« Comment notre entreprise a tourné sans chef pendant trois mois »
Marie Vaillant et Quentin Audrain, dirigeants de Yemanja, ont laissé leur entreprise s’organiser sans eux pendant trois mois. Ils racontent.
Le pari était osé : début août 2024, Marie Vaillant et Quentin Audrain, les fondateurs de Yemanja ont décidé de s’absenter de leur entreprise pour une durée de trois mois, laissant leurs équipes en totale autonomie.
A l’origine de cette aventure, deux besoins. Celui de « prendre de la hauteur, de couper pour revenir avec des idées fraîches » et puis celui, plus personnel, de « prendre du temps pour soi et ses proches », résume le duo à la tête de l’entreprise de conception et d’aménagement de bureaux. « Pour que l’équipe éprouve pleinement la confiance qu’on leur accordait, c’était nécessaire qu’on parte tous les deux, en même temps, et pour une durée assez longue », complète Marie.
« L’autonomie et la responsabilisation font partie de notre fonctionnement »
L’idée de prendre congé de leurs équipes, pendant un trimestre, s’est imposée assez naturellement aux deux fondateurs de cette entreprise libérée : « L’autonomie et la responsabilisation des salariés font partie de notre fonctionnement quotidien, nous accordons un même poids à la parole de chacun et cultivons une culture du feedback. Marie et moi sommes les fondateurs, mais on n’a pas une place différente de celle des autres collaborateurs », assure Quentin.
Mais, même dans ce contexte, laisser son entreprise en autogestion pendant trois mois, ça se prépare. Dès décembre 2023, les chefs d’entreprise font part de leur décision à leur trentaine de collaborateurs : « Ce délai nous a permis d’identifier les potentielles difficultés et de répartir certaines tâches, de discuter des appréhensions des uns et des autres, d’envisager des solutions en cas de blocage. La vérité, c’est que tout le monde s’est vraiment rendu compte qu’on allait partir un mois avant notre départ », retrace Quentin.
« Il y a eu un peu d’inquiétude de la part des équipes : ‘’Que se passe-t-il si jamais on ne vend rien ? Si la pérennité financière de l’entreprise est en jeu ? Si un collaborateur veut partir ?’’ On les a rassurés en leur disant de faire comme d’habitude. De fait, il y a eu un départ et un recrutement pendant notre absence, qui se sont très bien passés », témoigne Marie.
« Pas de contact sauf alerte rouge »
Les salariés ont spontanément proposé d’endosser de nouveaux rôles. L’un d’eux a demandé à avoir accès aux mails envoyés aux dirigeants pour les répartir ensuite aux personnes concernées en fonction des sujets : nouveaux projets à lancer, nouveaux partenaires à rencontrer, candidatures. Un autre collaborateur expérimenté a accepté d’être sollicité en cas de difficulté technique.
« Les sujets RH ont suivi leur cours. Nous n’avons pas de fonction RH chez Yemanja : la partie paie, administration du personnel et médecine du travail est gérée par notre responsable administratif et financier. Sur les sujets tels que la politique salariale ou les plans de formations, nos collaborateurs se sont d’eux-mêmes inscrits à des comités RH en fonction de leurs centres d’intérêt. Enfin, les recrutements sont gérés de manière très collégiale par les équipes », développe Marie.
« L’équipe a apprécié de se voir confier cette responsabilité »
Pendant leur absence, Marie et Quentin ont voyagé, passé du temps avec leurs proches et se sont consacré à leurs passions. « Les règles du jeu étaient claires, énoncent-ils : pas le droit de nous contacter sauf alerte rouge. Elles ont été parfaitement respectées, nous n’avons pas eu de leurs nouvelles et nous en avons pris très peu l’un de l’autre. »
Comment s’est passé le retour ? « C’est assez étrange de revenir et d’avoir l’impression que l’équipe ne t’attend pas particulièrement. Tout le monde savait ce qu’il avait à faire, était très absorbé par ses projets », témoigne Quentin.
Les deux chefs d’entreprise ont envoyé à leurs collaborateurs un questionnaire pour savoir comment ils avaient vécu l’expérience. « Globalement, l’équipe a apprécié de se voir confier cette responsabilité, de ne pas nous voir faire de l’ingérence dans les projets. Ils ont aimé le fait d’être plus libres et sont aussi très fiers d’avoir pu finaliser des projets et en monter de nouveaux, résume Marie. Ce qui est assez étonnant, c’est que l’équipe n’en a pas profité pour s’amuser plus, pour explorer d’autres manières de faire. Ils ont suivi les habitudes en place chez nous. Ils ont rempli leur rôle de manière très consciencieuse. »
Cette période sans chef a aussi permis aux équipes de réfléchir à ce qu’ils attendaient de Quentin et Marie. « Ils nous ont demandé de redonner un cap, une vision, un sens à leurs mission, mais aussi de jouer le rôle de porte-parole à l’extérieur de l’entreprise. »
Une redéfinition du rôle de dirigeant
Ces différents feedback ont aidé Marie et Quentin à redéfinir leur place au sein de Yemanja : « Ça n’arrive pas souvent pour un chef d’entreprise de n’avoir aucun rendez-vous, aucun email, aucun projet à suivre. Donc on a profité de ce luxe pour voir là où l’on pouvait apporter le plus de valeur ajoutée à notre entreprise. Mi-décembre, on a proposé un cap pour l’entreprise et une redéfinition de nos rôles, qui dorénavant impliquent moins d’opérationnel. C’est difficile, car les habitudes reviennent vite au galop, mais on essaie de rester sur cette ligne de conduite. »
Ce dirigeant nouvelle version est à la fois :
- un guide, qui donne la vision, le cap et est garant de la pérennité de l’entreprise ;
- un gardien des valeurs, du cadre, de la méthodologie, de la culture d’entreprise ;
- un porte-parole, qui fait rayonner l’entreprise et rapporte du business.
« Je pense que ça a fonctionné parce qu’on avait sincèrement confiance dans notre équipe, on sait qu’elle est composée de gens compétents et intelligents, qui sont investis et prennent de bonnes décisions. C’était important de leur dire qu’on leur faisait confiance et qu’on leur était reconnaissant de nous permettre de faire cette pause. Mais aussi de leur garantir qu’ils étaient libres de faire ce qu’ils voulaient en notre absence et que l’idée n’était pas de relever les compteurs à notre retour. Il fallait que les choses soient claires : le but de l’expérience n’était absolument pas de les mettre à l’épreuve », analyse Marie.