Ces entreprises qui s’engagent contre les violences conjugales

L’ANDRH, Canal+ et l’association « 125 et après » ont lancé, début juin, le mouvement Safe Place adossé à un guide pratique à destination des DRH pour accompagner les collaborateurs victimes de violences conjugales.

62% des personnes qui portent plainte pour violences conjugales sont salariées.
62% des personnes qui portent plainte pour violences conjugales sont salariées. © julien leiv/stock adobe.com

« En 2018, je reçois un appel parce qu’une femme employée dans un magasin de l’Est de la France ne s’est pas présentée au travail, raconte Satya Goetz Lancel, responsable du programme de protection des salariés victimes de violences conjugales pour la coopérative U. Ses collègues savaient que ça ne se passait pas bien à la maison. Elle avait été assassinée par son conjoint. A partir de ce moment-là, j’ai demandé à ce qu’on me laisse développer un dispositif d’accompagnement des collaborateurs victimes de violences conjugales. Je ne voulais plus entendre aucun RH dire : ‘’Je ne peux pas t’aider parce que rien n’est écrit sur ce sujet dans le droit du travail’’. »

En France, 271 000 plaintes ont été déposées pour ce type de violences en 2023. « Aujourd’hui, on sait que 62% des personnes qui portent plainte pour violences conjugales, femmes comme hommes, sont salariés », rapporte Audrey Richard, DRH de Canal+ et présidente de l’association nationale des DRH (ANDRH).

Canal+ et l’association nationale des DRH ont donc uni leurs forces avec celles de la fondatrice de l’association « 125 et après », Sarah Barukh, pour créer le label Safe Place, le 3 juin 2025. Parmi les premiers à avoir rejoint le mouvement, Dior, Publicis France, Leboncoin ou encore France Travail. Son ambition : faire des entreprises des espaces sécurisés pour les personnes victimes de violences conjugales, sexistes et sexuelles ou intrafamiliales. « C’est un sujet que les RH doivent porter auprès de leur direction, car une personne qui ne va pas bien dans sa vie personnelle n’ira pas bien au travail non plus. Elle sera moins concentrée, moins productive, plus souvent absente », déclare la DRH. Pour obtenir ce label, une entreprise doit s’engager à mettre en place au moins trois actions sur les 60 proposées pour aider les victimes de violences conjugales.

Le lancement de ce label s’est doublé de la publication par l’ANDRH d’un guide pratique, à destination des professionnels des ressources humaines, avec des outils concrets et faciles à actionner pour accompagner leurs collaborateurs victimes de violences conjugales. Celui-ci recense des mesures qui ont déjà porté leurs fruits dans les entreprises engagées dans la protection de leurs salariés victimes de violences conjugales, comme chez Canal+ ou au sein du groupe U.

Informer et former les collaborateurs

Faire de ces violences un sujet d’entreprise passe d’abord par des actions de communication : « A Canal +, nous avons diffusé, dans nos locaux, le documentaire ‘’Vivante(s)’’, sur le thème des violences conjugales. Après la projection, j’ai pris la parole pour dire que nous étions engagés sur ce sujet et, à la suite de cela, j’ai reçu plein de messages de collaborateurs qui voulaient s’investir et nous proposer des idées. Nous avons monté un groupe de travail, qui s’est réuni tous les mois, et nous avons construit un plan de 14 actions », retrace Audrey Richard.

Parmi celles-ci, l’affichage d’un QR code dans les toilettes permettant de faire des tests « Suis-je auteur de violences conjugales ? » ou « Suis-je victime de violences conjugales ». Dans les magasins du groupe U et dans les services administratifs, des affiches ont été placardées avec un message clair : « Si tu as un problème à la maison, tu peux en parler à ton employeur », invitant les victimes de violences à se rapprocher des RH en cas de besoin d’un hébergement d’urgence, par exemple.

Les deux entreprises ont également mis en place des programmes de formation pour tous les collaborateurs volontaires, avec notamment l’objectif d’arriver à détecter des signaux faibles chez des personnes qui subissent ces violences : changements d’humeur, mise en retrait de la vie d’équipe, modification de l’apparence physique, troubles de l’attention…

Protéger et orienter les victimes

Dès qu’un membre de l’équipe RH a connaissance d’un cas de suspicion de violences conjugales, qu’il ait été remonté par la victime elle-même ou l’un de ses collègues, Satya Goetz Lancel recommande de lui proposer un entretien le jour même : « Vous pouvez évoquer les aides que l’entreprise peut mobiliser rapidement : un hébergement d’urgence pour le soir même et pour une durée de 60 jours, une demande d’accès à un logement social pérenne, un aménagement de planning ou plus ou moins de télétravail, un accompagnement pour porter plainte ou rencontrer un avocat sur son temps de travail… »

Chez Canal+, un réseau d’ambassadeurs clairement identifiés a été créé : « Il s’agit de collaborateurs ayant reçu une formation complémentaire pour venir en aide aux victimes de violences conjugales », explique Audrey Richard.

Vous pouvez également suggérer à vos collaborateurs de télécharger des applications gratuites telles que App-Elles, pour signaler en temps réel des situations d’urgence ou potentiellement dangereuses, ou Ti3rs, pour filtrer les messages insultants d’un ex-conjoint violent tout en les consignant en vue d’éventuelles démarches juridiques. Mais aussi communiquer sur les numéros d’urgence : « Nous avons même souhaité aller plus loin en ajoutant un bandeau sur les films diffusés sur Canal+ qui comprennent des scènes de violences conjugales », avance la DRH.

Ouvrir des droits exceptionnels en tant qu’employeur

Enfin, dans le cadre de l’entreprise, vous pouvez proposer des mesures exceptionnelles pour accompagner un collaborateur ou une collaboratrice qui rencontrerait des difficultés de maintien dans l’emploi du fait de violences conjugales. Parmi ces dispositifs, on peut citer :

– un aménagement temporaire du travail : 100% télétravail, des horaires aménagés facilitant la réalisation de démarches personnelles (justice, logement, santé, scolarité des enfants…), une réduction de la charge de travail ;

– un droit à la mobilité géographique d’urgence, si l’entreprise comprend plusieurs sites ;

– un droit à des absences exceptionnelles, notamment des jours de congés hors congés payés ou RTT, pour déposer plainte ou se rendre à des rendez-vous judiciaires ou médicaux ;

– un droit à un soutien financier, comme une avance ou un acompte sur salaire ;

– un droit à une rupture du contrat facilitée en cas de danger.

« Aujourd’hui, tous les RH du groupe U sont autonomes et savent comment réagir dans ces situations, témoigne Satya Goetz Lancel. Sur la première année de développement du plan d’actions, on dénombrait 10 décès de salariés dus à des violences conjugales. Depuis trois ans, il n’y en a pas eu. Les personnes concernées ont compris qu’elles pouvaient compter sur leur entreprise pour les aider et font désormais leur demande d’hébergement d’urgence dès les premières violences, parce qu’elles craignent l’escalade. Ce programme a été étendu à toutes les enseignes de la grande distribution. Il faut que chaque entreprise se prépare à ce que cela lui arrive. »

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