu’il faut construire avant d’être mis au pied du mur et de subir les crises de plein fouet. »
Pour ne pas rester lettre morte, cette réflexion doit associer le plus large éventail d’acteurs, estime Aïda Ponce Del Castillo : « Le futur de l’entreprise ne doit pas être déterminé par quatre top managers enfermé dans un bureau. Il faut faire de la prospective de manière participative et inciter collaborateurs, syndicats, chefs d’entreprise et managers à avoir un regard plus large, qui englobe la complexité du monde. »
L’exercice nécessite aussi des règles du jeu claires : « Les participants doivent s’entendre sur la méthode, précise Matthieu Pavageau : quelles infos veut-on aller chercher ? Par quels moyens ? Qui impliquer ? Quel format de restitution des discussions ? »